(Québec) Le gouvernement Legault qualifie de « très graves » les accusations de « commandes politiques » passées à des ingénieurs du ministère des Transports (MTQ), mais s’en lave les mains.

Le ministre des Transports, François Bonnardel, a attribué mardi ces malversations au gouvernement libéral précédent.

Pourtant, le syndicat des ingénieurs a dénoncé la persistance des pressions politiques au MTQ, plusieurs années après la commission Charbonneau. Une source crédible révélait lundi à La Presse Canadienne que des ingénieurs étaient contraints régulièrement par les hauts-gestionnaires d’autoriser des projets superflus qui allaient à l’encontre des recommandations.

À la période de questions, le chef parlementaire péquiste, Pascal Bérubé, a enjoint le gouvernement à cesser ces pressions indues.

« Est-ce que le premier ministre peut s’engager à mettre fin à toute pression politique au ministère des Transports ? » a-t-il demandé.

« Les accusations du syndicat des ingénieurs sont très graves, des accusations de pressions politiques, mais qui auraient eu lieu sous le Parti libéral du Québec », a répondu M. Bonnardel.

Il a néanmoins laissé entendre qu’il était conscient du problème. Il a fait valoir qu’il était en train de rebâtir des équipes expérimentées d’ingénieurs au MTQ : 68 % des ingénieurs ont au moins six ans d’expérience. Aussi, il a indiqué que son ministère a atteint 90 % de sa cible de dotation d’ingénieurs et de techniciens en travaux publics.

Tous les partis d’opposition ont demandé mardi la fin des commandes politiques et ont réclamé une protection accrue des ingénieurs qui divulgueraient des malversations.

Selon Québec solidaire (QS), la Coalition avenir Québec (CAQ) a échoué à faire le ménage au ministère.

Sous Duplessis

« On se croirait sous le règne de Duplessis où un riche homme d’affaires est capable d’obtenir un ponceau pour se rendre à sa pourvoirie, où des élus municipaux, ou d’autres types d’élus, font des pressions pour obtenir un pont qui est inutile », a dénoncé le député péquiste Sylvain Gaudreault, en conférence de presse mardi à l’Assemblée nationale.

Le PQ propose notamment un projet de loi pour mieux protéger les « lanceurs d’alerte », donc les ingénieurs qui dénoncent des situations.

« On apprend qu’il y a des ingénieurs qui ont peur, qui parlent sous le couvert de l’anonymat, qui ont peur des représailles », a justifié M. Gaudreault.

Le Parti libéral (PLQ) réclame également une meilleure protection des lanceurs d’alertes, mais demande en outre de renforcer l’expertise au sein du MTQ, c’est-à-dire d’embaucher davantage d’ingénieurs pour mener les chantiers à l’interne _ à l’instar de ce que demande l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ).

« Ça ferait en sorte que les gens seraient capables de prendre davantage de décisions éclairées », a fait valoir la cheffe libérale, Dominique Anglade, en conférence de presse.

Quel ménage ?

Le leader parlementaire de Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-Dubois, a rappelé que sa formation avait déposé deux fois des projets de loi pour mieux protéger les employés de l’État qui dénoncent des situations.

« Non seulement la CAQ n’a pas fait le ménage qu’elle avait promis, mais en plus, elle échoue à au moins permettre aux gens qui ont des choses à dire à les dire sans avoir peur de perdre leur emploi. »

La semaine dernière, le président de l’APIGQ, Marc-André Martin, avait déploré que ses membres subissaient encore des pressions politiques, même plusieurs années après la commission Charbonneau, qui devait pourtant mettre fin aux irrégularités.

Ponts, mur antibruit, aqueducs

Une source bien au fait du dossier a rapporté lundi une série d’exemples où des ingénieurs ont dû agir à l’encontre des recommandations qu’ils avaient formulées, en raison de pressions politiques.

Un vieux pont qui était fermé et condamné à la démolition, en raison de la présence d’un autre ouvrage à proximité, a dû être reconstruit par le MTQ à grands frais, en raison de l’influence d’un élu, même si une étude d’ingénieur démontrait que ce ne n’était pas nécessaire.

Ou encore, un ingénieur qui a dû approuver la construction aux frais de l’État d’un petit ponceau qui mène à une pourvoirie propriété d’un riche homme d’affaires, le seul usager de cette route isolée.

En outre, le MTQ a dû construire un mur antibruit le long d’un tronçon routier, pourtant dans un champ inhabité, parce qu’une municipalité voulait favoriser le promoteur d’un éventuel projet immobilier résidentiel.

Au ministère de l’Environnement, des ingénieurs chargés d’analyser des projets de sites d’enfouissement ont été forcés d’approuver des projets, même s’ils savaient qu’ils comportaient des irrégularités potentielles.

Enfin, au ministère des Affaires municipales, des ingénieurs ont été contraints d’approuver des projets d’expansion de réseaux d’aqueduc municipaux même si les sommes devaient servir plutôt à rénover les conduites existantes.