(Québec) Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pourra offrir des excuses à Mamadi III Fara Camara lorsque des résultats d’expertises permettront de l’exonérer complètement. L’homme qui a été libéré mercredi est encore considéré comme un témoin important dans l’affaire du policier agressé le 28 janvier dernier.

En point de presse jeudi après-midi, le directeur du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron, a déploré les « conséquences très regrettables » de cette situation « exceptionnelle ».

M. Caron ne va pas aussi loin que la mairesse Valérie Plante qui avait affirmé plus tôt aujourd’hui que M. Camara était un homme « innocent ». « Il faut être prudent avant d’accuser un citoyen, mais il faut également l’être avant de le disculper, a-t-il affirmé. C’est ce que nous faisons : nous sommes prudents. »

Questionné à savoir pourquoi il s’exprimait plus de 24 heures après la libération surprise de M. Camara, Sylvain Caron a expliqué qu’il espérait recevoir les résultats d’analyses d’ADN et de sang trouvés sur les lieux du crime avant de s’adresser aux médias. Il dit également vouloir attendre ces résultats avant de s’excuser officiellement à M. Camara.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Mamadi III Fara Camara, un chargé de laboratoire à Polytechnique, a été relâché mercredi du palais de justice de Montréal, libéré des accusations qui pesaient contre lui.

Dans une « volonté de transparence », M. Caron se dit prêt à accueillir un observateur indépendant au SPVM qui pourra évaluer le travail qui a été fait jusqu’à maintenant par les enquêteurs.

Plus tôt aujourd’hui, le gouvernement Legault a dit vouloir faire la lumière sur le traitement qu’a subi Mamadi III Fara Camara, cet homme libéré mercredi à Montréal d’accusations de tentative de meurtre sur un policier. Le SPVM soutient que l’attaque survenue contre son policier, le 28 janvier, est un évènement « d’une complexité exceptionnelle ».

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a indiqué en début d’après-midi être en discussion avec la Ville de Montréal pour trouver la meilleure formule pour faire la lumière sans nuire à l’enquête toujours en cours. « Les circonstances ayant conduit à la mise en accusation de M. Mamadi Fara Camara doivent être examinées », a déclaré la ministre sur les réseaux sociaux.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, réclame que l’enquête sur les circonstances de sa mise en accusation soit indépendante, excluant du coup le SPVM et le Directeur des poursuites criminelles de pénales (DPCP).

Mme Plante n’exclut pas de faire appel à la Commission sur la sécurité publique de la Ville. L’élue a par ailleurs réitéré l’importance d’implanter des caméras corporelles dans les corps policiers, soulignant que ces appareils auraient pu fournir « un élément de preuve » supplémentaire dans le cadre de l’enquête en cours.

« Concernant la personne qui a commis ce crime-là, oui ça m’inquiète. Le SPVM doit absolument accélérer et mettre tout en oeuvre pour retrouver cette personne. Il y a aussi une arme en circulation », a ajouté Mme Plante.

« Histoire épouvantable »

À Québec, la cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, affirme que « cette histoire est franchement épouvantable ». À la période de questions, sa formation politique a demandé au gouvernement qu’il déclenche une enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), ce à quoi le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a répondu que c’était « une option qui est envisagée ».

« Je pense à cette personne qui a été arrêtée, qui a été détenue pendant plusieurs jours. Je pense à sa femme enceinte de jumeaux et je me dis que c’est épouvantable. Il faut absolument aller au fond des choses. La seule chose à faire, présentement, c’est d’aller au fond des choses [et qu’il y ait] une enquête pour qu’on puisse savoir ce qui s’est passé », a déclaré Mme Anglade jeudi.

Mamadi III Fara Camara, un chargé de laboratoire à Polytechnique, a été relâché mercredi du palais de justice de Montréal, libéré des accusations qui pesaient contre lui. Après avoir visionné le contenu vidéo d’une caméra du ministère des Transports, les enquêteurs ont observé la présence d’un autre individu sur les lieux où un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a été attaqué. Les recherches pour trouver cette personne se poursuivent.

M. Camara, qui clamait son innocence et qui aurait lui-même alerté le 911 après l’attaque, a-t-il été victime de profilage racial de la part des enquêteurs ? « La question se pose », tranche Dominique Anglade, qui exige « des réponses à toutes ces questions ». Le ministre Simon Jolin-Barrette a défendu jeudi le travail du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), affirmant qu’il a agi en « toute diligence ».

