L’option souverainiste traîne de la patte dans les sondages. À l’été 1995, le Oui risque de rééditer le score de 1980. Autour de Jacques Parizeau, réunis en Conseil des ministres, les membres du gouvernement s’entendent sur l’une des causes importantes de cette désaffection : les femmes restent majoritairement imperméables aux arguments souverainistes.

Vingt-cinq ans après les faits, les délibérations du Conseil des ministres rendues publiques récemment jettent une lumière crue sur les inquiétudes des stratèges péquistes. Fin juin, dans leur dernier conclave avant les vacances d’été et le début, en août, de la campagne référendaire, les ministres discutent du faible engouement des femmes devant la stratégie du gouvernement. Les femmes autour de la table s’expriment d’abord.

Ministre du Tourisme, Rita Dionne-Marsolais constate « qu’un grand nombre de femmes sont peu politisées et peu structurées dans leur réflexion politique », retient le haut fonctionnaire chargé de produire la transcription des échanges. La marche « Du pain et des roses » a eu lieu plus tôt cette année-là, mais « les mesures que le gouvernement a mises de l’avant suite à la marche des femmes contre la pauvreté n’apporteront aucun vote additionnel en faveur du Oui au référendum. La plupart des femmes ont peur des changements […], on doit adopter un discours qui les sécurise », poursuit-elle.

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Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, et Jacques Parizeau, chef du Parti québécois, accompagnées de leur femme respective, lors du référendum de 1995

Selon Jeanne Blackburn, titulaire de la Sécurité sociale, le désaveu des femmes à l’endroit du courant souverainiste semble être devenu « une fatalité ». « Les derniers sondages ont révélé que le nombre de femmes qui appuient la souveraineté n’a pas évolué », constate-t-elle, préconisant que le gouvernement nomme davantage de femmes à la tête des organismes publics.

Parizeau approuve et ajoute que les femmes membres du Conseil des ministres devront « être plus présentes sur la scène politique », libérées davantage de leurs tâches ministérielles. Surtout, il préconise qu’un sondage serré soit mené spécifiquement après de la clientèle féminine.

Les femmes, moins souverainistes ? Ce constat n’était pas nouveau, relève aujourd’hui Jean Royer, chef de cabinet de Jacques Parizeau à l’époque.

Déjà, dans la campagne du référendum de 1992 sur l’entente de Charlottetown, on constatait, chez les francophones de 30 à 60 ans, un écart important, de près de huit points, entre l’appui des hommes et celui des femmes à la souveraineté.

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Partisanes du Oui lors du référendum de 1995

Les « focus groups » étaient unanimes : les femmes approuvaient un discours plus rassurant, où se retrouvaient les mots « entente », « consensus », « accord ». « C’est comme si l’idée de conflit, de mésentente, est plus difficile à accepter pour une femme que pour un homme. »

La campagne des souverainistes en 1995 se voudra plus rassurante, les souverainistes marqueront des points auprès des électrices, même si une déclaration de Lucien Bouchard sur les « femmes blanches » qui ne faisaient pas suffisamment d’enfants avait soulevé la controverse.

En 1995, le camp du Oui mettra bien des efforts pour convaincre ces femmes, souvent dans le camp des indécis. L’entrée en scène de Lucien Bouchard a aidé : la question référendaire insiste sur les notions d’entente et de partenariat. À la fin de la campagne, l’écart entre le vote des femmes et celui des hommes sera considérablement réduit, mais il y aura toujours plus de femmes du côté fédéraliste.

Landry expéditif

Mais ce 28 juin 1995, derrière les portes closes du Conseil, Bernard Landry n’est pas partisan des grandes manœuvres pour se rapprocher de cet électorat. « Quant à l’adhésion des femmes à la souveraineté, le gouvernement n’a pas le temps de politiser les femmes qui ne le sont pas. » C’est, selon lui, par la « convivialité qu’il faut aborder les femmes qui ne sont pas politisées », leurs enfants et leurs petits-enfants seront plus à même de les convaincre.

