Il y a un mystère Pauline Marois.

Toute sa carrière, elle s’est battue contre une antipathie difficile à comprendre. Les obstacles semblaient toujours plus grands pour elle.

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Pauline Marois s’ouvre dans son autobiographie Au-delà du pouvoir.

Une citation cruelle et injuste résume bien ces épreuves. En janvier 2012, lors d’une autre tentative de putsch, le syndicaliste Marc Laviolette lançait cette phrase assassine : « Le peuple ne la veut pas, la madame. Il faut qu’elle parte. » Même si elle avait dirigé les plus grands ministères, même si elle avait remporté son récent vote de confiance avec le meilleur résultat de l’histoire du parti, ce n’était pas encore assez.

Une étiquette lui collait, avoue-t-elle dans son autobiographie : celle de « grande bourgeoise ».

Pourquoi ?En entrevue dans un hôtel du Vieux-Montréal, elle y réfléchit à voix haute. « Peut-être que c’est ma façon de parler… J’ai toujours essayé de bien m’exprimer. »

Il y avait la stupide pseudo-controverse en 1999 de la « toilette silencieuse » qu’elle aurait fait installer au ministère de la Santé — la décision ne venait même pas d’elle.

Mme Marois pourrait aussi accuser le sexisme et l’anti-indépendantisme, mais elle ne veut pas se poser en victime. Reste qu’elle ne s’en cache plus, cela l’a atteinte.

On m’a caricaturée, on m’a ostracisée… J’ai été blessée par cela, car ça ne correspond pas à qui je suis. Ça m’a suivie et ça m’a cassée.

Pauline Marois, ex-première ministre du Québec

En lisant son histoire, on comprend à quel point cette image est née d’un malentendu.

C’est dans un quartier ouvrier de la Basse-Ville de Québec que naît Pauline Marois. Sa mère est institutrice d’une « école de rang » et son père est mécanicien. Lecteur de L’Action catholique et partisan du créditiste Réal Caouette, il rêvait de voyager et regrettait son manque d’instruction — il avait quitté le primaire en troisième ou cinquième année, il ne s’en souvenait plus.

Les maisons étant trop chères à Québec, les Marois déménagent à Saint-Étienne-de-Lauzon, où le père construira lui-même une maison pour héberger la famille qui grandit.

Douée, elle saute sa sixième année. Sa mère fera des ménages pour pouvoir envoyer sa fille aînée dans un établissement privé élitiste, le collège Jésus-Marie. La jeune Pauline y côtoie la fille de Jean Lesage et d’autres enfants qui ont déjà une bonne culture générale et des bibliothèques remplies à la maison. Elle se découvre une conscience de classe sociale.

Toute sa vie, elle essaiera de « bien s’exprimer et de bien se présenter ». Une question de fierté, se souvient-elle. « Chez nous, être bien habillé et bien coiffé, c’était une forme de respect autant pour les autres que pour soi-même. »

Il y a aussi la confiance qu’elle voulait projeter. Peut-être est-ce cela qui, parfois, ne « passait pas ». Comme si ce souci de paraître en contrôle, cette chaleur sans spontanéité, la rendait inauthentique.

La richesse de son conjoint Claude Blanchet et leur résidence somptueuse n’ont pas aidé son image. Mais de nombreux autres chefs ont habité de luxueuses maisons, sans que les médias en parlent. Avec les hommes, ça passait mieux…

Après une honorable deuxième place en 1985 et des revers douloureux en 2001 et 2005, Pauline Marois essayait en 2007 pour la quatrième fois de devenir chef du PQ. Elle a mis de côté ses foulards, elle a arrêté de changer sa coiffure et elle s’en est tenue à des habits sobres, noirs si possible. Parce que sinon, pour beaucoup de gens, à tort ou à raison, elle ne « passait pas ».

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Dans son autobiographie, Pauline Marois avoue qu’une étiquette lui a toujours collé à la peau : celle de « grande bourgeoise ».

Pourtant, elle avait passé l’ultime test de la sincérité. Pour savoir si un politicien est « proche des gens » ou élitiste, demandez-lui comment il élève ses enfants. Malgré sa richesse, Mme Marois n’a jamais envoyé ses enfants à l’école privée. Les quatre ont fréquenté le réseau public, du primaire jusqu’au cégep. Par principe.

Ce n’est pas ce qu’une « grande bourgeoise » aurait fait.

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Les autobiographies de politiciens font des livres d’une crédibilité variable.

Comme tant d’autres avant elle, Mme Marois essaie d’imposer sa version de l’histoire. Le récit de ses années au pouvoir est raconté assez sommairement. Elle répète les grandes lignes de son court mandat minoritaire et défend toutes ses décisions.

Elle a peu de regrets, hormis d’avoir renommé charte des « valeurs québécoises » son projet sur la laïcité.

L’intérêt du livre réside dans les passages précédents. Ceux sur sa longue préparation pour prendre le pouvoir, et tout ce que cela dit de la politique.

