(Québec) Le projet visant à créer au Québec un tribunal spécialisé dans les causes d’agressions sexuelles et de violence conjugale vient de franchir un pas de plus. Mais il reste un doute à savoir s’il verra vraiment le jour.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a annoncé lundi qu’il confiait à un groupe de travail le mandat de jeter les bases de ce tribunal spécialisé, depuis longtemps réclamé par les groupes de femmes. Ce comité devra voir quelle est la faisabilité du projet et indiquer comment il peut se traduire, concrètement, au quotidien, dans les palais de justice.

Québec donne ainsi suite au rapport d’un groupe d’experts, déposé en décembre, qui recommandait la création d’une telle instance, afin de mieux accompagner en cour les victimes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale, qui se sentent souvent lésées par le processus judiciaire ou qui renoncent d’emblée à porter plainte, ne faisant pas confiance au système de justice.

S’il n’en tient qu’au ministre de la Justice, tout indique que le tribunal spécialisé verra bel et bien le jour. « Mon souhait, à titre de ministre de la Justice, c’est de donner suite à la recommandation (du comité d’experts), qui recommande la création d’un tribunal spécialisé », a-t-il observé en entrevue téléphonique.

Mais l’opposition demeure sceptique et lui reproche de ne pas s’engager formellement, dès maintenant. En entrevue téléphonique, la députée péquiste Véronique Hivon juge que « la première étape, c’est que le ministre adhère vraiment, clairement, à l’idée » du tribunal, sans faux-fuyant. Le temps des études est passé, il faut maintenant passer à l’engagement et à l’action, réclame Mme Hivon.

Cette dernière est la porte-parole d’un comité d’élues transpartisan à l’origine de la démarche amorcée en vue de revoir l’approche judiciaire québécoise privilégiée envers les victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Les autres élues sont la ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest, la députée solidaire Christine Labrie et la députée libérale Isabelle Melançon.

Le groupe d’élues, qui s’est engagé à faire le suivi du rapport d’experts, devait s’entretenir lundi avec le ministre de la Justice, en fin de journée, pour faire valoir ses attentes.

Quoi qu’il en soit, il reste encore plusieurs étapes à franchir et plusieurs obstacles à surmonter, avant d’accueillir les premières plaignantes.

Sitôt annoncée, la composition du futur groupe de travail est déjà contestée. Le ministre a indiqué qu’il sera formé de représentants issus du ministère de la Justice, du ministère de la Sécurité publique, du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), de la Commission des services juridiques et de la Cour du Québec.

C’est trop restreint, estiment certains groupes de femmes, mécontents de voir que les intervenants en relation directe avec les victimes ont été exclus de ce comité, contrairement à ce que recommandait le groupe d’experts dans son rapport, soucieux de confier à un « comité multidisciplinaire » la responsabilité de dessiner la nouvelle instance.

En entrevue, la porte-parole du Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, Louise Riendeau, se dit persuadée que « si on veut être sûr que ça réponde aux besoins des victimes, qu’on rebâtisse la confiance des victimes, on pense que des groupes comme le nôtre devraient être là ».

Le ministre Jolin-Barrette ne ferme pas la porte à cette idée. Il explique que, dans un premier temps, il souhaitait d’abord réunir les acteurs « qui opèrent au quotidien dans le système de justice », ceux qui sont en première ligne, en termes « organisationnels ». Cependant, « on pourra élargir par la suite », a-t-il dit.

Pour s’assurer que la formule retenue réponde véritablement aux attentes, Mme Riendeau suggère d’implanter le futur tribunal graduellement, en créant d’abord un projet-pilote dans un palais de justice situé dans un district de taille moyenne. Le ministre estime qu’il est encore trop tôt pour préciser ce genre de choses.

S’il voit le jour comme prévu, le tribunal spécialisé fournira une aide accrue aux victimes à toutes les étapes du processus, soit avant, pendant et après les procédures judiciaires. L’idée consiste à s’assurer que le système judiciaire s’adapte mieux aux besoins particuliers des victimes de crimes sexuels et de violence conjugale, des femmes dans la grande majorité des cas, souvent désemparées devant le dédale administratif et la froideur du système.

Les agressions sexuelles constituent l’un des crimes contre la personne les moins dénoncés à la police, soit de l’ordre d’environ 5 %.

Un tribunal spécialisé présenterait l’avantage d’être composé de membres (policiers, avocats, procureurs, intervenants) spécialement formés en matière de violence sexuelle et conjugale. En principe, un tel tribunal offrirait également divers accommodements aux victimes pour les aider à témoigner, à mieux se préparer, et viserait à raccourcir le délai de traitement des dossiers.

On veut que les plaignantes « se sentent vraiment partie prenante du processus », précise Véronique Hivon.