D’ici le vote, le gouvernement doit se garder de tout geste « diviseur », « c’est plutôt le temps de faire plaisir à la population », conclut le vice-premier ministre. Plus tôt, François Gendron (Ressources naturelles) avait conseillé aux collègues ministres « de faire disparaître la perception populaire à l’effet que le gouvernement ne pense qu’au référendum ».

La semaine précédente, le conflit de travail avec les agents de la Sûreté du Québec avait soulevé l’inquiétude autour de la table. Parizeau a dit craindre des « évènements inattendus », des moyens de pression de la part des agents.

Il serait embarrassant que le gouvernement « soit dans l’obligation de faire appel à l’armée canadienne », a laissé tomber le premier ministre, rappelant que dans le passé, les conflits avec les policiers avaient fait tache d’huile dans l’ensemble des secteurs public et parapublic.

En aparté, Rita Dionne-Marsolais s’insurge de voir cinq candidats péquistes défaits en septembre 1994 toujours « en difficulté financière ». Les libéraux, quant à eux, avaient replacé tous leurs candidats malheureux, et le cabinet de Parizeau devrait s’occuper des siens, insiste-t-elle.

À la mi-juin, Jacques Parizeau avait prévenu ses ministres que la campagne référendaire débuterait en août. Cette campagne était une priorité absolue, et le gouvernement devait « retarder tous les projets politiques et les mesures qui pourraient s’avérer litigieux ».

Les délibérations du Conseil du 9 mai révèlent que le ministre des Finances, Jean Campeau, avait bon espoir de voir les firmes de cotation américaines maintenir leur évaluation du crédit québécois. Selon lui, si les agences « sont convaincues que le gouvernement réalisera les réductions de dépenses qu’il a prévues, il pourrait alors maintenir sa cote de crédit, ce qui constituerait déjà un succès ».

Parizeau relève qu’un déficit de 300 millions, inscrit pour aider Montréal dans ses négociations avec ses cols bleus, représente un risque pour la cote de crédit du Québec. Moins d’un mois plus tard, Moody’s, déçue de la performance économique du gouvernement Parizeau, abaissait d’un cran la cote du Québec au niveau de celle des provinces maritimes.

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Célébration du 40anniversaire du droit de vote des femmes, en 1980, organisée par le Comité des Québécoises pour le Oui.

Traumatisme de 1980

La défaite souverainiste de mai 1980 plane encore au-dessus de la table du Conseil des ministres. Pour Jacques Parizeau, « l’erreur commise au référendum de 1980 a été de débuter la campagne dans l’enthousiasme pour la terminer dans les chiffres. Cette fois-ci, on fera l’inverse ».

Le 8 mars, Bernard Landry souligne que « la lutte actuelle est plus importante que celle de 1980. À l’approche de la guerre, nos troupes connaissent la peur ». Pour Jacques Parizeau, durant les dernières semaines de la campagne de 1980, « la peur s’est manifestée dans la population et un repli vers le fédéralisme renouvelé s’est produit ».

Le gouvernement croyait être dédouané de cet argument, donner une dernière chance au fédéralisme, note Louise Beaudoin, « le gouvernement s’est même basé là-dessus. Ce n’est pas le cas ». Le débat tourne en rond autour de l’importance des arguments qui ne font pas appel au rationnel.

Jean Garon dit que ce fut une erreur de diviser les Québécois en francophones et anglophones, ce qui exclut ces derniers. Bernard Landry rétorque que depuis 30 ans, tous les termes ont été utilisés pour les englober, « mais ceux-ci se considèrent tout d’abord comme des Canadiens ». Après une séance d’échanges dans toutes les directions, le titulaire des Finances, Jean Campeau, intervient : il se demande « si de telles séances du Conseil des ministres servent uniquement à nous défouler ».