(Ottawa) La jeune députée du Nunavut, Mumilaaq Qaqqaq, ne s’est jamais sentie en sécurité dans les couloirs du parlement. « Des agents de sécurité m’ont poursuivie en courant. J’ai été victime de profilage racial », a-t-elle confié à ses collègues dans son discours d’adieu aux Communes, mardi soir, en en laissant plusieurs pantois.

Ce qui choque l’élue néo-démocrate, c’est l’étonnement que suscitent de telles sorties. « J’aimerais que les gens cessent de réagir avec surprise. Ce n’est pas hors du commun. C’est normal pour les personnes autochtones et racisées », expose-t-elle en entrevue avec La Presse, jeudi.

« Disons que j’ai appris à garder mon épinglette de députée dans le haut de mon sac, au cas où on me demanderait de confirmer mon identité », laisse tomber Mumilaaq Qaqqaq, qui est facilement reconnaissable en raison des tatouages inuits traditionnels sur son visage.

La députée soutient qu’il y a eu « plusieurs incidents » impliquant des agents du Service de protection parlementaire (SPP), qui adoptaient une « attitude intimidante » dans les interactions qu’ils avaient avec elle. « Formez votre personnel pour qu’il cesse de faire du profilage racial ! On sait tous que c’est un problème », s’exclame-t-elle.

Je ne me suis jamais sentie en sécurité. J’ai souvent dû me dire des mots d’encouragement quand j’étais dans l’ascenseur ou passer un peu de temps seule dans les toilettes pour retrouver mon calme.

Mumilaaq Qaqqaq, députée du Nunavut

Le SPP a été pris de court par les accusations lancées par celle qui a été élue en octobre 2019. On lui a tendu une perche afin d’en savoir un peu plus. « Nous avons écrit à Mme Qaqqaq afin de l’inviter à discuter davantage de la question », a écrit un porte-parole à La Presse.

« Le Service de protection parlementaire s’engage à livrer sa mission de sécurité efficacement tout en veillant à ce que les membres de la communauté parlementaire puissent profiter d’un environnement sécuritaire, accueillant et inclusif », a-t-on insisté dans le même courriel.

Les « micro-agressions »

Le récit de Mumilaaq Qaqqaq n’est pas sans rappeler celui de l’ancienne élue libérale noire Celina Caesar-Chavannes, qui avait décrit en 2017 les « micro-agressions » qu’elle subissait sur la colline du Parlement. Elle affirmait par exemple qu’un agent de sécurité ne lui avait pas ouvert la porte de l’édifice où se trouvait son bureau depuis un an.

« C’est déchirant à regarder. Je suis si fière de vous. Chaque acte de résistance que vous posez, et que vous continuez de poser, pour mettre fin au statu quo, a un impact. Merci pour votre force », a écrit sur Twitter l’ex-députée dans un message coiffant la vidéo du discours de la députée néo-démocrate de 27 ans.

PHOTO DAVID KAWAI, LA PRESSE CANADIENNE

Marc Miller, ministre des Services aux Autochtones

Le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, a fait allusion à ce précédent au lendemain du discours de la néo-démocrate. « Elle n’est pas la première personne à dire cela. Si la députée Qaqqaq a encore ce sentiment, c’est une illustration de ce que nous sommes toujours en tant que pays », a-t-il estimé en conférence de presse, mercredi.

Une analyse qui a fait sortir la principale intéressée de ses gonds. « Je suis désolée, mais je n’ai pas le “sentiment” d’avoir été victime de profilage racial. Je l’ai été », s’est-elle insurgée. « [Le ministre Miller] a le pouvoir de faire quelque chose, c’est lui qui est en poste. Alors qu’il le fasse », a tonné l’élue.

Au cœur d’une « institution colonialiste »

Si elle n’a pas parlé publiquement de ces incidents avant, c’est parce qu’elle jugeait que son travail était de défendre les intérêts de ses commettants à Ottawa, pas les siens. Et alors qu’elle s’apprête à quitter ses fonctions, elle réalise qu’elle ne savait pas du tout dans quoi elle s’embarquait lorsqu’elle s’est présentée sous la bannière orange en 2019.

Je suis arrivée avec les meilleures intentions, vraiment. Mais je n’avais pas pensé que j’entrais dans une institution colonialiste [le Parlement] qui bafoue les droits de la personne de base des autochtones.

Mumilaaq Qaqqaq, députée du Nunavut

Mumilaaq Qaqqaq ne fait cependant pas une croix définitive sur la politique fédérale. « Non, non ! Je n’écarterais jamais cette option. Il se pourrait très bien que dans 10 ans, j’aie déterminé comment fonctionner dans cet environnement. Je saurais beaucoup mieux à quoi m’attendre », rigole-t-elle. Mais dans l’immédiat, elle retourne dans son Nunavut natal, avec un plan de carrière flou, comme elle les aime.