(Québec) « Profondément choqués » par la mort de Joyce Echaquan, d’anciens membres de la commission Viens critiquent durement le gouvernement Legault pour son inaction et son manque de transparence.

Des membres ayant participé à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics ont pris la plume pour exprimer leur « désarroi » à la suite du décès de la mère de Manawan, qui a été la cible d’insultes du personnel infirmier qui était à son chevet à l’hôpital de Joliette.

Dans une lettre transmise à La Presse, le regroupement rejette « la prétention » du gouvernement et de la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, voulant que 51 des 142 « appels à l’action » formulés par le juge à la retraite Jacques Viens aient été réalisés ou soient « en voie de l’être ».

« D’après nos vérifications, nous pouvons affirmer que seule une infime minorité des appels à l’action ont été pleinement mis en œuvre », écrivent-ils. Ils appellent le gouvernement « à une plus grande transparence » alors qu’il est impossible de connaître l’état d’avancement de ces actions.

Nous sommes très loin du bilan positif évoqué par le gouvernement, même en interprétant de manière très généreuse les appels à l’action qui auraient pu être simplement “mis en chantier” de manière préliminaire.

Extrait de la lettre signée par d’anciens membres de la commission Viens

Dans un communiqué soulignant l’anniversaire du rapport Viens, publié deux jours après la mort de Joyce Echaquan, Québec s’est dit « fier » de son bilan.

« Le fardeau de la preuve repose sur le gouvernement. S’il prétend, contrairement à ce que nous avons pu constater, avoir mis en œuvre plus du tiers des appels à l’action de la commission Viens, il lui revient de le démontrer en toute transparence », soulignent-ils.

La missive est signée par l’avocat et professeur à l’École d’études autochtones de l’UQAT Sébastien Brodeur-Girard. Ce dernier agissait à titre de codirecteur à la coordination de la recherche à la commission Viens. Il a signé le document « au nom du regroupement formé d’anciens membres » de la Commission.

MBrodeur-Girard a indiqué à La Presse que ce groupe a été formé dans la foulée de la mort de Mme Echaquan alors que d’anciens membres ressentaient le besoin de s’exprimer publiquement. Pour l’heure, le regroupement préfère s’en tenir au contenu de leur lettre et n’offrira pas d’entrevue.

Situation connue

Ils rappellent que dans le cadre de leurs travaux, une vingtaine de témoins ont rapporté « courageusement » des « récits de propos discriminatoires et de préjugés ayant entravé des diagnostics médicaux adéquats » à l’hôpital de Joliette. Ces récits ont été présentés aux dirigeants du CISSS de Lanaudière par les procureurs.

Notre désarroi est d’autant plus grand que le racisme à l’encontre des membres de la Nation atikamekw […] fréquentant l’hôpital de Joliette était déjà connu des dirigeants », déplore le regroupement. « Deux ans plus tard, nous constatons pourtant le racisme grave dont a été victime Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette.

Extrait de la lettre signée par d’anciens membres de la commission Viens

Il rappelle au passage la conclusion du rapport Viens selon laquelle il est « impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes » les autochtones.

Selon une source gouvernementale, Québec est ouvert à reconnaître l’existence de la « discrimination systémique ». Il est toutefois hors de question d’adopter l’expression « racisme systémique », et le premier ministre François Legault l’a réitéré lors d’une conférence de presse mercredi.

« Nous, on considère qu’il n’y a pas de racisme systémique, mais il y a du racisme, puis on va être le gouvernement qui en aura fait le plus pour lutter contre le racisme », a-t-il affirmé. « Il y a un groupe important de Québécois qui sont d’accord avec notre position, qui disent : “Ce n’est pas vrai qu’il y a un système raciste au Québec”, qui prennent même ça comme une offense au peuple québécois. Le peuple québécois n’est pas raciste. Donc, il faut être capable de mettre ensemble le groupe des Québécois qui pensent qu’il n’y a pas de racisme systémique avec le groupe qui pense qu’il y a du racisme systémique, les faire travailler les deux ensemble à lutter contre le racisme. » Il a dit vouloir éviter une « guerre de mots ».

Il a cependant répondu par la suite qu’« il y a une différence » entre « racisme systémique » et « discrimination systémique », sans préciser sa pensée. Quand on lui a demandé s’il reconnaissait la discrimination systémique à l’égard des autochtones, il a laissé la porte ouverte. « On ne s’est pas penchés là-dessus », a-t-il dit, ajoutant qu’il veut « appliquer le maximum de recommandations du rapport Viens ». « Je ne peux pas en dire plus que ça », a-t-il laissé tomber.

Selon le rapport Viens, « la discrimination systémique a pour caractéristique d’être largement répandue, voire institutionnalisée dans les pratiques, les politiques et les cultures ayant cours dans une société. La discrimination systémique peut entraver le parcours d’un individu tout au long de sa vie et même avoir des effets négatifs sur plusieurs générations ».

« Si les problèmes ne sont pas toujours érigés en système, une certitude se dégage en effet des travaux de la Commission : les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles des peuples autochtones », poursuit-il.