Avec sa réforme de la loi 101, François Legault réussit le grand écart.

Il joue à la fois le capitaine Québec et le modéré. Il se réclame de l’héritage péquiste et libéral, tout en utilisant ces partis comme repoussoirs.

Il s’étale dans le centre en se posant en rassembleur de la nation.

C’est très habile, mais cela lui fait faire quelques contorsions.

Au printemps 2019, le gouvernement caquiste promettait… de ne pas modifier la loi 101 ! Quelques mois plus tard, le dossier a été transféré à Simon Jolin-Barrette. Le ton a changé. Le ministre n’a cessé depuis de gonfler les attentes en annonçant une réforme « costaude ».

Il a bien fait ce travail. Peut-être même trop aux yeux de certains caquistes.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

« Au printemps 2019, le gouvernement caquiste de François Legault promettait… de ne pas modifier la loi 101 ! Quelques mois plus tard, le dossier a été transféré à Simon Jolin-Barrette. Le ton a changé », écrit notre chroniqueur.

En caucus avec ses députés mercredi, M. Legault a tenu à ramener la réforme à sa juste mesure. On me raconte qu’il a utilisé les termes « raisonnable » et « équilibré ». Après tout, il a déjà encaissé les gains auprès du vieil électorat péquiste. L’heure est maintenant à la consolidation de ses appuis ailleurs.

Les caquistes disent s’inscrire dans la continuité de René Lévesque, Camille Laurin, Guy Rocher et Fernand Dumont. Or, M. Legault imite aussi leurs ennemis. À l’époque, ces pionniers étaient qualifiés de dangereux radicaux. Le premier ministre fait la même chose en accusant le PQ d’« extrémisme » pour vouloir appliquer la loi 101 aux cégeps et sélectionner uniquement des immigrants francophones. Ces idées sont critiquables, mais elles ne sont pas extrêmes ou illégitimes.

M. Legault utilise l’expression de « beau compromis ». Un clin d’œil apparent au « beau risque » du chef fondateur du PQ.

Mais le premier ministre fait davantage penser à un autre politicien. Comme Robert Bourassa, il promet haut et fort de défendre la nation, tout en visant le compromis.

Ce n’est pas innocent, d’ailleurs… Les libéraux, qui dépeignent M. Legault en réincarnation de Maurice Duplessis, veulent renouer avec le fédéralisme réformateur de M. Bourassa. Le premier ministre veut leur tirer ce tapis sous les pieds.

Bien sûr, toute comparaison a ses limites. L’ère des négociations constitutionnelles est morte et enterrée. M. Legault parle d’une « troisième voie », mais il propose moins de soutirer des pouvoirs au fédéral que d’utiliser ceux existants. Et ce, avec une certaine prudence.

Plusieurs anglophones restent en colère à cause de sa tentative d’abolir leurs commissions scolaires. Cette fois, le premier ministre les ménage un peu. Il instaure une forme de droit acquis pour les municipalités bilingues, offre des cours gratuits de francisation et renonce à imposer l’affichage extérieur unilingue.

Preuve que son grand écart fonctionne, des adversaires l’appuient. Benoît Pelletier, constitutionnaliste et ex-ministre libéral des Affaires intergouvernementales, applaudit le projet de loi. Pauline Marois a aussi eu l’élégance de saluer ce pas vers l’avant, même si M. Legault avait bloqué sa propre réforme en 2013.

La très nationaliste Fondation Lionel-Groulx accueille la réforme « avec enthousiasme », tandis que la cheffe libérale Dominique Anglade n’y voit pas, à première vue, de menace pour la paix linguistique, et que la Fédération des chambres de commerce en « appuie les objectifs ».

On peut en conclure que les caquistes ont réussi à faire du français une priorité collective. Mais on peut aussi y voir la preuve que la loi n’est pas l’électrochoc annoncé. Sinon, elle ferait moins consensus.

Et enfin, ces réactions démontrent qu’après le dernier mandat libéral et le début de mandat caquiste, les attentes étaient faibles.

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Prises de façon isolée, les mesures du projet de loi 96 peuvent sembler modestes. Aucune n’aura à elle seule un impact majeur. L’important est leur effet combiné, et le message envoyé.

L’ambition de la réforme se trouve dans son ampleur. Elle touche à tout : la gouvernance (création d’un poste de commissaire indépendant et d’un ministère du Français), les commerces (langue d’affichage, de service et de travail), l’enseignement supérieur (politique linguistique obligatoire et contingentement des places dans les cégeps anglophones) ainsi que la francisation (guichet unique pour mettre fin à l’éparpillement).

À cela s’ajoutent le recours préventif à la disposition de dérogation et l’inscription de la nation québécoise et de la « langue officielle » dans la Constitution.

D’autres aspects sont par contre très concrets, comme la langue de service. À l’heure actuelle, même si on peut déposer une plainte contre un commerce incapable de vous servir en français, cela ne servira pas à grand-chose. L’Office québécois de la langue française ne fera que le sensibiliser et l’accompagner. Le projet de loi lui donnerait de nouveaux pouvoirs qui mèneraient à des amendes.

Du moins, c’est ce que je comprends…

Le projet de loi compte 201 articles, et on sait où le diable aime se cacher.

Un exemple : les services de l’État seront offerts uniquement en français, à part pour la minorité historique anglophone et pour les immigrants arrivés il y a moins de six mois. Ce ne sera pas facile à appliquer.

Les libéraux réclament des consultations générales ouvertes à tous. Le gouvernement n’y semble pas favorable. Il veut un contrôle de la liste d’invités et de l’horaire des témoignages. Il craint des dérapages comme ceux lors de l’étude de la charte des valeurs péquiste.

Reste qu’une vaste consultation permettrait de retourner toutes les pierres et d’examiner certaines idées constructives de l’opposition.

Les caquistes pourraient finir par y voir un intérêt.

Avec la langue, M. Legault a trouvé un débat qui occupera l’Assemblée nationale après la pandémie. Et pour l’instant, cela l’avantage. Il ne serait pas trop déçu s’il se prolonge assez pour que les électeurs s’en souviennent lors de la prochaine campagne.