(Québec) Accusé par des militants de créer un climat « toxique », le Collectif antiraciste décolonial (CAD) de Québec solidaire réplique. Il accuse à son tour la direction du parti de faire preuve de « racisme systémique » et de vouloir le museler en présentant une motion de blâme ce week-end au Conseil national.

La tension est vive entre le groupe, qui dit avoir 80 membres, et l’exécutif de QS. En entrevue avec La Presse, la co-porte-parole du CAD, Ève Torres, affirme qu’elle peut « très bien penser que la direction a vu ici une opportunité populaire d’aller rejoindre une certaine frange d’un certain électorat en faisant taire une gang de wokes ».

« Ce qui semble évident, c’est qu’il y a une [déconnexion] entre la façon dont la direction et les porte-parole du parti parlent de l’antiracisme et la manière dont [la problématique] est abordée à l’intérieur même du parti. Est-ce que Québec solidaire, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois sont prêts à reconnaître qu’il y a du racisme systémique à l’intérieur même de leur parti ? », demande-t-elle.

« Des tactiques de menaces »

La Presse rapportait au début du mois que le comité exécutif de Québec solidaire a distribué un document aux délégués qui seront présents au Conseil national ce week-end qui fait la chronologie de situations controversées, provoquées par le CAD, que le parti souhaite condamner.

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« Malgré de nombreux avertissements et interventions effectuées […] depuis maintenant plus d’un an, le Collectif n’a pas changé ses façons de faire, c’est-à-dire utiliser des tactiques de menaces, de dénonciation ou de poursuite, d’ultimatums ou d’intimidation », déplore le comité exécutif de QS.

Pour le parti, « le CAD se comporte comme s’il était la seule référence crédible à propos de certains enjeux […]. Il se permet d’utiliser la menace et l’intimidation face à différentes instances composées de personnes dûment élues, lorsque celles-ci n’acceptent pas de suivre à la lettre leurs positionnements ou leurs stratégies politiques ».

La co-porte-parole du Collectif, Ève Torres, affirme que le groupe a proposé vendredi dernier un processus de médiation, en vain. Dans tous les cas, dit-elle, le CAD n’a pas la prétention de représenter tous les militants antiracistes de Québec solidaire. « On représente un courant, une vision au sein du parti. Les gens sont libres d’adhérer ou pas », ajoute Mme Torres, précisant que le groupe n’a « reçu aucune plainte » de membres.

« Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que sous un couvert de luttes ou d’oppositions entre personnes racisées versus d’autres, c’est tout simplement un conflit entre des gens proches de la direction et des gens qui sont moins proches de la direction », soutient-elle.

Des publications controversées

L’hiver dernier, le CAD a fait la manchette en associant des représentants du Parti québécois et un journaliste à la « fachosphère » et à la « droite extrême ». Dans sa motion, qui sera débattue samedi, QS souhaite déplorer « vivement les attaques diffamatoires du CAD envers un journaliste professionnel dûment accrédité ».

« Notre post a été modifié assez rapidement pour enlever le lien d’attachement [entre la fachosphère, les parlementaires et le journaliste]. Je pense que c’est une maladresse de communication. […] Ça reflète le droit à l’erreur », réplique Ève Torres.

« Force est de constater que les personnes racisées n’ont pas le même droit à l’erreur et sont attendues au tournant sur les moindres façons de communiquer. […] Si je repense il y a quelque temps à une sortie d’Émilise Lessard-Therrien sur les Chinois prédateurs et la sinophobie, la direction du parti ne s’est pas empressée de lui rentrer dedans. Elle s’est portée à sa défense », ajoute-t-elle.

À l’hiver 2019, la députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue avait parlé de « prédateurs » chinois à la recherche de terres agricoles. Critiquée pour ses propos, elle avait précisé qu’elle s’inquiétait des « groupes d’investisseurs étrangers, mais aussi québécois, qui mettent la main sur de grandes superficies de terres agricoles ».

Un calcul politique ?

Sous forme de question, Ève Torres demande « si c’est plus payant politiquement [pour Québec solidaire] de dire [qu’il] vaut mieux qu’on fasse taire un petit groupe sur la place publique. On aura mis nos culottes, on aura fait taire une gang de militants racisés [et] ça va faire plaisir ».

Pense-t-elle que c’est la stratégie du parti ? « Il faut avoir cette réflexion. Qu’est-ce qui explique […] toute cette déferlante d’attaques ? », affirme-t-elle.

Un membre du CAD présent lors de l’entrevue avec La Presse, qui a demandé l’anonymat pour parler librement, car il craint des « représailles », déplore que la place de la diversité au sein de Québec solidaire se résume trop souvent à « nous mettre sur des pancartes, mais dès qu’on essaie de changer des trucs à l’interne, on nous répond oui, mais non merci ».

« On est passé de “Faut qu’on se parle” [NDLR : un ancien collectif de Gabriel Nadeau-Dubois] à faut qu’on se taise », dénonce-t-il.