(Ottawa) Le gouvernement Trudeau croit qu’il faut augmenter l’immigration francophone pour assurer la pérennité de la langue française au pays. À cette fin, le ministère de l’Immigration devra respecter des cibles précises pour attirer des immigrants francophones afin de maintenir le poids démographique de la population francophone en milieu minoritaire.

Soutenant qu’il y a « [péril] en la demeure », la ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly, affirme qu’Ottawa doit redoubler d’efforts pour attirer davantage d’immigrants qui parlent la langue de Molière.

D’où l’idée d’inscrire noir sur blanc, dans la loi, l’obligation du ministère de l’Immigration de recruter des immigrants francophones chaque année. Et pour la toute première fois, un sous-ministre au sein de la fonction publique fédérale se verra confier cette mission.

Selon Mme Joly, qui a dévoilé la semaine dernière un document de réforme d’une trentaine de pages visant à dépoussiérer la Loi sur les langues officielles adoptée il y a plus de 50 ans, l’immigration francophone « est fondamentale » pour assurer la pleine réussite de la réforme qu’elle préconise.

« C’est la survie de certaines communautés francophones qui est en jeu. Il faut absolument non seulement avoir des appuis au niveau de l’immigration en français – on le fait un peu en ce moment –, mais il faut que ça soit dans la loi », a affirmé la ministre Joly durant une entrevue éditoriale accordée à La Presse cette semaine.

Il faut que le ministère de l’Immigration ait le réflexe de recruter des immigrants francophones, de les accueillir en français et de travailler avec des communautés francophones qui elles-mêmes vont accueillir en français ces immigrants, et que par la suite ces immigrants aient le réflexe d’envoyer leurs enfants à l’école en français.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles du Canada

Dans le passé, peu d’efforts ont été déployés par le gouvernement fédéral pour accueillir de nouveaux arrivants francophones. En outre, l’attrait de l’anglais s’est imposé pour ceux qui ne parlent pas les deux langues officielles, réduisant du coup le poids démographique des francophones hors Québec. Ottawa veut corriger le tir de manière à ce que leur poids démographique représente au moins 4,4 % de la population du pays.

Le gouvernement Trudeau a fixé des cibles ambitieuses en matière d’immigration, notamment pour assurer la croissance de l’économie et pallier la pénurie de main-d’œuvre. En octobre dernier, le ministre de l’Immigration, Marco Mendicino, a annoncé qu’Ottawa comptait admettre 1,2 million d’immigrants au pays d’ici 2023 – soit 400 000 par année.

L’égalité au cœur de la réforme

Dans son plan de réforme, la ministre Joly propose aussi qu’Ottawa recrute des professeurs de français à l’étranger afin de pourvoir les nombreux postes dans les écoles d’immersion française.

Parmi les autres mesures de la réforme, la ministre veut donner un meilleur accès aux classes d’immersion française, garantir le droit de travailler en français dans les entreprises de compétence fédérale au Québec et dans les régions à forte densité francophone dans le reste du pays, et rendre obligatoire la nomination de juges bilingues dès leur entrée en fonction à la Cour suprême du Canada. Elle propose aussi d’enchâsser le Programme de contestation judiciaire dans une loi et d’accorder plus de pouvoirs au commissaire aux langues officielles.

Jusqu’ici, l’accueil a été favorable à ces propositions, même si le gouvernement Legault s’est contenté d’en prendre acte. La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, et le Conseil du patronat du Québec (CPQ), entre autres, ont salué l’initiative. Mais ils pressent aussi le gouvernement Trudeau de déposer le plus rapidement possible un projet de loi aux Communes afin de concrétiser le tout.

À ce sujet, Mme Joly a indiqué que la rédaction du projet de loi est commencée et qu’il sera déposé dès que le comité d’experts qu’elle a créé lui aura remis ses recommandations au sujet des modalités d’application des mesures touchant la langue de travail dans les régions à forte densité francophone. Le comité a 60 jours pour produire son rapport.

En entrevue, Mme Joly a indiqué que le gouvernement devait prendre des mesures « proactives et positives » pour faire la promotion du français s’il veut établir une égalité « réelle » entre les deux langues officielles du pays.

Et ce concept d’égalité réelle s’appuie sur des décisions des tribunaux. Elle cite à titre d’exemple la Cour suprême du Canada, qui, dans l’arrêt Beaulac, a statué que le bilinguisme institutionnel signifiait « l’accès égal à des services de qualité égale », et la Cour d’appel de l’Ontario, qui s’est prononcée pour le maintien de l’hôpital Montfort en Ontario et a reconnu l’importance des institutions pour la vitalité des communautés francophones.