(Ottawa) Même si les parlementaires réclament unanimement la citoyenneté canadienne pour Raïf Badawi, des sources gouvernementales refroidissent les ardeurs de ceux qui y voient une porte de sortie pour le Saoudien emprisonné.

C’est à l’initiative d’une motion du Bloc québécois que les élus se sont entendus, mercredi, pour demander au ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté d’attribuer la citoyenneté à M. Badawi.

En lisant la motion en Chambre, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a souligné que le ministre Marco Mendicino a ce pouvoir discrétionnaire étant donné que l’homme se retrouve dans une « situation particulière et inhabituelle de détresse ».

La motion, bien qu’unanime, ne force la main du ministre que moralement. M. Mendicino n’est donc pas tenu d’y donner suite.

« Nous ne sommes pas totalement convaincus que ça améliorerait sa situation », a avancé une source gouvernementale, préférant ne pas être nommée, en soulignant que l’Arabie saoudite ne reconnait pas la double citoyenneté.

« Ça pourrait même empirer (sa situation) », a-t-elle ajouté, évoquant de possibles conséquences sur son traitement en prison.

Ce n’est pas le calcul que font des organismes comme Amnistie internationale qui a porté la cause du blogueur depuis 2012.

Raïf Badawi a été condamné à 10 ans de prison et à 1000 coups de fouet pour avoir créé un forum en ligne afin de discuter de questions sociales en Arabie saoudite. Les autorités saoudiennes lui ont reproché d’insulter l’islam. Il est emprisonné depuis juin 2012. Sa conjointe et ses trois enfants sont installés au Québec.

Mercredi après-midi, au bout du fil, sa conjointe Ensaf Haidar exprimait sans retenue sa joie et son espoir.

« Ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est extraordinaire ! Ça donne beaucoup d’espoir à Raïf […], à toute la famille. Nous sommes canadiens et maintenant, lui aussi il sera canadien », a-t-elle dit.

M. Badawi contacte sa femme, de sa prison saoudienne, deux ou trois fois par semaine ; de courts appels qui sont toujours sous écoute. Mme Haidar souligne que dans de pareilles circonstances, il est difficile de se dire beaucoup de choses.

« C’est pour ça que je n’ai pas beaucoup de détails sur […] sa santé » s’est-elle désolée, bien qu’elle soit convaincue que « son moral n’est pas bon ».

Elle ne sait pas quand viendra le prochain appel, mais à ce moment-là, elle lui annoncera ce dernier développement, « pour son moral ».

Et elle voudrait que cette citoyenneté soit accordée rapidement.

« Même si ça ne change rien à la condamnation de Raïf, même s’il reste jusqu’à la fin de la peine (en juin 2022), ça monterait le moral de Raïf. Ça monterait notre moral aussi. […] Ça voudra dire que quand il sortira de prison, il sera avec nous tout de suite », croit-elle.

Elle espère ainsi que lorsque son conjoint sortira de prison, il sortira aussi d’Arabie saoudite et viendra la rejoindre, elle et leurs trois enfants aujourd’hui âgés de 13, 16 et 17 ans.

De son côté, le Bloc québécois s’est félicité de cet exploit. Il en était à sa troisième tentative. La dernière fois, il y a un peu plus d’un an, des conservateurs s’étaient opposés à l’adoption d’une motion semblable.

« C’est un moment que nous attendons depuis bientôt neuf ans. […] Maintenant qu’il s’agit d’une demande formelle de la Chambre, Justin Trudeau et le ministre Marco Mendicino doivent agir maintenant. Chaque jour compte pour Raïf Badawi et sa famille alors que sa santé en prison est constamment en danger », a déclaré, dans un communiqué publié en fin de journée, M. Blanchet.

Les bloquistes estiment que la citoyenneté canadienne permettrait à Ottawa d’offrir des services consulaires au Saoudien et d’exiger sa libération.

Dans sa réaction officielle, le ministre Mendicino ne s’est engagé à rien de concret.

« Nous restons bien au fait du cas de Raïf Badawi. Les responsables canadiens continuent de soulever son cas au plus haut niveau et nous avons demandé à maintes reprises que la clémence lui soit accordée », a déclaré Alexander Cohen, porte-parole du ministre, dans un courriel transmis mercredi soir.