(Ottawa) Les fraudeurs qui ont réussi à usurper l’identité d’honnêtes contribuables afin de profiter de la générosité des programmes d’aide d’urgence mis sur pied par le gouvernement Trudeau ont touché le cercle du pouvoir à Ottawa. Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, a récemment été victime d’un vol d’identité de la part d’un arnaqueur qui cherchait à empocher illégalement la Prestation canadienne d’urgence (PCU), a appris La Presse de sources sûres.

À l’instar de plusieurs Canadiens qui ont été victimes d’un stratagème similaire au cours des derniers mois, le ministre Guilbeault a été contraint d’entreprendre des démarches méticuleuses auprès de plusieurs organismes pour éviter que l’usurpateur ne se livre à une fraude à grande échelle en utilisant son numéro d’assurance sociale, son adresse et son nom, selon nos informations.

Le bureau du ministre Guilbeault a toutefois refusé de donner quelque détail que ce soit au sujet du délit dont il a été victime et des problèmes que cela lui cause au motif que « tout renseignement sur le dossier fiscal d’un individu est confidentiel ».

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau a aussi refusé de faire des commentaires en invoquant les dispositions du droit à la confidentialité de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Selon nos informations, M. Guilbeault a informé certains de ses collègues du cabinet de la situation malheureuse dans laquelle il s’est retrouvé, notamment la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier.

Élu aux élections fédérales de l’automne 2019 dans la circonscription de Laurier–Sainte-Marie, nommé rapidement au cabinet par le premier ministre Justin Trudeau, M. Guilbeault est considéré comme une étoile montante des libéraux fédéraux en raison de sa vaste expérience dans le domaine de la protection de l’environnement, un dossier jugé prioritaire par le gouvernement Trudeau.

Le nom du ministre Steven Guilbeault s’ajoute donc à une longue liste de personnes qui ont été victimes de vol d’identité au cours des derniers mois, un fléau qui représente un véritable cauchemar pour ceux qui font les frais des fraudeurs sans scrupules.

Le fardeau de la preuve

Selon le professeur d’informatique à l’Université du Québec à Montréal Sébastien Gambs, les victimes s’aperçoivent du vol de leur identité une fois que le fraudeur a sévi. « Les gens le découvrent souvent par hasard. Tant que le crime n’a pas été fait, il est difficile de le savoir », a dit M. Gambs, qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en analyse respectueuse de la vie privée et éthique des données massives.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sébastien Gambs, professeur d’informatique à l’Université du Québec à Montréal

« Mais la grosse difficulté dans les usurpations d’identité, c’est pour les victimes de prouver que ce ne sont pas elles qui ont fait l’action. C’est beaucoup de coûts et de stress pour prouver leur innocence, et cela, en plus des conséquences du vol de leur identité », a souligné M. Gambs, qui recommande la plus grande prudence quant au partage de renseignements personnels comme la date de naissance, par exemple, sur les réseaux sociaux.

Plus on minimise les données que l’on partage, plus on limite les risques.

Sébastien Gambs, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en analyse respectueuse de la vie privée et éthique des données massives

Selon les plus récentes données du Centre antifraude du Canada, qui recueille de l’information au sujet de la fraude et du vol d’identité, on dénombrait, au 30 septembre, 18 553 victimes de fraude au pays cette année, comparativement à 19 927 victimes pour l’ensemble de l’année 2019. Les pertes financières liées aux fraudes qui ont été signalées s’élevaient à environ 67 millions de dollars jusqu’ici, alors qu’elles atteignaient 102,5 millions l’an dernier.

Personne n’est à l’abri

« Je ne peux que souhaiter bonne chance à Steven Guilbeault », a commenté le député conservateur Pierre Paul-Hus, qui est le critique de son parti dans le dossier de Services publics et Approvisionnement Canada et qui intervient aussi sur les questions de sécurité publique.

« J’imagine qu’en tant que ministre, il va avoir les ressources pour se sortir de tout cela. Mais c’est vraiment merdique pour les citoyens ordinaires qui se ramassent avec un problème de vol d’identité. C’est un fléau auquel le gouvernement doit s’attaquer avec les ressources qui s’imposent pour protéger les citoyens », a ajouté au bout du fil M. Paul-Hus en énumérant le vol des données personnelles chez Desjardins et Capital One.

Selon lui, le fait qu’un ministre du gouvernement fédéral soit aussi victime de ce fléau démontre que personne n’est véritablement à l’abri des malfaiteurs sans scrupules.

« Il faut trouver un moyen de renforcer la protection des données personnelles. Que cela arrive à un ministre, c’est la preuve que personne n’est à l’abri. Moi-même, je reçois parfois deux à trois appels par jour sur mon cellulaire de la Chambre des communes de la part de gens qui veulent m’extorquer en prétendant être des agents du gouvernement canadien », a-t-il dit.

Un fléau difficile à contrer

Les généreux programmes de soutien financier qui ont été créés par le gouvernement Trudeau alors que la pandémie de COVID-19 frappait les Canadiens de plein fouet au printemps ont suscité la convoitise des arnaqueurs.

Au cours des derniers mois, plusieurs médias, dont La Presse, ont fait état de cas de fraude liés à la Prestation canadienne d’urgence, par exemple. Et le stratagème utilisé par les malfaiteurs était d’une grande simplicité : le fraudeur volait l’identité d’un contribuable et l’utilisait par la suite afin de demander la PCU à sa place. Le fraudeur demandait ensuite à l’Agence du revenu du Canada de verser la prestation dans un nouveau compte qu’il avait ouvert au nom de sa victime dans une banque virtuelle. Il disparaissait ensuite facilement avec l’argent.

Dans son numéro de novembre, le magazine L’actualité publie d’ailleurs une enquête fouillée sur le vol d’identité et la fraude. L’enquête démontre que des fraudeurs réussissent à s’enrichir d’une manière impressionnante en volant les données personnelles des Canadiens et que ce fléau est difficile à contrer. Dans bien des cas, les fraudeurs utilisent les renseignements personnels qu’inscrivent allègrement les Canadiens sur les réseaux sociaux tels que Facebook et LinkedIn, entre autres, pour lancer leurs opérations de vol d’identité.