Le premier ministre rebat ses cartes : Christian Dubé quitte le Trésor pour remplacer Danielle McCann. Sonia LeBel, Simon Jolin-Barrette et Nadine Girault auront aussi de nouvelles responsabilités.

Trois mois de pandémie ont laissé des traces sur la gouvernance à Québec. Pour François Legault, l’heure est venue de rebattre les cartes pour que le ministère névralgique de la Santé puisse bénéficier d’un second souffle, repartir avec des forces fraîches pour affronter une éventuelle deuxième vague de COVID-19. Ce lundi, le premier ministre Legault annoncera que le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, prendra la relève de Danielle McCann à la Santé, a appris La Presse.

Dès le lendemain de l’élection de la Coalition avenir Québec (CAQ), en octobre 2018, M. Dubé ne cachait pas à des proches qu’il souhaitait devenir responsable de ce méga-ministère. Pour sa part, Mme McCann, après deux années intenses, en première ligne tous les jours depuis trois mois, était en lice pour un déplacement, même si elle n’a pas démérité. Elle devient ministre responsable de l’Enseignement supérieur et s’occupera aussi des ordres professionnels.

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Christian Dubé

François Legault lui devait, il ne faut pas l’oublier, une fière chandelle. Aux élections de 2018, elle avait, au pied levé, accepté de se porter candidate pour la CAQ. Elle redonnait un profil santé à l’équipe Legault, sérieusement embarrassée par Gertrude Bourdon, qui lui avait fait faux bond à la dernière minute.

En coulisses, on parle d’un nécessaire second souffle au ministère qui draine la moitié du budget du Québec.

Pour François Legault, être ministre de la Santé, un poste qu’il a occupé sous Bernard Landry en 2002-2003, est probablement le défi de gestion le plus difficile au Québec. C’est le fil conducteur de toute l’opération qui tombe à un moment bien surprenant, l’été amenant une sorte de trêve politique. Mais François Legault avait déjà choisi la fin de juin, en 2009, pour annoncer sa démission comme député de Pauline Marois. On expliquera probablement qu’au-delà de la résonance des changements dans les médias, le premier ministre visait avant tout des « résultats ». Le ministre Dubé sera solidement à pied d’œuvre si le virus tente une deuxième attaque.

L’idée d’une chaise musicale circule depuis quelques jours sur la colline Parlementaire. Toutefois, des observateurs la prédisaient pour l’automne prochain. Elle se serait inscrite alors dans un nouveau départ : deux ans après les élections, avec un message inaugural marquant le début d’une nouvelle législature.

Aucun député d’arrière-ban n’est promu. Une prochaine occasion surviendra, mais probablement en 2021. Pas de rétrogradation pour les ministres Jean-François Roberge (Éducation) ou Nathalie Roy (Culture), qui ont eu à faire face à des critiques acerbes de leurs clientèles respectives. M. Roberge sera toutefois délesté de l’Enseignement supérieur, au profit de Mme McCann.

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Danielle McCann

Il semble que les incontournables rencontres avec les « déplacés » aient eu lieu dans les derniers jours, et le sort de Mme McCann s’est réglé dimanche soir. On voudra probablement dépeindre comme des « ajustements » cette chaise musicale, une proposition difficile à défendre quand on fait bouger les ministres de la Santé, du Trésor, de la Justice et de l’Immigration.

Le dernier détail à régler, dimanche soir, aura été le point de chute de Mme McCann, que François Legault tenait à ne pas mécontenter.

Avec un poste important qui se libère au Conseil du trésor, François Legault saisit l’occasion de faire monter une femme dans l’équipe économique, uniquement masculine jusqu’ici. MSonia LeBel quitte la Justice pour s’occuper désormais du Trésor, avec comme dossier prioritaire la négociation avec les 500 000 syndiqués du secteur public. Elle aura aussi à soumettre une nouvelle mouture du projet de loi 61, pour accélérer les projets de construction d’infrastructures, une proposition qui n’avait pas passé le test aux yeux des partis de l’opposition avant l’ajournement de l’Assemblée nationale pour l’été. Nommer l’ex-procureur en chef de la commission Charbonneau pourrait probablement donner plus de légitimité aux intentions du gouvernement Legault, accusé de vouloir ouvrir la voie à un retour de la collusion.

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Sonia LeBel

MLeBel demeure responsable des relations intergouvernementales avec les autres provinces et de la réforme du scrutin.

MSimon Jolin-Barrette réalise un rêve, dit-on : il s’en va à la Justice. Il y remplacera MLeBel, avec qui il avait eu des relations plutôt orageuses – les deux juristes divergeaient d’opinion sur les conditions du Québec dans le processus de nomination des juges à la Cour suprême.

Le jeune avocat avait surtout plongé son gouvernement dans une crise politique en présentant l’an dernier la première mouture de son Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Il n’aura pas le temps de mener à bien la deuxième version qu’il a déposée, fin mai, juste avant la fin des travaux parlementaires.

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Simon Jolin-Barrette

Le député de Borduas n’est pas fort sur les compromis, et son intransigeance l’aura probablement desservi. Il avait battu sa coulpe quand sa première tentative avait fait naufrage, mais déjà, des critiques fusaient chez les néo-Québécois devant son deuxième essai. Il conserve son poste, très visible, de leader parlementaire à l’Assemblée nationale, avec comme vis-à-vis dans l’opposition officielle André Fortin, le récent choix de Dominique Anglade.

D’origine haïtienne, issue des institutions financières, Nadine Girault se voit confier le dossier de l’Immigration. Mais la députée de Bertrand le cumulera avec son poste aux Relations internationales.

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Nadine Girault

La décision de ne faire monter aucun nouvel élu au Conseil vise à éviter bien des frustrations. Plusieurs députés se voient, à raison, dans l’antichambre du Saint des Saints. François Legault connaît bien leurs noms : Ian Lafrenière, Youri Chassin, Louis-Charles Thouin, Jean-François Simard, Mario Laframboise, Joëlle Boutin et Stéphanie Lachance. Tous se sentent ministrables, avec raison, indique-t-on dans les cercles du pouvoir. Mais faire un choix parmi ces aspirants aurait été une opération délicate. Créer des mécontents représente toujours un risque.

Autre embûche : avec le remplacement de MarieChantal Chassé par Benoit Charette, début 2019, le gouvernement Legault est à un siège de la parité autour de la table des ministres.