J’écoutais le ministre de la Famille et j’avais mal à la tête.

Par un samedi matin récent, Mathieu Lacombe m’a fait le récit des jours frénétiques de mars lors de la mise à l’arrêt du réseau de services de garde québécois dont il est responsable.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Mathieu Lacombe, ministre de la Famille

On dit ça, le « réseau de services de garde », et on se dit que c’est une chose assez simple…

Sauf que non.

La petite enfance au Québec, c’est un archipel complexe : il y a des garderies privées subventionnées, des garderies privées non subventionnées, des CPE, des services de garde en milieu familial non subventionné, des services de garde en milieu familial subventionné, des services de garde non reconnus (!)…

Dans cet archipel des services de garde, il y a un écosystème où évoluent toutes sortes de « partenaires », comme les appelle le ministre Lacombe. Je vais en nommer quelques-uns, mais pas tous, parce que ça prendrait tout l’espace de cette chronique, et mon boss trouve que j’écris parfois des chroniques trop longues…

L’Association québécoise des centres de la petite enfance, le Conseil québécois des services éducatifs à la petite enfance, l’Association des cadres des centres de la petite enfance, le Regroupement des garderies privées du Québec, l’Association des garderies privées du Québec, l’Association des garderies non subventionnées en installation, la Coalition des garderies privées non subventionnées du Québec, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, l’Association québécoise des milieux éducatifs familiaux privés…

« Et, dit Mathieu Lacombe, il ne faut pas oublier nos partenaires syndicaux. Il y en a six… »

Silence au bout du fil…

Puis le ministre reprend : « Non ! Cinq ! Cinq syndicats qui ont tous leurs façons de voir les choses. Et la mise sur pause arrivait en pleines négociations avec ces syndicats… »

Ces syndicats sont : la FIPEQ-CSQ, le SQEES-FTQ, la FSSS-CSN, l’AEMFQ et le RTTACPE (dites RTTACPE à haute voix, c’est quasiment poétique).

Je résume : quand le Québec s’est mis sur « Pause », le ministre de la Famille a dû plancher en vitesse sur un plan de mise au congélateur des activités chapeautées par son ministère… comme à peu près tous les ministres.

Le but, au cabinet de Mathieu Lacombe : limiter la souffrance et s’assurer que lorsqu’on appuierait sur « Play », les parents du Québec puissent en majorité retrouver leurs services de garde intacts : c’est bien beau, retourner au travail, mais il faut que les enfants puissent se faire garder…

J’ai eu mal à la tête quand le ministre, avec moult détails, s’est mis à me raconter cet exercice de type mi-ballet, mi-rugby qui a consisté à mettre le réseau à l’arrêt en satisfaisant-coordonnant-consultant les multiples « partenaires » comme les CPE, les SGNR, le RTTACPE, l’AQCPE, l’ACCPE, le CQSEPE, les PNR, l’AGNSI, la CGPNSQ, l’AQMEFP, la FIPEQ-SCQ, les GPS, les GPNS et…

Et est-ce que j’en oublie ?

Oui, j’oublie le CT !

Le Conseil du trésor du Québec, où le ministre a dû aller cogner pour débloquer plus de 130 millions pour payer les gens qui, derrière les sigles désincarnés que je viens d’énumérer dans l’archipel du service de garde, vivent du travail auprès de la petite enfance…

Mathieu Lacombe : « On s’est dit : veut-on être le gouvernement qui va mettre les éducatrices au chômage en temps de crise ? La réponse : non. On voulait qu’elles gardent leur lien d’emploi. Mais moi, comme ministre… Je n’ai d’autorité sur personne pour dire aux gestionnaires de payer leur monde ! Mon autorité est morale, symbolique. Mais on a mis 130 millions sur la table et même plus en comblant la contribution des parents… Sans lien d’autorité. »

Parce que le ministre de la Famille n’est le patron de personne, dans cet écosystème.

Je vous raconte le point de vue du ministre de la Famille sur la mise sur « Pause » de toutes les activités de l’écosystème de services de garde pour deux raisons…

Un, ça donne une idée de la complexité de l’opération de la mise sur « Pause » du Québec, dans ces jours tourmentés de mars. Prenez ce que le ministre de la Famille a vécu, et multipliez ça par des facteurs de difficulté variables, que l’on parle d’éducation, de tourisme, d’économie, de sport, d’impôts, de sécurité publique de santé et de services sociaux…

Ça donne mal à la tête.

Je sais, je sais. Des ministres ont fait des erreurs, des faux pas, certains ont dû rétropédaler. Le ministre Lacombe aussi. Soit, il faut le dire. Ç’a été dit.

Mais ça m’amène à mon deuxième point : il faut dire aussi à quel point mettre le Québec sur « Pause » fut une opération inédite, pour laquelle il n’y avait pas de livre des règlements ni de précédent dans les cabinets de ministres. On a construit le proverbial avion en le faisant voler…

Dans le cockpit : des ministres qui n’avaient à peu près pas d’expérience ministérielle, parce que la CAQ forme le gouvernement pour la première fois. Mathieu Lacombe avait 31 ans quand il est devenu ministre de la Famille, à la faveur de sa première élection comme député de Papineau. Il en convient lui-même : « Quand j’ai ouvert le cartable de briefing, j’ai saigné du nez et j’ai pris deux Tylenol. Ça a pris du temps avant que je comprenne le fonctionnement même du réseau… »

J’écoutais donc le ministre Lacombe me raconter la mise sur « Pause » du système de la petite enfance, dans ces jours frénétiques de mars. Je me demandais s’il avait dû prendre prendre deux Tylenol, ces jours-là, ou alors trois, ou alors quatre…

Puis ça m’a frappé : il n’en a sans doute pas eu le temps.