(Ottawa) Un ancien ministre, une urgentologue, une astrophysicienne, cinq avocats. Huit verts briguent la succession de celle qui a été pendant plus d’une décennie le visage du Parti vert du Canada, Elizabeth May. La personne qui sera aux commandes le 3 octobre prochain devra saisir l’occasion pour donner un nouveau souffle à la formation, croient des politologues.

La course à la direction du parti s’est jouée dans l’ombre de la pandémie et n’a eu quasi aucune visibilité médiatique. De son balcon, en Colombie-Britannique, Elizabeth May ne voit pratiquement rien. « On n’arrive pas à respirer avec la fumée des incendies de forêt », relate la politicienne en entrevue avec La Presse. « Il reste beaucoup à faire pour lutter contre les changements climatiques », soupire-t-elle.

Celle qui a tenu les rênes du parti pendant 13 ans s’apprête à les céder. Et une fois que le vainqueur aura été choisi, elle jure de ne pas jouer à la belle-mère. « Je veux une transition efficace et respectueuse », exprime-t-elle. Son souhait est de s’inspirer de l’ex-cheffe du NPD Alexa McDonough, qui est demeurée députée aux Communes après son retrait et a « donné tout son appui » à son successeur, feu Jack Layton.

« J’ai des inquiétudes [sur des candidatures]. Il y a des personnes que je préfère, mais je reste silencieuse là-dessus », rigole-t-elle. Peu importe qui héritera du poste, il devra tenter de gagner en notoriété, et c’est la raison pour laquelle Elizabeth May espère qu’il n’y aura pas de scrutin hâtif : « On a des candidats avec des qualifications extraordinaires, mais il sera essentiel que les Canadiens apprennent à les connaître », insiste-t-elle.

En l’absence de sondages sur les intentions de vote, il est difficile de dire qui est réellement en position de tête ou qui chauffe qui. En revanche, on sait que le trésor de guerre qu’a amassé Annamie Paul est le plus imposant de tous. Au 31 août, selon des chiffres fournis par le parti, elle avait recueilli 186 327 $, devançant Dimitri Lascaris (122 069 $), Courtney Howard (78 739 $), Glen Murray (62 550 $) et David Merner (60 829 $).

Parmi cette brochette de huit aspirants, Glen Murray, ancien maire de Winnipeg et ex-ministre à Queen’s Park, est celui qui retient davantage l’attention du professeur Thierry Giasson, de l’Université Laval. « Il y a des gens qui ont été surpris qu’il se présente. C’est une candidature qui est assez prestigieuse ; il incarne beaucoup de choses dans lesquelles bien des électeurs pourraient se projeter », soutient-il en entrevue.

Sa collègue Geneviève Tellier, de l’Université d’Ottawa, est aussi d’avis que l’entrée en scène de l’homme de 62 ans a changé la donne. « À mon avis, le choix des militants, c’est de savoir si on y va avec Glen Murray ou pas, avance-t-elle. C’est un peu un référendum sur la marche à suivre […], car il est plus pragmatique, et le parti s’éloignerait de la conscience environnementale pure et dure. »

À l’autre bout du spectre, l’avocat et militant Dimitri Lascaris se revendique pour sa part de la frange « écosocialiste » du parti. Il penche nettement à gauche, étant d’avis qu’un virage dans cette direction comblerait un vide sur l’échiquier politique fédéral. « Si la raison d’être du Parti vert, c’est d’être un Parti libéral avec une conscience environnementale, on n’aura jamais une présence importante », avait-il dit à La Presse en décembre dernier.

Mais il ne faut pas perdre de vue la championne du financement, Annamie Paul. La Torontoise aux racines caribéennes deviendrait la première femme noire à se retrouver à la tête d’un parti fédéral. Au début de la course, Elizabeth May avait dû se défendre de l’avoir comme chouchoute — sa décision de participer à une tournée virtuelle de Mme Paul pour faire la promotion des candidats « à la recherche d’équité » (equity-seeking) avait fait grincer des dents, comme le rapportait le Toronto Star au mois de mai.

Un parti à redéfinir

Le passage du témoin devrait être bénéfique au Parti vert, lequel a obtenu des résultats en deçà des attentes aux élections fédérales d’octobre 2019, alors que les verts ailleurs au pays avaient le vent en poupe. « Oui, ils ont augmenté leur députation, ils ont trois élus, mais beaucoup de gens s’attendaient à ce qu’ils fassent mieux que ça », fait valoir Thierry Giasson.

« Quelque chose ne cliquait pas avec Elizabeth May et l’électorat canadien, donc le fait qu’elle cède sa place permettra de recadrer l’image du parti. Ce n’était peut-être pas la cheffe charismatique dont le parti avait besoin pour percer plus largement », ajoute-t-il. Certes, on a fait élire une candidate sur la côte Est (Jenica Atwin, au Nouveau-Brunswick), une première, mais entre le Pacifique et l’Atlantique, c’est le désert.

Le Québec, par exemple, n’a jamais souscrit à l’offre verte fédérale, entre autres parce que la maîtrise du français de la dirigeante est demeurée bancale. « J’ai vraiment travaillé fort pour améliorer mon français… j’aurais aimé faire une percée au Québec », lâche Mme May, qui ne sait pas encore si elle sera présente à Ottawa pour la cérémonie d’annonce des résultats de la course.

Elle se projette toutefois déjà dans l’avenir : il est « certain » qu’elle se présentera sous la bannière verte aux prochaines élections dans Saanich–Gulf Islands… et déjà, elle flirte avec l’idée de se lancer dans une autre course : celle à la présidence de la Chambre des communes.

Les candidats

Meryam Haddad (Québec)

Syrienne d’origine, avocate de formation, candidate pour le Parti vert en 2019 dans la circonscription de Châteauguay — Lacolle.

Courtney Howard (Territoires-du-Nord-Ouest)

Urgentologue à Yellowknife, professeure agrégée à l’Université de Calgary, anciennement chez Médecins sans frontières.

Amita Kuttner (Colombie-Britannique)

Titulaire d’un doctorat en astronomie et astrophysique, spécialiste des trous noirs.

Dimitri Lascaris (Québec)

Avocat spécialiste des actions collectives en matière de valeurs mobilières, candidat du Parti vert dans London West (Ontario) en 2015.

David Merner (Colombie-Britannique)

Avocat, ex-conseiller au sein des gouvernements fédéral et britanno-colombien, candidat vert dans Esquimalt — Saanich – Sooke en 2019.

Glen Murray (Manitoba) : Natif de Montréal, ancien ministre de l’Environnement de l’Ontario, ex-maire de la Ville de Winnipeg.

Annamie Paul (Ontario)

Avocate, spécialiste en affaires internationales, entrepreneure sociale à Toronto.

Andrew West (Ontario)

Avocat, candidat pour le Parti vert du Canada en 2015 et pour le Parti vert de l’Ontario en 2014, 2018 et 2020.

Source : Parti vert du Canada