Effervescence… C’est le mot que Simon Jolin-Barrette a utilisé pour qualifier la réaction des Québécois au dossier de la protection de la langue française. Le ministre de la Justice faisait référence au plan d’action qu’il va bientôt présenter sur le sujet.

Après le chantier de la laïcité, on dirait bien que les dossiers « effervescents » sont devenus la spécialité de Simon Jolin-Barrette. « J’aime ça et j’aime quand il y a des résultats, dit-il. Ce sont des mandats qui nécessitent beaucoup de volonté, beaucoup de travail. Et j’ajouterais de courage politique. Je le prends comme une marque de confiance du premier ministre. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le ministre Simon Jolin-Barrette, rencontré dans son bureau au palais de justice de Montréal

J’ai sollicité cette rencontre dans le but de parler de la protection de la langue française, notamment à Montréal. Préférant éviter la froideur des rencontres virtuelles sur Skype ou Zoom, Simon Jolin-Barrette m’a donné rendez-vous dans ses bureaux du palais de justice de Montréal.

Si ce n’était des œuvres de la collection Loto-Québec accrochées aux murs, les lieux pourraient passer pour ceux d’une compagnie d’assurances. Les pièces sont occupées par une poignée de trentenaires au look décontracté qui forment le noyau autour de celui que certains appellent SJB.

La séance de photos terminée, on nous a entraînés dans une grande salle de réunion. Simon Jolin-Barrette a attaqué de front le sujet qui occupe tout son temps depuis quelques mois : un plan qui va assurer la protection et la valorisation de la langue française au Québec.

On s’en vient avec un plan ambitieux, costaud, mais nécessaire.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

Nous apprenions il y a quelques jours que ce plan devrait rassembler des politiques ministérielles et des mesures réglementaires et législatives. Simon Jolin-Barrette a la ferme intention de mettre en application des règlements qui existent déjà et qui sont ignorés.

« Il existe une politique linguistique gouvernementale et elle n’est pas respectée, dit-il. Il y a des ministères qui ne l’ont jamais adoptée, d’autres qui l’ont adoptée à moitié et d’autres qui l’ont adoptée et qui ne l’appliquent pas. Dans certains cas, il y a des fonctionnaires qui ne savent pas si leur ministère a une politique. »

Au cours de cet entretien, Simon Jolin-Barrette a longuement insisté sur les jeunes. Il est clair que plusieurs mesures les viseront. « La sensibilité par rapport à la langue française est moins présente chez les jeunes de ma génération que chez les citoyens plus âgés. »

Il faut transmettre aux plus jeunes l’envie de protéger leur langue.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

Plus il parlait de son plan et plus il devenait évident que celui-ci impliquerait l’ensemble de ses collègues. « Oui, ce plan aura des ramifications dans tous les ministères », s’est-il contenté de dire, un sourire en coin.

Montréal doit donner l’exemple

Depuis quelques mois, Simon Jolin-Barrette envoie des signaux très clairs : il faut resserrer la vis afin de faire respecter les règlements qui protègent la langue française. C’est dans ce but que le ministre a rencontré la mairesse Valérie Plante en juillet dernier pour lui parler, notamment, des certificats de francisation que la moitié des arrondissements de Montréal ne possèdent toujours pas après de nombreuses années. Rappelons qu’un processus a été enclenché sous l’administration Coderre.

Jeudi dernier, Simon Jolin-Barrette a rappelé à Valérie Plante qu’il souhaitait que les choses bougent rapidement. Il a déposé une motion à l’Assemblée nationale demandant à la Ville de Montréal de se conformer à la loi 101. La motion a été appuyée par l’ensemble des partis.

L’équipe de Valérie Plante a été prévenue de la chose deux heures avant la présentation de la motion. Cela n’a pas empêché la mairesse de Montréal d’exprimer un certain agacement aux journalistes. Elle « s’explique mal » ce geste, car, selon elle, tout est réglé ou en voie de l’être.

« Ce n’est pas un blâme à l’encontre de la Ville de Montréal, dit Simon Jolin-Barrette. La motion rappelle que dans notre métropole, ça doit se passer en français. Le concept d’exemplarité de l’État inclut les municipalités. »

Si le vaisseau amiral ne se conforme pas à la Charte de la langue française, au processus de francisation, comment peut-on envoyer un message aux entreprises et aux citoyens de valoriser la langue française ?

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

Guerrier solitaire

Fraîchement nommé à la tête du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon a qualifié le mandataire du dossier de la langue française de « guerrier solitaire ». Il trouve formidable que le ministre de la Justice pilote ce dossier avec passion, mais il affirme que la CAQ fait preuve de contradiction.

D’un côté, elle augmente le budget de l’Office québécois de la langue française (OQLF) de 5 millions en créant une cinquantaine de nouveaux postes, dont des inspecteurs. Et de l’autre, elle offre des centaines de millions à des établissements anglophones comme le collège Dawson, l’hôpital Royal Victoria ou l’Université McGill.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

« Au sujet de l’OQLF, c’est la première fois qu’elle a autant de ressources depuis les années 90, rétorque Simon Jolin-Barrette. Pour ce qui est du collège Dawson, il a des besoins. Cela dit, la langue normale des études demeure le français. Je peux vous dire que je ne suis pas solitaire là-dessus. On est un gouvernement national qui veut renforcer la présence du français. »

Simon Jolin-Barrette a entre les mains un dossier qui, historiquement, « appartient » au Parti québécois. Il en est bien conscient. « La réaction de M. St-Pierre Plamondon est un peu ironique, dit-il. À divers moments, le PQ a eu l’occasion de mettre en place des mesures pour favoriser la francisation des personnes immigrantes ou renforcer la langue française dans certains domaines et il ne l’a pas fait. »

Réaction des anglophones

Depuis quelques semaines, les médias anglophones suivent de près les annonces faites par Simon Jolin-Barrette dans le but de protéger la langue française.

Les anglophones du Québec sont aussi des électeurs. Le ministre craint-il de les décevoir ? Devrait-il tenir compte de cet enjeu comme semble le faire Valérie Plante à un an des élections ?

« Ça ne devrait pas. On devrait élever la question de la langue française au-delà de la partisanerie et des choix politiques. Toutes les statistiques le démontrent. Il y a une diminution de l’utilisation du français, les allophones migrent difficilement vers la langue française, l’accueil dans les commerces se fait de plus en plus en anglais ou de manière bilingue. Nonobstant qu’il y aura des élections à Montréal l’année prochaine, le leadership doit se faire. »

Voilà déjà 45 minutes que nous discutons. Simon Jolin-Barrette formule chacune de ses réponses avec la fermeté qui le caractérise. Il revient sur la réaction des anglophones pour s’assurer que son message est clair.

« Mon but n’est pas d’opposer les anglophones aux francophones. Je suis conscient de la sensibilité de la communauté anglophone. Le plan que je vais déposer ne va pas limiter ses droits ou ceux de ses institutions. Le mélange des langues, c’est très bien, mais il faut clairement établir une chose : la langue d’usage, la langue commune et la langue d’intégration, surtout des personnes immigrantes, c’est le français. Et ça, c’est non négociable. »