Une campagne référendaire est nécessairement parsemée de moments de grandes tensions et celle de 1980 n’y fait pas exception. Des déclarations controversées de la ministre Lise Payette sur les femmes au foyer jusqu’à l’arrivée de Pierre Elliott Trudeau à l’avant-scène, ces 30 jours du printemps 1980 ont testé les nerfs des leaders des deux camps.

Impossible de savoir comment René Lévesque et Claude Ryan auraient réagi aux calamités tombées sur la planète au début de 2020. Mais si le passé est garant du présent, les deux élus auraient pris et communiqué leurs décisions de façon on ne peut plus divergente.

René Lévesque a fait de la simplicité sa marque de commerce. 

« Dans une situation comme celle-ci, il aurait évidemment privilégié le style direct. Ce n’était pas un calculateur, ce n’était pas quelqu’un qui aimait les stratégies. Il était assez réfractaire aux communicateurs », a affirmé Martine Tremblay, une proche collaboratrice du premier ministre, en entrevue avec La Presse

Toutes proportions gardées, il aurait été plus près d’une communication directe et naturelle — comme le fait François Legault — que de trucs plus préparés — comme Justin Trudeau, qui lit des textes et sort rarement des messages qu’il doit livrer.

Martine Tremblay, proche collaboratrice de René Lévesque

Mme Tremblay rechigne à faire de la politique-fiction, mais avance quand même une certitude : « Face au drame des CHSLD, je suis sûre qu’il aurait exprimé une colère terrible, terrible. J’en suis convaincue, a-t-elle estimé. Il pouvait avoir des colères. Il aurait été hors de lui. »

Un style plus sec

Claude Ryan, chef du Parti libéral du Québec (PLQ) et du camp du Non en 1980, avait un style de gestion de crise complètement différent, selon Jean-Claude Rivest, élu député l’année précédente après avoir été l’alter ego de Robert Bourassa.

« Il n’aurait pas fait ce que François Legault fait », a-t-il assuré en entrevue téléphonique. « Ce n’était pas quelqu’un qui s’épanchait sur les états d’âme des uns et des autres. »

S’il faut comparer l’approche du chef libéral à celle d’un politicien très récent, Jean-Claude Rivest choisit Philippe Couillard, avec son ton plus professoral que populaire.

Face à une crise, M. Ryan ne tentait pas de ménager la chèvre et le chou. 

C’était une personne très sûre de son opinion. Quand il y avait une manchette ou une déclaration qui ne faisait pas son affaire, il ne lui accordait pas trop d’attention, il ne s’y attardait pas.

Jean-Claude Rivest, proche collaborateur de Claude Ryan

« Il était très sec », poursuit M. Rivest. Le PLQ avait misé sur Claude Ryan pour son envergure intellectuelle, pas pour ses talents de communicateur.

Limites

Ces comparaisons ont toutefois des limites, a souligné Martine Tremblay. La campagne référendaire de 1980 pouvait être tendue par moments, mais elle n’était pas qu’une série de crises aux yeux de René Lévesque, a affirmé Martine Tremblay.

« Il ne voyait pas les campagnes comme des crises. Il aimait beaucoup faire campagne, parce que ça le mettait en contact avec le terrain et avec le monde, et c’est ce qu’il aimait. Il aimait aussi le combat, c’était un battant », a-t-elle dit. 

La soirée du 20 mai 1980 en images
  • René Lévesque, pendant son discours de défaite

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    René Lévesque, pendant son discours de défaite

  • Les trois ténors du camp du Non : Claude Ryan, chef du Parti libéral du Québec, Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada, et Jean Chrétien, ministre de la Justice

    PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

    Les trois ténors du camp du Non : Claude Ryan, chef du Parti libéral du Québec, Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada, et Jean Chrétien, ministre de la Justice

  • René Lévesque après l’annonce du verdict du référendum, avec derrière lui sa femme Corinne ainsi que la députée péquiste Lise Payette

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    René Lévesque après l’annonce du verdict du référendum, avec derrière lui sa femme Corinne ainsi que la députée péquiste Lise Payette

  • Des partisans du Non célèbrent leur victoire à l’auditorium de Verdun, à Montréal.

    PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

    Des partisans du Non célèbrent leur victoire à l’auditorium de Verdun, à Montréal.

  • Des partisans du Oui, atterrés par le résultat du référendum

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Des partisans du Oui, atterrés par le résultat du référendum

  • Des partisans du Oui accrochent une banderole sur un viaduc.

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

    Des partisans du Oui accrochent une banderole sur un viaduc.

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« Ça faisait partie de sa personnalité. » Ce référendum n’a pas non plus été précédé par le même niveau de tension que celui de 1995, a-t-elle ajouté. C’est que la garde rapprochée de M. Lévesque ne se faisait pas d’illusions sur l’issue du scrutin : l’avance du Non était insurmontable. « Ce pour quoi René Lévesque se battait à la fin, c’était pour une majorité de francophones qui aurait voté pour le Oui, ce qu’il n’a pas obtenu. »

Une fois tous les bulletins comptés, le camp opposé à la souveraineté-association (l’option proposée sur le bulletin de vote) l’a effectivement emporté avec 60 % des voix exprimées. Le Parti québécois de René Lévesque a toutefois remporté les élections générales de l’année suivante. Pierre Elliott Trudeau a mis rapidement en branle son projet de rapatriement de la Constitution, duquel le gouvernement québécois se considérera comme écarté.

En 1984, avec l’arrivée à Ottawa de Brian Mulroney, Lévesque a proposé d’adhérer à un projet de fédéralisme renouvelé surnommé le « beau risque », déclenchant une série de démissions dont son gouvernement ne se remettra pas.