(Ottawa) Le milieu culturel québécois est bien déterminé à faire entendre sa voix si le projet de loi C-10, qui vient réformer la Loi sur la radiodiffusion, ne voit pas le jour avant le déclenchement d’élections fédérales. Et les différents partis politiques auront à répondre de leurs actes, dit-il.

« Ça va être un enjeu électoral, ça, vous pouvez compter sur nous », dit Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il comptait faire adopter une motion d’attribution de temps, avec l’appui du Bloc québécois, pour accélérer l’adoption de C-10 avant la fin de la session parlementaire. Mais les plans des libéraux ont été contrecarrés par les conservateurs, qui ont multiplié les tactiques, vendredi, pour empêcher que le bâillon aille de l’avant.

Même si les libéraux parvenaient à leurs fins, il est peu probable que C-10 soit adopté par le Sénat et devienne loi avant la fin des travaux parlementaires pour l’été, fin juin. Le scénario d’un déclenchement d’élections pour cet automne ferait mourir tous les projets de loi en cours, dont celui-là.

C’est extrêmement décevant de voir ce qui se passe présentement. On aurait tellement souhaité que tout le monde travaille dans le même sens pour le bien-être de notre culture, pour le bien-être de nos artistes, de nos créateurs, de nos artisans. Mais ce n’est pas ça ce qui se passe. C’est décourageant et c’est décevant. Très décevant.

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture

C-10 vise à soumettre les géants du web à la Loi sur la radiodiffusion, en les forçant à contribuer financièrement à la création et à la découverte de contenu culturel canadien. Le projet de loi est attendu de pied ferme par le secteur culturel, qui souhaite que les plus grands joueurs du numérique, comme Netflix ou Spotify, soient soumis aux mêmes règles du jeu que les radiodiffuseurs traditionnels au pays.

Cette réforme est considérée comme étant d’autant plus urgente après une pandémie qui a vu bon nombre d’artistes forcés d’être au chômage.

« Les gens sont mobilisés. Surtout après ce qu’on a vécu depuis 15 mois, ne me dites pas que vous n’êtes pas conscients de l’urgence de la situation. Ça ne se peut plus, nous “ enfirouaper ” avec ça, c’est comme pas possible, ce discours-là. […] Passez à l’action, ça presse », a plaidé Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes (UDA) en entrevue.

C-10 forcerait les entreprises numériques à mettre une proportion de leurs revenus générés au Canada dans un fonds destiné aux créateurs canadiens. Le ministère du Patrimoine canadien estime pouvoir récolter quelque 70 millions de dollars par mois.

Dans une entrevue accordée au Lethbridge Herald, un journal local de l’Alberta, la députée conservatrice Rachael Harder a critiqué cette façon de faire, en disant que ce fonds irait « à un groupe très niché d’artistes qui sont coincés au début des années 1990 parce qu’ils n’ont pas réussi à être compétitifs sur de nouvelles plateformes ».

« Et, bien franchement, ils produisent du matériel dont les Canadiens ne veulent tout simplement pas », a-t-elle ajouté.

À son avis, ce groupe d’artistes vient principalement du Québec, selon elle, qui est la force motrice derrière C-10. « Ces artistes ne sont pas capables de vivre de ce qu’ils produisent, alors ils exigent des subventions du gouvernement », a ajouté Mme Harder, qui est allée jusqu’à dire que ces artistes sont « dépassés » dans son entrevue avec ce journal.

Questionnée au sujet de la perception de C-10 ailleurs au Canada, Mme Prégent dit que le milieu culturel hors Québec est lui aussi interpellé par cette réforme. Mais les Québécois sont souvent les premiers à se faire entendre, admet-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de l'UDA, Sophie Prégent

« Quand il arrive quelque chose au fédéral, les premiers, les irréductibles Gaulois à se faire entendre, ce sont toujours les Québécois francophones et puis ensuite, ça résonne ou ça ne résonne pas jusque dans l’Ouest. C’est un phénomène tout à fait normal », rigole-t-elle.

Qui plus est, cette réforme de la Loi de la radiodiffusion est rendue nécessaire en raison de l’arrivée des nouvelles plateformes et des médias sociaux. 

Elle est inévitable pour la survie culturelle. Le modèle présentement n’est pas viable à long terme. […] Ce modèle-là, il était bon quand les plateformes numériques n’existaient pas.

Sophie Prégent, présidente de l’UDA

Quoiqu’il en soit, le milieu culturel attendra de pied ferme les politiciens qui voudront les courtiser, possiblement dans les prochains mois, si C-10 meurt au feuilleton.

« Si ce projet de loi C-10 n’a pas fait l’affaire, c’est quoi, la piste d’atterrissage ? » demande Mme St-Onge.

« Je ne veux pas entendre des banalités du style : “ Notre culture est importante ”, “ Il faut qu’on aide notre culture ”, “ on aime le français ”. […] Parce qu’on avait quelque chose entre les mains et une volonté et une ouverture pour faire aboutir cette question-là avant le mois de juin et il y a des gens qui ont fait de l’obstruction là-dessus. Donc qu’avez-vous à nous proposer de meilleur ? » ajoute-t-elle.

« Je ne sais pas si c’est avant, pendant ou après les élections, mais pour moi, ça ne peut pas se résumer à être un échec. […] Je dis seulement que c’est une question de temps. Le problème, c’est que le temps, c’est 70 millions par mois. Il est là le problème. Nous allons devoir y arriver. C’est inévitable selon moi », renchérit Mme Prégent.