(Ottawa) Alors que l’Ontario aimerait une stratégie nationale de retraçage d’individus infectés par la COVID-19, le Bloc québécois répond : il n’en est pas question.

« Moi, je ne veux rien savoir — comme dans “pantoute” — d’un programme canadien, d’un océan à l’autre, qui va imposer une juridiction qui ne lui appartient pas au territoire québécois », s’est indigné le chef bloquiste Yves-François Blanchet, mercredi.

M. Blanchet réagissait à l’idée qui a été l’objet de discussions plus tôt cette semaine entre la vice-première ministre Chrystia Freeland et le premier ministre ontarien Doug Ford.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Chrystia Freeland

Le sujet sera à l’ordre du jour de la rencontre hebdomadaire entre les premiers ministres des provinces et des territoires et le gouvernement fédéral jeudi.

Pour l’heure, le retraçage de contacts au pays se fait surtout de façon manuelle par les autorités de santé publique locales. Quelques provinces s’aventurent sur le terrain technologique, considéré plus rapide et plus efficace, avec prudence.

L’Alberta a lancé l’application pour téléphones mobiles ABTraceTogether, qui est volontaire, la semaine dernière. La médecin en chef de la Colombie-Britannique a confirmé mardi avoir commencé à faire l’essai d’initiatives semblables.

Le bureau du premier ministre du Québec, de son côté, n’a pas voulu commenter les discussions à venir jeudi. Mais encore il y a quelques jours, François Legault disait qu’il était trop tôt pour se prononcer sur ces méthodes.

« Si jamais on utilisait ces données, ce serait avec l’accord des personnes concernées. Donc, ce serait pour leur bien, avec leur accord. Mais on n’est pas encore rendu à l’étape de dire si on va ou non utiliser ces moyens-là », disait-il en réponse à la question d’un journaliste le 28 avril.

Selon M. Blanchet, Ottawa devrait respecter le rythme de croisière de la province. « Si Québec décide de mettre en place, de proposer […] des applications à cet égard-là, Québec le fera », a-t-il indiqué.

Au cabinet de Mme Freeland, on met de l’avant le besoin d’avoir une certaine cohérence alors que différentes régions du pays entament leur déconfinement.

« Notre réponse à la pandémie de la COVID-19 a été un effort de l’Équipe Canada. Cette approche unie — ainsi que l’augmentation des tests et du retraçage des contacts — seront la clé à une réouverture de l’économie sûre et prudente », a fait valoir son attachée de presse Katherine Cuplinskas.

Jean-Philippe Groleau, avocat et associé du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg, croit que cette « approche unie » pourrait prendre deux formes si l’option technologique est retenue.

Les provinces et territoires pourraient soit demander au gouvernement fédéral d’intervenir et de développer une solution nationale ou ils pourraient décider d’adopter eux-mêmes un plan uniforme qui serait imposé de façon législative.

« Après, il faudrait voir qu’est-ce qui est proposé, quelle forme ça prendrait, quel est le type d’atteinte à la vie privée qui en résulterait », énumère M. Groleau.

« Et il faudrait faire passer ces mesures-là sous la lentille de l’analyse constitutionnelle pour vérifier si ça respecte les droits et libertés fondamentales des Canadiens », ajoute-t-il.

Les applications pour le traçage d’individus infectés utiliseraient soit le GPS, qui permet de partager la géolocalisation en temps réel, ou la technologie Bluetooth, considérée moins intrusive.

Toutes ces initiatives soulèvent cependant de nombreuses questions sur le respect de la vie privée.

L’idée de retracer les individus infectés est « séduisante à court terme », mais les risques de dérapage sont grands surtout en ces temps exceptionnels, rappelle Karen Eltis, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

« Il n’y a pas de mauvaises intentions. Il y a de bonnes intentions, à ce que je peux voir. La difficulté, avec la technologie, c’est que les conséquences sont toujours inattendues », indique-t-elle.

Mme Eltis comprend que les Canadiens ont besoin de réconfort et de retrouver leurs proches, mais met en garde contre des « réactions paniquées » qui pourraient avoir des conséquences à long terme.

M. Groleau croit en effet que « la pression va être forte » pour retrouver un semblant de normalité en l’absence d’un vaccin.

« Est-ce que les Canadiens et les Québécois sont prêts à renoncer à une certaine part de vie privée de façon temporaire pour regagner une liberté de mouvement ? C’est là qu’elle est, la grande question. »