(Québec) Insatisfaite des deux reculs annoncés par le président du Conseil du trésor, les oppositions exigent que le gouvernement Legault revoie de fond en comble son projet de loi sur la relance accélérée de l’économie, s’il souhaite le voir adopter. Leur position est renforcée par le concert de critiques auquel se sont ajoutées les voix de la vérificatrice générale et du Barreau du Québec, mercredi.

Ce sont des dizaines d’articles du projet de loi 61 (PL 61) qui doivent être retirés ou complètement réécrits, ont réclamé les partis de l’opposition et le député indépendant, Guy Ouellette, dans un front commun peu habituel, au sortir des auditions de la commission parlementaire sur la pièce législative.

Sans l’accord des oppositions, le gouvernement Legault ne pourra pas faire progresser son projet de loi. En raison de son dépôt tardif, la semaine dernière, le gouvernement a besoin de l’appui unanime de l’Assemblée nationale. François Legault s’est dit ouvert à prolonger la session parlementaire – qui doit se terminer vendredi – pour arriver à s’entendre avec l’opposition.

L’imposition du bâillon, écartée un peu plus tôt par le premier ministre, est une option qui paraît par ailleurs hasardeuse en raison de la pandémie de COVID-19 puisqu’il faudrait rappeler les 125 députés en Chambre. Il reste donc bien peu d’options au gouvernement, si l’opposition n’est pas disposée à négocier.

« On n’ira pas au principe s’il n’y a pas de changement. Ça, c’est clair », a affirmé le député libéral Gaétan Barrette, sommant le gouvernement de « refaire ses devoirs ».

Ce n’est pas un plan de relance économique. Nous ne braderons pas nos principes pour ça, alors qu’on réécrive ce qui est inacceptable et on va avancer.

Gaétan Barrette, député libéral

L’opposition réclame que l’on donne plus de pouvoirs à l’Autorité des marchés publics et que l’on s’assure d’un « suivi serré » de la vérificatrice générale de chacun des 202 projets d’infrastructure que le gouvernement souhaite accélérer pour relancer l’économie dans le contexte de la crise sanitaire.

À propos de l’urgence sanitaire, que le gouvernement pourrait renouveler aussi longtemps qu’il le souhaite avec le PL61, l’opposition n’a pas l’intention de bouger d’un iota sur ses demandes. « Il a le choix : aux 10 jours ou on convoque l’Assemblée nationale pour 30 jours. C’est assez simple », a tranché Martin Ouellet, du Parti québécois.

Mercredi, après avoir entendu des organismes de surveillance comme le comité de suivi de la commission Charbonneau et le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal sonner l’alarme, le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, s’est dit prêt à faire des concessions sur deux aspects de son projet de loi.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, s’est dit prêt à faire des concessions sur deux aspects de son projet de loi.

D’abord l’article 50, qui confère d’énormes pouvoirs discrétionnaires au gouvernement, sera restreint, et l’état d’urgence sanitaire pourrait être revu tous les six mois, un délai jugé raisonnable par la protectrice du citoyen, entendue en commission. « On va prendre une position beaucoup plus nichée, beaucoup plus précise dans l’article 50 », a indiqué le ministre Dubé.

L’article 50 visait à répondre, a expliqué le président du Conseil du trésor, à une recommandation de la commission Charbonneau selon laquelle il fallait « améliorer la liquidité des entreprises » parce que « le gouvernement paye mal ses fournisseurs, ne respecte pas ses délais de paiement ». Une justification que rejette l’opposition.

Ce que le gouvernement cherche par le prétexte de 61, c’est se donner des pouvoirs excessifs et permanents.

Gaétan Barrette

Mitraillé de questions au Salon bleu, le premier ministre a martelé qu’il « n’est pas question de rouvrir la porte à la corruption et à la collusion ».

« Ce dont il est question, par contre, c’est d’accélérer les travaux qui doivent être faits. […] La route 158, qu’on appelle la route de la mort, est-ce qu’on ne pense pas qu’il faudrait […] être capable de procéder plus rapidement, sans collusion et sans corruption ? », a-t-il lancé en réponse au chef intérimaire du PQ, Pascal Bérubé.

« Je demanderais au premier ministre de changer sa rhétorique un peu simplette selon laquelle, si on s’oppose, c’est qu’on est contre la relance économique du Québec. C’est insultant pour les gens qu’on représente », a argué en point de presse le député de Québec solidaire Vincent Marissal.

La VG et le Barreau inquiets

La vérificatrice générale s’inquiète de l’assouplissement des règles et des mesures d’accélération qui seraient en vigueur avec l’adoption de PL61. Elle juge « fort préoccupant » son impact en particulier au niveau municipal et elle réclame une plus grande reddition de comptes, si le gouvernement va de l’avant.

« Je me demande qui pourra nous assurer que les principes de la Loi sur les contrats des organismes publics seront respectés, et ce, particulièrement dans le cadre d’un processus allégé, alors que des risques se sont concrétisés dans le secteur municipal », a-t-elle indiqué devant les membres de la commission.

Elle souligne que « certaines entités gouvernementales qui auront un rôle à jouer si le projet de loi est adopté n’ont pas toujours été à la hauteur pour la gestion de grands projets ». Pas plus tard qu’au début de juin, elle a notamment déploré « un manque de rigueur » au ministère des Transports du Québec.

Le Barreau du Québec a fait valoir que le renouvellement « jusqu’à ce que le gouvernement décide d’y mettre fin » de l’état d’urgence sanitaire est très préoccupant. Il estime que « l’inconvénient » de le renouveler aux 10 jours – comme le prévoit la loi – « est relativement faible » si on le compare « aux risques d’affaiblir significativement les contre-pouvoirs d’un État de droit ».

— Avec Ariane Krol, La Presse