(Québec) Tandis que les Québécois ont les yeux tournés vers les développements de la pandémie de COVID-19, une étonnante partie de bras de fer se déroule au sein du Parti libéral du Québec (PLQ). En dépit de l’incertitude qui plane encore au-dessus de la vie collective pour les prochaines semaines au Québec, Dominique Anglade et ses supporteurs tiennent à ce que la course à la direction du parti reprenne le plus vite possible.

C’est ce qui ressort d’échanges « agressifs », constatent plusieurs libéraux influents ; il y a un mois, des émissaires de Mme Anglade ont même à un moment menacé des dirigeants libéraux de poursuivre le PLQ si la course ne se déroulait pas selon l’échéancier prévu à l’origine, pour une décision fin mai.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Anglade

La permanence du PLQ ne pouvait être qualifiée de « zone froide » en fin de semaine. Des libéraux ont été un peu étonnés de l’insistance du clan de l’ex-ministre de l’Économie, qui en pratique se trouve seule en piste – son adversaire annoncé, Alexandre Cusson, de même que ses supporteurs sont totalement absents des échanges qui ont cours au sein du parti.

Le week-end dernier, les présidents des associations libérales ont tenu comme prévu une réunion pour faire le point sur la course – à la différence qu’elle a eu lieu de façon virtuelle. Après le mot de circonstance du chef intérimaire, Pierre Arcand, une série d’intervenants de l’équipe de la candidate sont intervenus vigoureusement pour que le parti renonce à la suspension de la course décrétée dans les premières heures du confinement, le 22 mars.

D’anciens députés – Richard Merlini, de La Prairie, Guy Bourgeois, d’Abitibi-Est, Serge Simard, de Dubuc, Guy Hardy, de Saint-François, et plusieurs autres présidents sont montés au créneau pour tenter d’infléchir la décision du comité qui préside à l’application des règles pour le choix du successeur de Philippe Couillard, dont Françoise Hogue Plante, mère de l’ancien député de Maskinongé Marc H. Plante, un organisateur de Dominique Anglade.

Les interventions étaient si semblables qu’elles avaient à l’évidence été préparées par des stratèges – les partisans n’agissent pas autrement quand il s’agit de prendre le contrôle des interventions sur le parquet d’un congrès. Deuxième constat : le courant d’appuis à l’ancien président de l’Union des municipalités du Québec, Alexandre Cusson, paraît carrément absent – on dit que son équipe travaille avec ardeur sur le terrain, mais on n’en trouvait absolument aucune trace le week-end dernier lors des échanges entre les présidents d’associations de tout le Québec.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Alexandre Cusson

La stratégie du Parti conservateur

Bien sûr, la décision annoncée par le Parti conservateur du Canada apporte de l’eau au moulin du clan Anglade ; la formation a décidé de reprendre sa course à la direction, pour un vote le 21 août. Il y a un mois, le candidat Peter MacKay avait suscité de vives critiques quand il s’était opposé publiquement à la suspension d’une course où, nettement, il se trouve en avance.

Dominique Anglade avait adopté la même stratégie. Le 19 mars, le comité qui veille à l’application des règles avait décidé de suspendre la course, après une présentation téléphonique de l’ex-ministre Gaétan Barrette. Son verdict était déjà clair, le Québec serait plongé pendant plusieurs mois dans une crise sans précédent. Le comité a été unanime. Seul le président de la Commission-Jeunesse, Mark Dewar, s’est prononcé pour le maintien de l’échéancier.

Mais dans les heures qui ont suivi, les principaux organisateurs de Mme Anglade ont pris le téléphone pour convaincre le parti de maintenir la cible de la fin mai. Des interventions d’une virulence étonnante, confie-t-on. Jean-François Helms, numéro un de la campagne Anglade, a joint Linda Caron, présidente du PLQ, et Rafaël Primeau-Ferraro, responsable du comité électoral. Son message était sans appel : le PLQ ferait l’objet d’une mise en demeure judiciaire s’il ne respectait pas l’échéancier prévu.

Un autre sbire de Mme Anglade, Patrice Ryan, a porté le même message, passant des coups de fil tardifs à la directrice du PLQ, Véronyque Tremblay, et même au chef intérimaire, Pierre Arcand, un peu éberlué devant une telle menace. Plus tard, l’ex-ministre Carlos Leitão, un autre partisan avoué de Mme Anglade, en remettait une couche au téléphone avec M. Arcand. Dans l’organisation du parti, personne n’a douté une seule seconde que ces interventions avaient la bénédiction explicite de la candidate.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Véronyque Tremblay, Dominique Anglade et Carlos Leitão

Une aspirante chef qui songe à poursuivre son parti. Le caractère loufoque de la démarche est apparu rapidement. Dès le lendemain, Mme Anglade a souscrit à une déclaration laconique rédigée par le comité électoral du PLQ, reconnaissant que, compte tenu des circonstances, il fallait mettre la campagne sur une voie de garage.

Le comité responsable de la course se réunira, virtuellement encore, la fin de semaine prochaine. Il avait suspendu une course qui avait encore 70 jours devant elle. Dans le scénario le plus hâtif, le prochain chef libéral pourrait être choisi vers la fin août – le clan Anglade insiste pour que le PLQ ait un leader à temps pour la prochaine session parlementaire d’automne, qui, théoriquement, débutera début septembre à l’Assemblée nationale.

Or, d’ici là, il est peu probable que les rassemblements importants soient autorisés – le PLQ comptant bon nombre de membres de plus de 60 ans, les assemblées sont improbables. On sait déjà que les cinq débats prévus à l’origine seront réduits à trois, voire deux, conscient qu’on est que ces échanges virtuels diffusés sur l’internet risquent d’être soporifiques.

L’affrontement avorté entre Anglade et son parti laissera-t-il des traces ? Déjà, dans les coulisses, des députés qui ont lié leur avenir à l’ex-ministre libérale la trouvent bien autoritaire, directive.