(Québec) Après avoir entendu les organismes de surveillance sonner l’alarme, les partis d’opposition exigent que le gouvernement Legault revoie de fond en comble son projet de loi 61 sur la relance accélérée de l’économie s’il souhaite le voir adopter d’ici la fin de la session. Les aménagements promis un peu plus tôt par le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, sont loin de les avoir satisfaits.

Ce sont des dizaines d’articles de la pièce législative qui doivent être totalement réécrits, ont déploré, dans un front commun, les trois partis d’opposition et le député indépendant Guy Ouellette. On réclame aussi l’ajout de mesures de reddition de compte, comme l’attribution de plus de pouvoirs à l’Autorité des marchés publics.

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Guy Ouellette, député indépendant

« Si on est pour avancer et débattre du principe du projet de loi […], on veut débattre d’un projet de loi qui soit acceptable. Actuellement, le texte rédigé comme il est […], pour nous, c’est inacceptable », a pesté le député libéral Gaétan Barrette, au sortir de la commission parlementaire.

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Gaétan Barrette, député libéral

Sans l’accord des partis d’opposition, le gouvernement Legault ne pourra pas faire progresser son projet de loi. En raison de son dépôt tardif, la semaine dernière, le gouvernement a besoin de l’appui unanime de l’opposition pour le faire avancer vers son adoption en Chambre, d’ici la fin de la session, prévue pour vendredi.

Mercredi matin, Christian Dubé s’est pourtant présenté devant les médias en affirmant être prêt à faire des concessions sur deux aspects de son projet de loi : l’article 50, qui conférait d’énormes pouvoirs discrétionnaires au gouvernement, sera restreint, et l’état d’urgence sanitaire pourra être revu tous les six mois.

En ce qui a trait à l’état d’urgence sanitaire, qui doit être renouvelé tous les 10 jours selon la Loi sur la santé publique, les formations d’opposition n’ont pas l’intention de bouger d’un iota. « [Le gouvernement] a le choix : aux 10 jours ou on convoque l’Assemblée nationale pour 30 jours. C’est assez simple », a tranché Martin Ouellet du Parti québécois.

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Martin Ouellet, député du Parti québécois

La voix de la vérificatrice générale (VG) s’est ajoutée mercredi aux critiques du projet de loi sur la relance accélérée de l’économie. Inquiétée, Guylaine Leclerc estime qu’une « solution pérenne » pour réduire les « délais indus » passe par la révision de la réglementation en vigueur et non par l’adoption d’une nouvelle loi.

La vérificatrice générale a affirmé en commission parlementaire que « son devoir était de mettre en garde le gouvernement et les parlementaires contre les risques liés à un assouplissement des façons de faire qui s’éloignerait trop des critères de saine gestion des fonds publics ».

Selon elle, « s’éloigner » des valeurs fondamentales de la Loi sur les contrats des organismes publics « ne ferait que ramener des risques importants de collusion et de corruption dans les contrats publics ». Le témoignage de Guylaine Leclerc doit clore la commission parlementaire sur le PL 61.

La VG a souligné avoir déjà démontré que « certaines entités gouvernementales qui auront un rôle à jouer si le projet de loi est adopté n’[avaient] pas toujours été à la hauteur pour la gestion de grands projets ». Pas plus tard qu’au début de juin, elle a notamment déploré « un manque de rigueur » au ministère des Transports du Québec.

Bien qu’elle se dise en faveur d’une révision de la réglementation pour réduire les « délais indus » – l’objectif recherché par le gouvernement Legault, qui veut accélérer avec son PL 61 la mise en chantier de 202 projets d’infrastructures –, la VG y va d’une série de recommandations pour améliorer la pièce justificative :

- Diminuer la durée d’application des mesures temporaires (2 ans)

- Bonifier la reddition de comptes pour augmenter « une véritable impunité »

- Donner aux organismes de contrôle l’accès à toute l’information

- Mettre en place des mécanismes de surveillance

- Surveiller les signes de surchauffe du marché

Christian Dubé recule

« On va prendre une position beaucoup plus nichée, beaucoup plus précise dans l’article 50 », a indiqué le ministre Dubé en mêlée de presse mercredi matin.

Sur la « période indéterminée de [l’état d’]urgence sanitaire », il a dit se ranger à la proposition de la protectrice du citoyen, qui « suggère de limiter […] à une période de six mois », a indiqué M. Dubé, en citant la position entendue en commission parlementaire mardi soir. « J’ai beaucoup d’ouverture », a-t-il indiqué.

L’article 50 visait à répondre à une recommandation de la commission Charbonneau, selon laquelle il fallait « améliorer la liquidité des entreprises » parce que « le gouvernement pay[ait] mal ses fournisseurs, ne respect[ait] pas ses délais de paiement », a justifié M. Dubé.

« C’est ça qu’on voulait faire par règlement », fait valoir le président du Conseil du trésor. « On l’a demandé probablement trop large », a-t-il reconnu. « Le compromis, l’ajustement que je suis prêt à faire dans l’article 50, c’est d’être spécifique que ça va être pour améliorer la liquidité des entreprises », a-t-il exposé.

Le Barreau aussi « préoccupé »

Au troisième jour de la commission parlementaire, le Barreau du Québec a fait valoir que le renouvellement « jusqu’à ce que le gouvernement décide d’y mettre fin » de l’état d’urgence sanitaire « [était] au cœur [de ses] préoccupations » et va « à l’encontre de ce qui est normalement prévu par la Loi sur la santé publique ».

« L’objectif de tout le monde est de ramener ça au moins de temps possible », a soulevé le bâtonnier du Québec, MPaul-Matthieu Grondin. La Loi sur la santé publique précise actuellement que le gouvernement peut déclarer l’état d’urgence sanitaire que par période de 10 jours.

Le Barreau estime que « l’inconvénient » de renouveler tous les 10 jours l’état d’urgence sanitaire « est relativement faible » si on le compare « aux risques d’affaiblir significativement les contre-pouvoirs d’un État de droit ».

Mardi, la protectrice du citoyen a aussi soulevé ses réserves face au PL 61, qui permettrait au gouvernement de renouveler l’état d’urgence sanitaire aussi longtemps qu’il le jugerait nécessaire. Marie Rinfret a proposé qu’il soit renouvelé tous les six mois.

Le Barreau s’est aussi dit inquiet « des pouvoirs discrétionnaires » que se donnerait le gouvernement, notamment avec l’article 50, qui lui permet de modifier, par règlement, les conditions applicables à la Loi sur les contrats des organismes publics.

« Nous sommes préoccupés par le fait que la pandémie de COVID-19 puisse être invoquée pour permettre d’outrepasser [les] règles qui constituent maintenant l’un des piliers contre la corruption et la collusion. » Il faut rappeler que nombre de modalités de la Loi sur les contrats publics ont été adoptées dans la foulée de la commission Charbonneau.

— Avec Ariane Krol, La Presse