(Québec) Les pouvoirs exceptionnels qu’entend se donner le gouvernement Legault pour accélérer la réalisation de 200 projets d’infrastructure provoquent de profondes inquiétudes. Les partis d’opposition craignent une « explosion des coûts », des passe-droits environnementaux et un grave retour en arrière.

Les craintes de l’opposition étaient grandes, jeudi à l’Assemblée nationale, au lendemain de la présentation par le gouvernement Legault du projet de loi 61 qui vise à accélérer la réalisation de 200 projets d’infrastructures afin de relancer l’économie du Québec, ralentie par la pandémie de la COVID-19.

Mercredi, la vérificatrice générale, qui déposait son rapport annuel, a aussi partagé son inquiétude soulignant que le ministère des Transports se trompe souvent dans l’estimation des coûts de projets et que son expertise interne est déficiente.

Le projet de loi 61 a occupé jeudi la totalité de la période de questions au Salon bleu. « L’objectif est d’accélérer les projets, de faire travailler les gens dans le domaine de la construction rapidement parce qu’on a un taux de chômage qui est élevé. Ce sont tous des projets qui sont attendus par les Québécois », a assuré François Legault.

La pièce législative – que le gouvernement espère adopter d’ici le 12 juin – permettra notamment de réduire les délais « administratifs », comme ceux pour l’obtention des autorisations environnementales. Il entend également prolonger l’état d’urgence sanitaire aussi longtemps qu’il le souhaite.

« Je pense qu’il est possible compte tenu de la situation exceptionnelle de dire : réduisons les délais sans réduire les exigences pour le bien des Québécois », a réitéré M. Legault, interrogé par la cheffe libérale, Dominique Anglade. Des propos qui n’ont pas rassuré les partis d’opposition qui ont continué de talonner le gouvernement.

Le ton s’est durci lorsque les députés libéraux ont fait allusion à un retour en arrière, avant la commission Charbonneau, affirmant que le gouvernement vient modifier les règles mises en place après la fameuse commission sur l’industrie de la construction. « Je peux vous assurer que les enseignements de la commission Charbonneau sont bien intégrés au sein de ce gouvernement », a répliqué la ministre de la Justice, Sonie LeBel, ex-procureure de la commission.

« Risque d’explosion des coûts »

« Je pense que le risque d’explosion des coûts, il est grand. Dans tous les dossiers administratifs qui ont été touchés par la pandémie, à la fin, ç’a coûté plus cher […] Il y a un danger pour le contribuable », a dénoncé jeudi, avant la période de questions, le porte-parole officiel pour le Conseil du trésor, Gaétan Barrette.

« On vient de passer de l’époque Charbonneau à une époque où tout est possible pour un ensemble de projets qui est discutable », a soulevé M. Barrette. Il déplore au passage que le gouvernement « fasse de la politique » dans la sélection de ses 202 projets à réaliser, dont plusieurs maisons des aînés.

« Sur les [48] maisons des aînés qui sont proposées, il y en a 35 qui sont dans des comtés caquistes. Alors, si ce n’est pas politique, si ce n’est pas faire de la politique avec une crise, je ne le sais pas ce que c’est », a lancé M.  Barrette soulignant que la construction des maisons des aînés est une promesse phare de la CAQ.

« On choisit dans le projet de loi 61 non seulement bafouer les règles de la commission Charbonneau, mais aussi faire de la politique aux bons endroits, de façon électoraliste, ce qui est la maison des aînés », a-t-il ajouté, affirmant par ailleurs que Montréal « est la grande oubliée » de la « distribution ».

« Énorme chèque en blanc »

Le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, estime pour sa part que la liste des 202 projets du gouvernement « est arbitraire ». À son avis, Québec ne peut pas demander à la population de « signer un énorme, un gigantesque chèque en blanc pour dire : donnez-nous la permission de faire ce qu’on veut ».

« Ce n’est pas raisonnable. Ce n’est pas respectueux de nos institutions », a-t-il affirmé jeudi, assurant que « tout le monde est d’accord » pour relancer l’économie. « Par contre, on ne peut pas le faire n’importe comment. On ne peut pas le faire en scrappant toutes les règles qu’on s’est données », a-t-il ajouté.

Le député solidaire s’inquiète particulièrement des impacts du projet de loi sur le processus d’examen environnemental des futurs projets d’infrastructure. « Parce que scraper l’environnement pour des projets d’infrastructure, je ne pense pas que le Québec de 2020 est encore là. Je pense qu’on est rendus ailleurs », a-t-il dit.

Il est aussi « dangereux », selon lui, que le gouvernement se donne la pouvoir de renouveler l’état d’urgence sanitaire jusqu’à « ce qu’il décide qu’il n’en a plus besoin ».

Le Parti québécois n’est pas moins inquiet. « On aimerait savoir s’il y aura plus d’inspecteurs, notamment au ministère des Transports. On dit qu’on va aller plus vite, qu’on va tasser des règles, mais où sont les mesures supplémentaires pour s’en assurer », a indiqué la députée Véronique Hivon, jeudi.

Le député Barrette estime que le projet de loi « n’est pas acceptable » dans sa forme actuelle, mais estime que « des aménagements peuvent être faits en commission parlementaire ». Québec solidaire soutient pour sa part qu’il « ne consentira pas » à l’adoption de la pièce législative si elle « n’est pas modifiée ».