(Ottawa) À moins de 24 heures de la fermeture des portes des Communes, tout porte à croire que le projet de loi C-10 sera parmi les initiatives législatives sacrifiées par un gouvernement prêt à repartir vers les urnes.

Après plusieurs semaines d’obstruction, le projet de loi C-10 sur la radiodiffusion a été adopté mardi, au petit matin, à la Chambre des communes. Mais il reste l’étape du Sénat qui, lui, prévoit suspendre ses travaux vendredi, après le congé de jeudi.

Mardi, les sénateurs conservateurs ont fait savoir à La Presse Canadienne que le bras de fer législatif allait se poursuivre à la Chambre haute.

« Le projet de loi C-10 aura des conséquences importantes sur la liberté d’expression. Le gouvernement a si mal géré le processus législatif à la Chambre qu’il aurait fallu retirer le projet de loi afin de le réécrire », a déclaré Don Plett, leader de l’opposition au Sénat.

« Au lieu de mettre à jour un cadre désuet pour l’adapter à l’ère numérique dans laquelle nous évoluons, ce projet de loi fera reculer l’ère numérique pour l’adapter à un cadre désuet », a critiqué Leo Housakos, sénateur conservateur du Québec.

« Je vais faire tout ce que je peux pour m’assurer que ce projet de loi ne soit pas adopté à toute vitesse », a renchéri sa collègue Pamela Wallin qui, elle, s’est exprimée sur Twitter.

« Les retards de C-10 sont imputables de façon assez directe à une obstination, une manipulation des faits, de la vérité, ou de grossiers mensonges de la part des conservateurs, mais on en est venu à bout », a clamé Yves-François Blanchet au cours d’une conférence de presse.

Puis, le chef bloquiste a servi un avertissement aux sénateurs : « N’osez pas et ne vous permettez pas d’aller à l’encontre de la Chambre des communes et, me permettrai-je de dire, de la volonté très claire du Québec. »

« Je pense que le gouvernement prend des chances quand il envoie des projets de loi à la dernière minute comme ça », s’est défendu le sénateur québécois Claude Carignan, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Le gouvernement libéral, de son côté, est resté plutôt prudent sur ses attentes sur C-10.

« Nous allons collaborer avec les sénatrices et sénateurs pour veiller à la progression de cet important projet de loi », a déclaré Camille Gagné-Raynauld, attachée de presse du ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, dans une déclaration écrite.

C-10 aurait soumis les géants du web à la Loi sur la radiodiffusion, en les forçant à contribuer financièrement à la création et à la découverte de contenu culturel canadien. Déjà, le milieu des arts du Québec a averti que les partis politiques auraient à répondre de leurs actes si le projet de loi ne voyait pas le jour avant la prochaine campagne électorale.

Les autres projets de loi non aboutis

Mis à part C-10, le gouvernement espère toujours l’adoption de C-30 qui vient mettre en œuvre le budget. Son vœu sera exaucé à temps par le Sénat, même si le vote final aux Communes n’aura lieu que mercredi.

C’est beaucoup moins certain pour C-6, qui interdit les thérapies de conversion. Il a été adopté mardi après-midi en troisième lecture aux Communes, malgré l’opposition de 62 députés conservateurs et d’un député indépendant expulsé du Parti conservateur.

Aussi abandonné dans les limbes, C-12 qui vient cristalliser l’obligation du Canada de s’engager dans la voie de la carboneutralité d’ici 2050. Le gouvernement espérait une adoption aux Communes mardi, tard en soirée.

« Les discussions se poursuivent quant à l’échéancier pour ces projets de loi », a fait savoir l’attachée de presse du sénateur Marc Gold, qui est le représentant du gouvernement au Sénat, dans un courriel mardi matin.

Mais mardi soir, il était clair que le temps manquerait au Sénat.

« La responsabilité du programme législatif revient au gouvernement. […] Lorsque tous les enjeux sont prioritaires, aucun ne l’est vraiment, et rien ne progresse », a déploré le sénateur Plett.

Si le gouvernement minoritaire libéral s’est démené jusqu’à la toute fin pour ces quatre projets de loi, il en est allé tout autrement pour une promesse phare de l’élection de 2019, traduite dans C-21, projet de loi pour améliorer le contrôle des armes à feu.

« C’est un projet de loi prioritaire pour moi », continuait de dire le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, en fin de journée mardi. Et pourtant, le texte n’a franchi que l’étape de la première lecture aux Communes.

Depuis son dépôt le 16 février, le gouvernement ne l’a mis au programme que trois fois pour une heure de débat, chaque fois, et toujours les vendredis matins, case horaire peu enviable.

Le ministre Blair a utilisé, là aussi, le prétexte de la résistance des conservateurs à C-21 pour justifier ce qui ressemble à l’abandon d’une promesse électorale.

Le thème de « l’obstruction » des conservateurs est d’ailleurs répété comme un mantra par les troupes libérales manifestement prêtes pour un déclenchement des élections avant l’automne.