(Québec) « Peut-être suis-je ennuyeux, mais avec moi, il n’y aura pas de surprise ! » Réélu premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs avait eu cette répartie surprenante en campagne électorale, une course inusitée, la première au pays à se tenir avec une pandémie en fond de scène.

Higgs avait déjà confié à François Legault qu’il espérait pouvoir gouverner sans l’appui obligé des trois députés de la People’s Alliance. Il y est parvenu lundi en décrochant un mandat majoritaire – il a 27 sièges, deux de plus que nécessaire pour détenir la majorité. Dans la précédente législature, avec 20 députés conservateurs, il avait besoin, entre autres, de l’appui des trois élus du parti radical pour se maintenir en selle. Mais la seule province officiellement bilingue présente encore un clivage linguistique important ; les libéraux sont élus dans le Nord, par les communautés acadiennes, les conservateurs règnent sur le sud de la province.

On peut penser que pour le gouvernement Legault, la réélection de Higgs ne déclenchera pas de signal d’alerte. Rien d’imprévisible à attendre à l’est, bien que les positions passées du gouvernement conservateur en matière de droit des francophones aient pu soulever des interrogations à Québec. Fin 2018, le gouvernement Higgs a aboli l’obligation pour les ambulances d’avoir des équipages bilingues pour venir en aide à d’éventuels malades francophones. Après plusieurs semaines de controverse, début 2019, Fredericton a décrété qu’au moins un intervenant devrait être capable de comprendre le français.

Autre chassé-croisé : Higgs avait l’intention de fermer les urgences de nuit dans six petits hôpitaux en région. Trois fermetures touchaient des établissements francophones. Le vice-premier ministre conservateur, Robert Gauvin, a claqué la porte et est passé au Parti libéral. Higgs a reporté la décision, promis une consultation ; la pandémie a frappé avant la décision.

Désormais affranchi de la pression de la People’s Alliance, on peut espérer que M. Higgs se rapprochera du courant progressiste-conservateur, bien que cet ancien cadre d’Irving Oil ait déjà été associé à la Confederation of Regions, regroupement passablement antifrancophone.

Lundi soir, Higgs a lu quelques mots en français – de manière un peu plus fluide que dans le passé, observait-on à Québec. Il avait perdu un député francophone, mais en a retrouvé un autre, Daniel Allain, élu dans Moncton-Est. Transfuge, l’ex-ministre Gauvin, le francophone du gouvernement Higgs, passé aux libéraux, a été élu libéral dans Shédiac, le royaume du ministre fédéral Dominic LeBlanc.

Les rapports entre François Legault et Blaine Higgs ont évolué avec le temps. À sa première rencontre des premiers ministres provinciaux, à Saskatoon, au Conseil de la fédération de l’été 2019, le premier ministre du Québec avait été pris d’assaut par son voisin. Même si TransCanada avait publiquement relégué aux oubliettes son projet d’Énergie Est, Higgs revenait constamment à la charge sur l’obligation pour le Québec d’accepter le passage d’un pipeline sur son territoire.

Il faut le rappeler, le projet Énergie Est prévoyait déboucher sur la côte atlantique, par un port pétrolier, promesse d’une activité économique importante pour une région défavorisée. L’affaire avait été vite tranchée ; le projet déjà écarté avait connu un immense problème d’acceptabilité sociale – même les municipalités s’étaient mobilisées pour s’y opposer.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Québec François Legault, au côté du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, lors de la rencontre des premiers ministres provinciaux en décembre 2019, en Ontario

À la rencontre suivante, à Toronto, en décembre 2019, M. Higgs paraissait avoir fait son deuil du projet. Les relations s’étaient réchauffées depuis avec le Québec et on avait discuté des améliorations à la route 185, qui mène de Rivière-du-Loup au Nouveau-Brunswick. Aussi, Higgs a donné le feu vert en début d’année à une entente préexistante avec Hydro-Québec pour l’exportation d’électricité québécoise vers sa province. Du coup, il acceptait l’expertise d’Hydro-Québec pour la réhabilitation d’une centrale électrique de sa province. Finalement, MM. Higgs et Legault ont signé une lettre d’entente pour discuter d’une éventuelle ligne de transmission interprovinciale – le Nouveau-Brunswick pourrait obtenir des redevances sur l’énergie qui transiterait sur son territoire.

Le Québec a ses portes d’entrée dans l’entourage de Higgs : son chef de cabinet, Louis Légère, est un conservateur de longue date, un jeune conservateur des années 1990 sous Brian Mulroney. Cet Acadien est une bonne connaissance de Mario Lavoie, conseiller de M. Legault sur les questions fédérales-provinciales, nommé plus récemment délégué du Québec à Ottawa. Le « nouvel ami » de François Legault, l’Ontarien Doug Ford, est, dit-on, assez proche de Higgs, et pourrait éventuellement servir d’intermédiaire.

Le poids politique de Higgs a augmenté lundi soir. D’abord, il détient une majorité. En outre, il est le premier au Nouveau-Brunswick a avoir été élu à deux reprises – il faut remonter au conservateur Bernard Lord en 2003 pour retrouver une réélection. C’était l’époque où la péninsule acadienne avait tourné au bleu. C’était loin d’être le cas, lundi, Higgs a encore bien du travail à faire pour se rapprocher des francophones. La province a déjà voté d’un bloc ; le libéral Brian McKenna a déjà détenu la totalité des sièges au début des années 1990. Autre victoire pour Higgs : il l’a emporté sur une vedette, le chef libéral Kevin Vickers, qui est le sergent d’armes qui avait coupé court à un attentat terroriste à la Chambre des communes. Vickers a été clairement battu dans Miramichi.

Y a-t-il un éléphant dans la pièce ? Le Québec est-il à couteaux tirés avec sa voisine parce qu’elle pose des entraves aux automobilistes québécois qui veulent se rendre aux Îles-de-la-Madeleine ? Ils doivent s’enregistrer à l’avance, obtenir une autorisation et passer sans s’arrêter, ou presque, au Nouveau-Brunswick. Québec aurait aimé qu’on puisse cibler quelques hôtels où ses citoyens pourraient faire étape dans leur parcours, une idée qui n’a pas été retenue.

Cette question de la mobilité, Québec voudra la balayer vite sous le tapis, lui-même aux prises avec une nouvelle flambée de COVID-19. Higgs est poussé par sa population fort inquiète quant aux risques de pandémie – et M. Higgs a probablement gagné son pari : avec une poigne de fer, il a limité le nombre de cas. Une bonne idée, parce que les hôpitaux de la province auraient été bien vite débordés.