(Ottawa) La Chambre des communes a unanimement reconnu lundi – mais sans vote du premier ministre et de son cabinet – l’existence d’un génocide contre les Ouïghours en Chine. Un vote non contraignant qui met le gouvernement en fâcheuse posture.

L’appui à la motion conservatrice a été unanime : 266 élus l’ont approuvée. La Chambre comptant 338 élus, il manquait 72 votes, soit 21 % du nombre total possible. Sur les banquettes libérales, la motion faisait l’objet d’un vote libre. Le premier ministre Justin Trudeau n’a pas pris part à l’exercice, pas plus que les ministres de son cabinet.

En fait, seul le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, s’est exprimé lors de la mise aux voix. « Je m’abstiens au nom du gouvernement du Canada », a-t-il déclaré. Peu après, il a publié un communiqué dans lequel il a réitéré ses inquiétudes face aux informations « faisant état d’horribles violations des droits de la personne » au Xinjiang.

Mais le gouvernement doit « travailler avec d’autres membres de la communauté internationale pour veiller à ce que de telles allégations fassent l’objet d’une enquête par un organisme international et indépendant composé d’experts juridiques » et continue à réclamer « une enquête internationale crédible en réponse aux allégations de génocide », a insisté le diplomate en chef du Canada.

La motion portée par le député conservateur Michael Chong demandait que la Chambre « reconnaisse qu’un génocide est actuellement perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïghours et d’autres musulmans turciques » et enjoignait le gouvernement « à adopter officiellement cette position ». Grâce à un amendement bloquiste, elle exige également le déménagement des Jeux olympiques de Pékin en 2022.

À l’issue du vote, le chef de l’opposition officielle, Erin O’Toole, s’est dit « déçu de l’absence de leadership de Justin Trudeau et de son gouvernement », jugeant « inacceptable » et « terrible » que le Cabinet ne se soit pas exprimé sur l’enjeu. Son leader parlementaire, Gérard Deltell, avait auparavant qualifié de « gênant » et de « honteux » le fait que le premier ministre et ses ministres ne se « montr[ent] pas la face ».

L’ancien ambassadeur du Canada en Chinet Guy Saint-Jacques n’a pas été plus impressionné par la stratégie consistant à tenter d’établir une distinction entre le gouvernement et la volonté du Parlement. D’ailleurs, le régime chinois n’en verra pas, croit-il : « Pour eux, c’est la même chose ; ils vont dire qu’un gouvernement sérieux devrait être capable de contrôler le Parlement comme eux le font. »

Et selon celui qui a été en poste entre 2012 et 2016, en soufflant ainsi le chaud et le froid, les libéraux ne font que rappeler une fois de plus qu’ils tardent à se montrer à la hauteur des attentes au chapitre de la redéfinition de la relation sino-canadienne. « L’ancien ministre François-Philippe Champagne nous avait promis une révision de la stratégie de réengagement avec la Chine et, là, c’est en train de devenir En attendant Godot », lâche-t-il.

Les députés font fi d’un avertissement

À l’approche du vote des députés, l’ambassadeur de Pékin à Ottawa leur avait lancé une mise en garde dans une entrevue non sollicitée avec La Presse Canadienne. « Nous nous opposons fermement à cela, parce que cela va à l’encontre des faits », a affirmé samedi Cong Peiwu. En s’exprimant sur le processus parlementaire, il a argué que cela représentait une ingérence dans les affaires chinoises.

Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe était parvenu à amender la motion conservatrice (à 229 voix contre 29) afin d’y ajouter une requête au Comité international olympique « de déplacer les Jeux olympiques de 2022 si la République populaire de Chine continue ce génocide ». Il y a quelques semaines, l’élu avait rallié une coalition d’élus des Communes et de l’Assemblée nationale pour faire ce plaidoyer.

La semaine passée, l’ancien ministre libéral de la Justice Irwin Cotler, qui conseille l’actuel gouvernement sur la préservation de la mémoire de l’Holocauste, a suggéré au gouvernement Trudeau de faire un renvoi à la Cour suprême pour obtenir un avis. « C’est une question urgente et impérieuse », a-t-il écrit sur Twitter. Mais selon lui, les « preuves sont évidentes » qu’un génocide est en cours au Xinjiang.

Le gouvernement chinois nie catégoriquement les accusations de génocide dont il fait l’objet. De nombreux reportages médiatiques ont fait état de campagne de stérilisation massive, de viols et de torture contre cette population de confession musulmane du nord-ouest du pays. Un sous-comité de la Chambre des communes en est venu à la conclusion qu’il s’agissait d’un génocide l’automne dernier.

Avec La Presse Canadienne