On réalise que les pires coups viennent souvent de sa famille. C’est Jean Garon, frustré d’avoir perdu le ministère de l’Éducation, qui déchiquette ses dossiers et la ridiculise devant ses collègues.

On apprend aussi que la ligne de parti mène à des absurdités, comme lorsque le ministre libéral Gérald Tremblay devait défendre l’ouverture des commerces le dimanche, même si cela déplaisait au catholique pratiquant en lui. Alors que la députée de l’opposition Pauline Marois devait critiquer cette mesure, même si elle y était favorable.

Enfin, on constate que pour changer les choses, il faut se battre contre la machine gouvernementale. En 1997, les hauts fonctionnaires proposent des compromis tortueux pour ne pas laïciser les commissions scolaires — ils veulent superposer deux réseaux linguistiques aux réseaux catholiques et protestants. Mme Marois leur tient tête et négocie un amendement constitutionnel à Ottawa.

Ce fut le dernier amendement obtenu par le Québec.

Même si Mme Marois a été la première femme à diriger le Québec, son grand legs politique s’est fait en éducation. En plus de cette laïcisation, elle a créé le réseau des centres de la petite enfance, à la fois un formidable moteur de développement économique et un outil de lutte contre les inégalités des chances et des sexes.

La semaine dernière, le patron de la Banque Scotia recommandait à Ottawa de financer massivement les services de garde. Eh oui, Bay Street applaudit une mesure sociale-démocrate du Québec.

C’est une autre leçon du livre : les idées utopiques d’aujourd’hui peuvent devenir le gros bon sens de demain.

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On ne passe pas quatre décennies en politique sans se faire d’ennemis.

Dans son livre, Mme Marois a tenu à faire des « éclaircissements que nous devons à la vérité ». Particulièrement sur Bernard Landry.

En 2001, le premier ministre envoie Nicole Stafford, principale conseillère de Mme Marois, à la délégation en Belgique. Une promotion qui avait aussi le mérite d’affaiblir sa rivale.

Une compétition a toujours existé entre eux. Elle vante l’intelligence et l’éloquence de M. Landry, mais raconte que ses dossiers étaient « mal ficelés » et que ses conseillers « le servaient mal ».

Mais l’épisode le plus douloureux a eu lieu en juin 2011, lorsque sept députés ont claqué la porte du parti. Certains la trouvaient trop indépendantiste. D’autres, pas assez.

Parmi eux, un départ a fait particulièrement mal : celui de Jean-Martin Aussant, ce « souverainiste qui nous a lâchés ». En 2012, son parti Option nationale a soutiré de précieux votes au PQ. « Ça a joué sur notre défaite », accuse-t-elle, un lapsus qui trahit toute la déception de son mandat minoritaire.

Le 4 septembre 2012, elle s’est aussi fait voler sa soirée victorieuse par une tentative d’assassinat politique. Mme Marois ne craint plus de nommer ainsi l’attentat, avec raison. Je trouve qu’on l’a oublié un peu vite : un homme a essayé de tuer la toute première femme à diriger le Québec, parce qu’elle était indépendantiste.

Si Mme Marois est encore en vie, c’est parce qu’il pleuvait ce soir-là. Au lieu de se rendre à pied du TNM au Métropolis, elle a pris la voiture. Sinon, elle aurait croisé le tueur.

Elle y pense encore un peu, mais pas trop. « Les gens ne me croient pas, mais je ne suis pas traumatisée », assure-t-elle.

Je marque une pause, étonné.

« Il y a des gens qui reviennent de la guerre sans séquelles psychologiques. C’est mon cas », dit-elle.

Depuis son départ de la politique, elle s’accorde le « privilège de la lenteur ». Elle s’occupe de ses petits-enfants, lit et jardine dans sa nouvelle maison de L’Île-Bizard, après avoir vécu près de cinq ans dans un condo du Vieux-Montréal.

Elle ne s’est toutefois pas sevrée de la politique. Elle lit encore les journaux et les magazines, écoute la radio et regarde les nouvelles. Mais ses commentaires, elle les garde pour elle. Après avoir été si souvent la cible des beaux-pères du PQ, elle s’impose un devoir de réserve. Son implication se limite à des causes non partisanes — elle préside la campagne de financement de la nouvelle Fondation pour la langue française.

Dans le livre, elle glisse au détour d’une phrase son opposition à la réforme du mode de scrutin.

Malgré son excellente santé, le temps passe. Elle a 71 ans. Depuis son départ de la politique, elle a vu mourir deux anciens premiers ministres, Jacques Parizeau et Bernard Landry.

Craint-elle de mourir avant de voir naître son pays rêvé ? « Je continue de croire que c’est possible, dans un avenir prévisible. »

« Possible » et « prévisible ». Une réponse calculée et prudente, qui garde son mystère.

PHOTO FOURNIE PAR QUÉBEC AMÉRIQUE

Au-delà du pouvoir

Au-delà du pouvoir, Pauline Marois, Québec Amérique, 440 pages