La cheffe de Québec solidaire, Manon Massé, affirme que la question du profilage racial « est sur toutes les lèvres ». « Il faut absolument que la lumière soit faite sur cette situation. Le profilage racial, c’est inquiétant dans une société comme la nôtre, et la question se pose », a-t-elle affirmé.

C’est très étonnant comme histoire, inquiétant, mais je pense qu’il y a seulement une enquête pour nous donner l’heure juste sur ce qui s’est réellement produit. Les faits semblent pour le moins ahurissants.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

« Complexité exceptionnelle », dit le SPVM

Dans une déclaration transmise aux médias jeudi en fin d’avant-midi, le SPVM a insisté sur la nécessité de « faire la lumière » sur la « complexité exceptionnelle » de l’enquête entourant la tentative de meurtre d’un de ses policiers, dans le quartier Parc-Extension.

« Bien qu’un suspect ait été appréhendé le jour même de l’événement, les enquêteurs du SPVM ont déployé toutes les méthodes et stratégies d’enquêtes habituelles, et ce, dans un souci de recherche de vérité et de justice dans le cadre sa mission de sécurité publique », assure le corps policier. Son directeur, Sylvain Caron, en a d’ailleurs profité pour lancer un message à la population.

Je veux que les Montréalaises et les Montréalais sachent que l’événement survenu le 28 janvier dernier est d’une complexité exceptionnelle. Nos enquêteurs travaillent sans relâche depuis l’événement à élucider ce qui est arrivé.

Sylvain Caron, directeur du SPVM

Par ailleurs, le SPVM souligne que malgré le travail des enquêteurs qui a permis de faire une nouvelle analyse des éléments de preuve et de libérer Mamadi III Fara Camara, « les images vidéo à l’étude ne sont pas à elles seules disculpatoires ». « À l’heure actuelle, la combinaison de tous les éléments de preuve nous permet d’envisager la présence d’une personne additionnelle sur la scène de l’événement, le soir du crime », indique-t-on, tel qu’il a été rapporté par La Presse jeudi matin.

« C’est du racisme systémique », dit la Ligue des Noirs

Pour le président de la Ligue des Noirs du Québec, Max Stanley Bazin, l’arrestation de Mamadi III Fara Camara incarne la discrimination dont sont victimes les personnes racisées en matière d’interpellations policières. « C’est l’illustration de la discrimination systémique et du racisme systémique. On se pose la question : si ça avait été un Blanc, est-ce que tout ça serait arrivé ? Est-ce qu’on l’aurait considéré automatiquement comme un coupable ? », fustige-t-il.

L’organisme affirme que les dérives potentielles auraient été grandes dans cette affaire, n’eût été la présence des bandes vidéo. « M. Camara a fait office de coupable idéal, par le simple fait qu’il est Noir et qu’il était sur place. Ça ne peut plus fonctionner comme ça », martèle M. Stanley Bazin. Il affirme que les atteintes « graves à la personne, à la réputation, à l’image, à l’honneur » du Montréalais de 31 ans doivent être adressées. « Au surplus, il a été obligé de payer un avocat. Ce sont des atteintes qui arrivent trop souvent à des citoyens racisés », renchérit-il.

C’est malheureux, mais encore aujourd’hui, une personne racisée qui présente un témoignage à la police risque de se retrouver sur le banc des accusés.

Max Stanley Bazin, président de la Ligue des Noirs

Pour la Ligue, la solution est simple : il faut surtout reconnaître l’existence du racisme systémique au Québec pour mieux combattre le profilage racial dans la police. « On doit prendre tous les moyens pour changer ça, et ça commence par une reconnaissance de ces enjeux », martèle son président.

La CDPDJ en analyse

Jointe par La Presse, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) s’est dit « profondément troublée » par cette affaire. L’organisme dit avoir été « interpellé par cette situation dont les conséquences sur l’homme et sur ses proches sont certainement dévastatrices ».

Ainsi, la CDPDJ indique qu’elle analyse présentement « tous les moyens d’action dont elle dispose » en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.

« Nous devons faire la lumière sur cette situation et analyser les conséquences sur l’exercice et la protection des droits protégés par la Charte ainsi que les aspects potentiellement discriminatoires, » a soutenu la vice-présidente de la Commission, Myrlande Pierre, en insistant sur le fait que les récents travaux en matière de profilage racial « nous font constater la prévalence constante de ce phénomène ».