La fuite du plan vert du gouvernement Legault a provoqué un affrontement à l’Assemblée nationale entre le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, et l’opposition, qui l’accuse de ne pas en faire assez pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

La Presse a révélé jeudi le contenu du « Plan pour une économie verte » que le gouvernement devait dévoiler en mars, une opération qui a été reportée à l’automne en raison de la pandémie. Il s’agit de sa politique-cadre pour arriver à atteindre sa cible de réduction des GES, une baisse 37,5 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990.

Un expert consulté par La Presse, Pierre-Olivier Pineau, professeur aux HEC et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, en conclut plutôt que le plan en arrive à une réduction de 16,45 mégatonnes de GES, soit une baisse 24 % des GES au Québec.

Ces révélations surviennent au moment même où les députés débattent du projet de loi 44 du ministre Charette sur la lutte contre les changements climatiques, qui réforme la gestion du Fonds vert notamment. Le ton est monté sérieusement, en matinée jeudi, lorsque l’opposition a demandé au ministre de déposer son plan.

On ne peut pas continuer sans obtenir l’information. Comme parlementaires, pour la bonne marche de nos travaux, le minimum est d’avoir la même information que les journalistes ont obtenue.

Sylvain Gaudreault, député du Parti québécois

Benoit Charette a répliqué qu’il s’agit d’un « document de travail » qui doit « être peaufiné » et qui ne peut donc être déposé. Sylvain Gaudreault a fait valoir que le ministre a reconnu lui-même en entrevue que le document de près de 100 pages dévoilé par La Presse avait été soumis au Conseil des ministres et que cette version était forcément très avancée.

« Je comprends le jeu de mon collègue, mais ça ne s’appuie sur aucune réglementation », a rétorqué le ministre, ajoutant que son adversaire est en train de « perdre sa crédibilité ». La remarque a fait bondir Sylvain Gaudreault : « Au sujet de la crédibilité, si j’étais lui, je me regarderais dans le miroir ! »

La présidente de la commission, Agnès Grondin, a été contrainte de suspendre les travaux en raison de la tournure des échanges. Elle a ensuite statué que le ministre n’avait pas à déposer le plan vert. « Je trouve ça quand même particulier que les journalistes aient accès à un document et que les parlementaires n’y aient pas accès. Par contre, la conclusion, c’est qu’on ne peut exiger de déposer ce document. »

Sur le fond, les partis d’opposition ont accusé le gouvernement de ne pas en faire assez pour réduire les émissions de GES en vue d’atteindre la cible de 2030. « Ça ne sert à rien de mettre un objectif si on ne se donne pas les moyens de l’atteindre », a soutenu Sylvain Gaudreault. La députée de Québec solidaire Ruba Ghazal a affirmé que le plan vert prouve que le ministre « n’est pas sérieux ». La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, a accusé le gouvernement de manquer d’ambition. « Il n’y a pas véritablement un plan vert à la CAQ. »

Découragement chez les écologistes

Du côté des groupes environnementaux, la déception était palpable. Karel Mayrand, directeur général de la section québécoise de la Fondation David Suzuki, faisait partie des experts consultés par le gouvernement pour l’élaboration de la politique. « On a fait beaucoup de propositions ambitieuses et puis, autour de Noël, le plan a glissé des mains du ministère de l’Environnement pour aller au bureau du premier ministre, où il a perdu beaucoup d’ambition », dit-il.

« Pour atteindre la cible de 37,5 %, il faut mobiliser l’ensemble de l’appareil gouvernemental. Il faut que toutes les décisions de l’État passent par le prisme de l’environnement », souligne-t-il.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Karel Mayrand, directeur général de la section québécoise de la Fondation David Suzuki

Si ce plan nous avait été présenté il y a 10 ans, on l’aurait trouvé bon. Mais là, on est en 2020.

Karel Mayrand, directeur général de la section québécoise de la Fondation David Suzuki

Caroline Brouillette, d’Équiterre, a découvert dans les pages de La Presse un plan qui semble insuffisant. « La CAQ a fait beaucoup de chemin sur l’environnement depuis la campagne électorale. Mais on ne peut pas se permettre d’avoir un plan qui aboutit à mi-chemin de nos objectifs, dit-elle. On espère que le gouvernement aura la sagesse de l’ajuster, d’autant plus qu’on a vu récemment dans un sondage que les Québécois veulent une relance verte. »

Un sondage réalisé par Léger montrait en effet récemment que 50 % des Québécois désirent que le gouvernement relance l’économie en agissant davantage pour l’environnement.

Patrick Bonin, responsable du dossier climat chez Greenpeace, se dit aussi inquiet de ce plan. « Ce n’est pas surprenant, mais ça reste très inquiétant. Non seulement on n’est pas en voie d’atteindre notre propre cible, mais cette cible n’est même pas assez ambitieuse. Le GIEC nous dit qu’il faut couper la moitié des émissions de carbone d’ici 2030. Le Québec devrait être un leader ! fait-il valoir. Le gouvernement doit retourner à la table à dessin, il est encore temps de [redresser la] barre. On ne peut pas attendre 2025 pour agir. »

Le gouvernement Legault doit refaire ses devoirs, acquiesce le militant écologiste Dominic Champagne. « Le gouvernement a reconnu la gravité de la situation. Il a reconnu le rattrapage que son parti avait à faire. Il s’est engagé à atteindre des objectifs. Il se dit pragmatique. Alors il faut reconnaître qu’il ne répond pas de façon concrète, chiffrée, crédible à l’enjeu des changements climatiques, constate-t-il. Et ça, c’est décourageant. »