(Ottawa) Le projet de loi C-10, qui vient réformer la Loi sur la radiodiffusion, fera l’objet d’un bâillon après des semaines d’obstruction en comité.

Les libéraux et bloquistes ont voté lundi en faveur d’une motion d’attribution de temps qui vient forcer le Comité permanent du patrimoine canadien à compléter l’étude d’une trentaine d’amendements au projet de loi en moins de cinq heures. Les conservateurs, néo-démocrates et verts ont voté contre cette forme de bâillon très rare, qui n’a pas été utilisée depuis les années Chrétien.

La motion a été adoptée à 181 voix contre 147.

« Comment ça se fait qu’on ait utilisé cette technique-là uniquement trois fois dans toute l’histoire du pays ? Même les conservateurs de Stephen Harper n’ont jamais osé bâillonner les parlementaires de cette façon-là », s’est indigné le chef adjoint néo-démocrate Alexandre Boulerice, lors des délibérations à cet effet avant le vote.

« On veut museler le temps de parole des parlementaires. Or, des partis d’opposition qui sont d’accord avec ça, ça dépasse l’entendement », s’est étonné le leader parlementaire des conservateurs, Gérard Deltell, en pointant le Bloc du doigt.

Le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, a répliqué que son parti ne pouvait pas laisser les conservateurs bloquer ce projet de loi attendu par le milieu de la culture au Québec et partout au pays.

« L’attribution de temps pour accélérer les travaux, […] il faut que ça reste rarissime. Mais dans le cas du projet de loi C-10, on peut dire qu’il fallait procéder comme ça. […] Il se perd des millions de dollars chaque semaine où on doit discuter de ça. Le milieu culturel le demande, les Québécois le demandent ; le projet de loi doit être adopté avant la fin de la session », a-t-il dit.

Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, s’est dit convaincu qu’en cinq heures, les membres du Comité permanent du patrimoine canadien auraient amplement de temps pour débattre de C-10.

Il n’en reste pas moins que le projet de loi devra faire l’objet d’un vote aux Communes, avant d’être envoyé au Sénat. Vu les courts délais, il est peu probable, voire impossible, qu’il soit adopté avant la levée des travaux parlementaires pour la période estivale, à la fin juin. Et si une campagne électorale devait avoir lieu à la fin de l’été ou cet automne, C-10 mourrait au feuilleton.

Réprimandes du président

Le gouvernement avait annoncé son intention d’imposer le bâillon pour accélérer l’étude de ce projet de loi la semaine dernière. Or, les conservateurs ont créé tant de chahut lors de la séance de vendredi que les libéraux ont été obligés de reporter le vote à lundi.

La nature hybride de la réunion de la Chambre a permis à des conservateurs de hurler, d’une voix très audible, derrière leurs écrans, remettant en question l’autorité de la députée libérale, Alexandra Mendès, qui présidait les débats. Et ils ont multiplié les appels au règlement et feint des problèmes techniques afin de retarder l’ordre du jour préétabli.

Lundi, le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a tenu à remettre les pendules à l’heure dans un discours d’une vingtaine de minutes.

M. Rota a tenu à rappeler que l’autorité de la présidence est sans appel et, citant un livre de règlements, qu’il est « inacceptable que l’intégrité et l’impartialité d’un président de séance soient mises en doute ». De plus, « les députés n’ont pas le droit absolu d’invoquer le règlement autant de fois qu’ils le souhaitent pendant aussi longtemps qu’ils le souhaitent », a-t-il ajouté.

« Le ton des débats s’est détérioré. Dans la dernière semaine, des deux côtés de la Chambre, on a ouvertement remis en doute les décisions de la présidence et des remarques désobligeantes ont été entendues », a-t-il déploré.

« Je reconnais qu’il y a des moments où la tension est exacerbée et que les désaccords sont intenses. Toutefois, le mépris de nos règlements et de nos pratiques établies n’est pas seulement irrespectueux pour les personnes à qui on a confié le mandat de maintenir l’ordre et le décorum, c’est également irrespectueux à l’égard de la Chambre dans son ensemble », a-t-il ajouté.

La députée Harder s’excuse

Une élue conservatrice de l’Alberta, qui avait dit que les artistes, notamment ceux du Québec, qui souhaitent l’implantation de C-10, sont « dépassés » et ne peuvent vivre de leur art, a présenté ses excuses. Rachael Harder avait tenu ces propos dans une récente entrevue accordée au « Lethbridge Herald », un journal local de sa circonscription.

« La semaine dernière, j’ai mal choisi mes mots en parlant de quelques artistes du Québec. Ici, au Canada, tous les artistes enrichissent notre pays et les conservateurs plaideront toujours pour des règles du jeu équitables. Je présente mes excuses pour mes commentaires », a écrit Mme Harder, une unilingue anglophone, dans un gazouillis en français seulement.

Cette courte déclaration a été jugée insuffisante par le Bloc québécois et le ministre du Patrimoine canadien, qui sont tous deux revenus là-dessus pendant la période de questions.

« Des excuses timides sur Twitter quand on a insulté des milliers d’artistes au Québec et partout au Canada, ça ne suffit pas », a critiqué le bloquiste Martin Champoux. « Les commentaires de la députée de Lethbridge sont inacceptables, elle doit s’excuser en cette Chambre et le chef de l’opposition officielle doit également s’excuser », a renchéri le ministre Guilbeault.

Le Parti conservateur n’a pas voulu faire d’autres commentaires à ce sujet, insistant plutôt sur le fait que bloquistes et libéraux se sont alliés lundi pour imposer un bâillon.