(Ottawa) Depuis cinq ans, les sociétés pharmaceutiques se heurtent à un mur de quasi-indifférence de la part du gouvernement Trudeau, affirme-t-on dans le milieu. Cette absence de dialogue « constructif » entre le gouvernement fédéral et les géants de l’industrie pourrait expliquer en partie les difficultés que connaît le Canada en matière d’approvisionnement de vaccins.

L’an dernier, les PDG internationaux de Merck (États-Unis, Europe et Canada, notamment) ont écrit au premier ministre Justin Trudeau afin de solliciter une rencontre pour discuter des priorités du gouvernement en matière de politiques publiques et d’aborder les objectifs de la société pharmaceutique sur le plan de la recherche et de l’innovation.

Le bureau du premier ministre a poliment décliné cette demande de rencontre, a appris La Presse.

La présidente et directrice générale de Merck Canada Inc., Anna Van Acker, en poste depuis 2017 après une longue carrière en Europe, a pour sa part sollicité une rencontre avec l’ancien ministre de l’Industrie Navdeep Bains. Elle s’est aussi butée au même silence radio.

Et lorsque Merck a accouché d’un mémoire proposant des pistes de solution afin de permettre au Canada de consolider ses acquis dans ce secteur, l’accueil a été le même.

L’absence de dialogue « constructif » entre le gouvernement fédéral et les géants de l’industrie depuis cinq ans pourrait d’ailleurs expliquer en partie les difficultés que connaît le Canada en matière d’approvisionnement de vaccins par les temps qui courent, selon Mme Acker.

« Le Canada a les talents, les connaissances, les richesses, l’économie du savoir, l’intelligence artificielle et tout ça. Ce sont tous des atouts importants. Si on avait maintenant de bonnes politiques publiques et de bonnes relations avec le gouvernement fédéral et une stratégie stimulante, nous disposerions des outils nécessaires pour convaincre des entreprises comme Merck d’investir au Canada », a déclaré Mme Van Acker dans une entrevue avec La Presse.

Alors que le nouveau ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, s’est donné pour mandat de reconstruire les capacités de biofabrication au pays, Mme Van Acker estime qu’il ne pourra mener à bien cette tâche sans le concours et la concertation de l’industrie.

La PDG de Merck Canada Inc. donne en exemple le président de la France, Emmanuel Macron, et la chancelière de l’Allemagne, Angela Merkel, qui entretiennent « un dialogue constructif » avec les dirigeants des sociétés pharmaceutiques. Au début de la pandémie, M. Macron a lancé un appel solennel à la mobilisation de l’industrie pharmaceutique, allant jusqu’à réunir rapidement les dirigeants des laboratoires travaillant sur un vaccin contre la COVID-19.

On fait partie de la solution. C’est ça qu’il faut comprendre. Nous avons quand même un grand but en commun, soit de trouver les meilleurs médicaments pour les patients canadiens et de stimuler l’innovation dans des délais acceptables.

Anna Van Acker, présidente et directrice générale de Merck Canada

En décembre dernier, quand le Conseil sur la stratégie industrielle, mis sur pied par l’ancien ministre Navdeep Bains, a dévoilé son rapport et ses recommandations pour relancer l’économie après la pandémie, l’industrie pharmaceutique a constaté avec effroi que le secteur des sciences de la vie avait été complètement évacué. Le Québec, lui, en a pourtant fait un secteur prioritaire.

« Il n’y avait aucune mention de la priorité qui devrait être accordée au secteur des sciences de la vie. C’est incompréhensible que pendant que nous vivons une pandémie, une crise de santé mondiale, notre industrie ne soit même pas mentionnée comme un secteur prioritaire », a déploré Mme Van Acker.

Un climat de méfiance

Il faut dire qu’un climat de méfiance s’est installé entre Ottawa et l’industrie pharmaceutique depuis que le gouvernement Trudeau a annoncé son intention, il y a deux ans, d’accorder des pouvoirs élargis au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés afin de réglementer les prix des médicaments au Canada.

Sept géants de l’industrie pharmaceutique ont entrepris de contester devant les tribunaux ces changements « majeurs », qui ont été entérinés il y a quelques mois par le cabinet fédéral, au motif que le pouvoir de réglementer les prix des médicaments appartient exclusivement aux provinces et que celles-ci l’exercent d’une manière adéquate.

Des organisations telles que Fibrose kystique Canada, la Canadian Organisation for Rare Disorders et l’Intellectual Property Owners Association, entre autres, appuient la croisade judiciaire de ces entreprises. Ces organisations craignent que les velléités du gouvernement Trudeau amoindrissent les investissements et la recherche sur les nouveaux médicaments.

Dans un mémoire déposé devant la Cour supérieure du Québec, l’automne dernier, les entreprises ont estimé que la manœuvre du gouvernement Trudeau pourrait leur causer des pertes de 8,8 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Une somme faramineuse qui ne serait pas investie dans la recherche et l’innovation, prévient-on.

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) appuie aussi la position de l’industrie pharmaceutique et implore le gouvernement Trudeau de faire marche arrière.

« Des secteurs industriels clés comme celui des sciences de la vie doivent être considérés de façon particulière dans le cadre de la relance. Il est impératif que le gouvernement valorise davantage la recherche et l’innovation dans ce secteur en ayant des politiques attractives et compétitives. En ce sens, la réforme actuelle proposée du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés ne remplit malheureusement pas cet objectif et doit être reconsidérée », a affirmé la FCCQ dans un récent communiqué de presse.