(Québec et Montréal) Même si le gouvernement du Québec y a réagi avec fermeté, un deuxième évènement raciste à Joliette en six mois fait dire à de nombreux Autochtones que les choses n’ont pas changé.

Les deux infirmières qui ont tenu des propos discriminatoires envers une patiente atikamekw du CLSC de Joliette ont été congédiées, a confirmé le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, en point de presse, mardi après-midi.

« On a agi rapidement, a-t-il déclaré. Ça va prendre d’autres formations, ça va prendre beaucoup d’autres choses pour être capables de changer, mais on va continuer. Je pense que le message commence à passer qu’on ne laissera pas ça passer. »

La direction du CISSS de Lanaudière avait suspendu sans solde les deux infirmières lundi, avant de les congédier mardi après les avoir rencontrées.

Je rappelle à quel point les comportements discriminatoires, racistes et intimidants sont inacceptables. Ils doivent être dénoncés et condamnés.

Caroline Barbir, PDG par intérim du CISSS de Lanaudière, dans un communiqué

« Les propos tenus par les deux employées congédiées témoignent d’un manquement au code de déontologie de la profession d’infirmière, au code d’éthique et aux valeurs de l’organisation, a-t-elle ajouté. Le CISSS de Lanaudière a une politique de tolérance zéro envers les comportements racistes, discriminatoires et intimidants, et je veux que ce message soit entendu clair et fort. »

« On va t’appeler Joyce »

Jocelyne Ottawa, sœur du chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, Paul-Émile Ottawa, a dit avoir été maltraitée vendredi par deux infirmières du CLSC de Joliette, où elle s’était rendue pour recevoir des soins. On lui aurait dit : « On va t’appeler Joyce », et demandé de chanter une chanson en atikamekw.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE GILBERTE DUBÉ

Jocelyne Ottawa

Cette nouvelle affaire de racisme survient six mois après la mort atroce de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, le 28 septembre 2020.

Elle a été rendue publique par le grand chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, qui l’a publiée dimanche sur Facebook.

Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a réagi mardi en disant que cette « situation est tout simplement inacceptable ».

À la période des questions, les députés ont adopté une motion à l’unanimité pour que « tous les membres de l’Assemblée nationale présentent leurs excuses à Jocelyne Ottawa ainsi qu’aux membres de la Nation atikamekw de Manawan et à l’ensemble des Autochtones pour les conséquences irréparables du racisme vécu dans les institutions de santé et de services sociaux du Québec ».

« Je ne vais plus à Joliette »

Mais cela n’a pas suffi à calmer la colère et l’inquiétude des membres des Premières Nations. Beaucoup estiment que la situation « n’a pas changé ».

« Je ne vais plus à Joliette. Je n’ai pas confiance », a confié Janis Ottawa, parente de Jocelyne Ottawa. « Il n’y a pas de changements. Je ne vois pas de changements. Dans mon cas, j’ai fait transférer tous mes dossiers à Trois-Rivières. »

Ghislain Picard est aussi d’avis que « ça n’a pas changé », même s’il reconnaît que des mesures ont été mises en place en février par le gouvernement du Québec pour corriger le tir et améliorer les relations avec les communautés autochtones.

« C’est comme si on remettait l’horloge à zéro, carrément », a-t-il dit à La Presse.

Est-ce qu’il faut recommencer tout ça ? Je pense que les gens sont en droit de se poser des questions, dont Mme Ottawa, qui a bien fait de rapporter la situation dont elle a été victime pour faire un rappel qu’on est loin d’être rendus à une situation idéale. Mais, de toute évidence, ça ne peut pas en rester là.

Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador

M. Picard se demande s’il ne faudrait pas « considérer une tutelle pour le CISSS de Lanaudière ». « Si on a deux évènements en l’espace de six mois qui, dans un cas, s’est terminé avec une mort, peut-être qu’il y a des questions sérieuses à se poser sur la gouvernance du CISSS de Lanaudière », a-t-il expliqué.

De son côté, Constant Awashish, grand chef du Conseil de la Nation atikamekw, estime qu’« il y a encore beaucoup d’éducation, beaucoup de sensibilisation à faire ».

« On a besoin d’un gouvernement qui est responsable et qui va prendre le taureau par les cornes et qui n’aura pas peur d’appeler les situations par leurs vrais noms », a-t-il affirmé, faisant allusion au refus du gouvernement Legault de reconnaître l’existence d’un racisme systémique au Québec envers les Autochtones.

Pour Jennifer Brazeau, directrice du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, le fait même que Mme Ottawa n’ait pas osé porter plainte, de peur de représailles, montre le poids de ce racisme systémique.

« On est en train d’essayer de rebâtir un lien de confiance avec la communauté, et ces deux infirmières-là viennent juste renforcer l’idée que ce ne sont pas des lieux sécuritaires pour les Atikamekw. Il faut que les gens puissent porter plainte. Mme Ottawa est quand même la sœur du chef. Si ça peut lui arriver à elle, ça peut arriver à n’importe qui. »

Quelques réactions

C’est un problème qui est profond, qui est complexe, [et] les mesures qui ont été mises en place, visiblement, ne fonctionnent pas.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral

Si jamais les faits s’avèrent puis se confirment à la suite d’une enquête interne, il faut que les sanctions soient exemplaires. Il faut que le signal soit fort, de sorte qu’au moins, on constate que la réaction de l’appareil de santé est adéquate.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

La communauté de Manawan, appuyée par l’ensemble des Premières Nations, pousse le gouvernement du Québec d’aller plus loin, en adoptant le Principe de Joyce, en reconnaissant qu’il y a de la discrimination et du racisme systémique dans notre réseau de la santé. Si [le ministre responsable des Affaires autochtones] avait besoin d’une preuve de plus, il en a encore une autre.

Manon Massé, cheffe de Québec solidaire

Les patients autochtones subissent régulièrement un traitement abusif, des stéréotypes négatifs, des soins de qualité inférieure et un sentiment généralisé de ne pas être bienvenus dans le réseau de la santé. Le résultat est que nous hésitons à obtenir des soins, même lorsque nous savons que c’est nécessaire.

Lorraine Whitman, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada