L’organisme de bienfaisance WE Charity n’a jamais évoqué son intention de confier la gestion du programme de bourses pour le bénévolat étudiant au Québec et dans les communautés francophones à la firme de relations publiques National dans les échanges qu’il a eus avec les ministères fédéraux.

Au contraire, WE Charity soutenait qu’il avait les effectifs et les compétences pour mener à bien un tel mandat d’un bout à l’autre du pays, et tout au plus évoquait-il la possibilité de s’associer à des organismes sans but lucratif au Québec au besoin.

« Au Cabinet, il n’a jamais été question que WE Charity fasse affaire avec la firme de relations publiques National. On l’a appris en même temps que tout le monde », a confié à La Presse une source gouvernementale digne de foi qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à discuter publiquement des délibérations du Cabinet.

Dans les documents de présentation qu’il a soumis au gouvernement Trudeau alors que le programme de bourses pour le bénévolat étudiant était concocté, l’organisme WE Charity (UNIS en français) soulignait pourtant à grands traits ses compétences et ses réalisations et affirmait sans ambages qu’il était l’organisme de bienfaisance tout désigné pour mener à bien un tel projet, notamment grâce à ses plateformes numériques « inégalées ».

Ces documents font partie des quelque 5000 pages portant sur l’affaire WE Charity qui ont été dévoilées par le gouvernement Trudeau à la demande du comité des finances de la Chambre des communes. La divulgation de ces documents a eu lieu le jour même où le premier ministre, Justin Trudeau, a demandé et obtenu la prorogation du Parlement, suspendant du même coup les enquêtes que mènent en tout quatre comités parlementaires sur cette affaire.

« Un pipeline pour les Canadiens »

« Atteignant plus de cinq millions de Canadiens rien qu’en 2018-2019, WE Charity est un pipeline pour les Canadiens, y compris les jeunes, et possède la capacité et l’expertise pour soutenir le gouvernement dans la réalisation de ses priorités, la sensibilisation et la création d’une demande pour des initiatives de services au niveau national », peut-on lire dans un document préparé par l’organisme de bienfaisance destiné aux ministres du gouvernement Trudeau.

Dans ce même document, les dirigeants de WE Charity s’engagent à ce que le programme de bourses soit offert en français et en anglais, évoquant la possibilité que l’organisme établisse « des partenariats avec des partenaires francophones et bilingues du secteur sans but lucratif qui offriront des stages en français et en anglais ».

Certains de ces organismes évoqués sont les Grands Frères Grandes Sœurs, la Croix-Rouge canadienne, Centraide, la Fondation des maladies du cœur et Jeunesse J’écoute.

Ils se vantent aussi d’avoir de « grands ambassadeurs » capables de faire la promotion du projet, publiant notamment les photos de Sophie Grégoire Trudeau, la femme du premier ministre, et de Margaret Trudeau, la mère du premier ministre.

La Presse a révélé il y a deux semaines que WE Charity, étant quasi absent au Québec et étant un organisme essentiellement unilingue anglophone, avait confié à la firme de relations publiques National le mandat de mettre en œuvre le fameux programme au Québec et dans les communautés francophones dans le reste du pays avant que la tempête politique provoquée par les liens étroits entre les libéraux fédéraux et l’organisme en question ne fasse avorter le projet.

WE Charity avait confié ce mandat à National le 29 mai – une semaine seulement après que le cabinet fédéral eut décidé de lui accorder un contrat sans appel d’offres pour la gestion du programme de bourses. Mais l’organisme de bienfaisance a été contraint d’abandonner le projet le 3 juillet dans la foulée des révélations selon lesquelles des membres de la famille du premier ministre avaient touché près de 350 000 $ en cachets de la part de WE Charity pour des discours prononcés lors d’évènements organisés par l’organisme. Au même moment, il a aussi été révélé que la fille du ministre des Finances Bill Morneau travaillait pour l’organisme.

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Jean-Yves Duclos, président du Conseil du Trésor

Les réserves de Jean-Yves Duclos

Par ailleurs, La Presse a pu obtenir la confirmation jeudi que le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, avait aussi exprimé par écrit de vives inquiétudes quant à la capacité de WE Charity de servir adéquatement la population du Québec et les francophones vivant en milieux minoritaires. Mais dans les documents rendus publics, le nom du ministre Duclos n’apparaissait pas au bas de la page contenant une litanie de réserves.

« UNIS et l’Organisme UNIS ne sont pas particulièrement connus au Québec. […] Par ailleurs, le Québec possède déjà un vaste et solide réseau d’organismes communautaires qui travaillent ensemble et se connaissent très bien, je dirais. Si je jette un coup d’œil sur [leur site internet], je ne vois aucun mot ni aucune page en français. Peu d’indices portent à croire que l’Organisme UNIS est bien ancré dans la province », affirme ainsi le ministre Jean-Yves Duclos dans une note rédigée à l’intention de ses collègues du Cabinet.

« À la lumière de tout cela, je crains qu’une collaboration avec l’Organisme UNIS soit sous-optimale au Québec, sur le plan tant de l’image que de l’influence.

En passant, pouvoir offrir du “matériel de formation bilingue” est une chose, mais pouvoir exercer son influence au sein d’un solide réseau d’organismes communautaires étroitement soudés en est [une] tout autre.

Jean-Yves Duclos

Le bureau du ministre Jean-Yves Duclos n’a pas voulu formuler de commentaire à ce sujet, se bornant à dire que ce dernier s’était acquitté de ses responsabilités de ministre en posant des questions.

Selon des informations obtenues par La Presse, d’autres ministres du Québec du cabinet Trudeau ont aussi exprimé des réserves de la même nature au sujet de WE Charity, mais durant les séances du Cabinet. Mais ces vives inquiétudes n’ont pas empêché l’ensemble du cabinet fédéral d’accorder un contrat sans appel d’offres à WE Charity, le 22 mai, afin de gérer ce programme de bourses doté d’une enveloppe pouvant atteindre 912 millions de dollars. En vertu du contrat de contribution signé entre WE Charity et le gouvernement fédéral – contrat qui a depuis été annulé –, l’organisme devait recevoir environ 43 millions pour la gestion du programme.