Plutôt que de restreindre un programme d’immigration qui connaît du succès, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) veut que le Québec hausse significativement son seuil d’immigration à un nouveau plancher record : 78 000 admissions par année, plutôt que les 42 000 immigrants accueillis l’an dernier.

Jusqu’à tout récemment, le président et chef de la direction de la CCMM, Michel Leblanc, réclamait une hausse du seuil d’immigration à 60 000 admissions par année. Mais ce chiffre est désormais pour lui « la base que l’on doit atteindre le plus rapidement possible ». Pour l’avenir, il faut se montrer « plus ambitieux », a-t-il dit en entrevue avec La Presse, rappelant les « 138 000 postes » à pourvoir dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.

Le gouvernement Legault entreprend au cours des prochaines semaines une ronde de consultations pour réformer l’un de ses deux programmes destinés aux travailleurs qualifiés, le maintenant célèbre Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Il s’agit d’une voie rapide pour les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires résidant déjà au Québec afin d’obtenir un certificat de sélection du Québec (CSQ), nécessaire à l’obtention de la résidence permanente.

L’automne dernier, une première réforme du PEQ — qui ciblait des domaines d’études ou d’emplois restreints pour les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers pouvant y présenter une demande — avait plongé Québec dans la controverse. Isolé, le premier ministre François Legault avait même accusé certains de ses détracteurs, dont Michel Leblanc, de vouloir plus d’immigrants afin de bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché. Le gouvernement a depuis reculé.

Dans un document d’information publié vendredi, Québec dévoile que la popularité du PEQ dépasse toutes les attentes.

En 2010, lors de sa création, le gouvernement délivrait 5 % des CSQ aux demandeurs du PEQ. En 2019, cette proportion s’élevait à 86 %. De plus, en 2020, « le ministère [de l’Immigration] estime que les demandes du PEQ pourraient être suffisantes pour atteindre les objectifs annuels de sélection pour la catégorie des travailleurs qualifiés », là où il détient le pouvoir de sélection.

Michel Leblanc n’est pas surpris de ce succès. Mais plutôt que de « répartir la cible de sélection des travailleurs qualifiés entre le PRTQ et le PEQ [en prévoyant] un nombre maximal de demandes à recevoir », comme l’écrit Québec dans son document, il propose à nouveau de hausser son seuil d’immigration au niveau qui « correspondrait à la part que le Québec devrait accueillir pour maintenir son poids relatif face au reste du Canada ».

Le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard, espère aussi que le gouvernement Legault saisira l’occasion pour revoir toute la notion du seuil d’immigration.

« Le synonyme de quota, c’est une barrière. Et parfois, on s’impose des limites dans l’esprit et on est pris avec ça », dit-il, rappelant que la Fédération prône quant à elle pour une hausse du seuil d’immigrants à 60 000 admissions par année.

« L’obsession » d’un chiffre

Robert Gagné, professeur à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, prévient de son côté le gouvernement Legault qu’il « se magasine du trouble » en ouvrant la porte des limites d’admission au PEQ ou au Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ).

[On impose un quota d’admission] selon quel critère ? Premier arrivé, premier servi ? Par ordre alphabétique croissant, décroissant ? […] Plutôt que de focaliser sur des nombres, focalisons sur des profils [d’immigration recherchés] et viendra le nombre qui viendra.

Robert Gagné, professeur à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité

Pierre Cossette, recteur de l’Université de Sherbrooke et président du conseil d’administration du Bureau de coopération interuniversitaire, craint quant à lui que de limiter les admissions au PEQ restreigne le nombre d’étudiants étrangers et formés au Québec pouvant y poser leur candidature.

« Le PEQ est un bon programme qui amène de la richesse et de la perspective au Québec. […] C’est un investissement dans le futur, à long terme », dit-il.

« En 2026, 50 % du marché de l’emploi au Québec sera occupé par des emplois qui requièrent une formation collégiale ou universitaire », rappelle de son côté Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps.

« Nous recrutons des jeunes qui voudront rester ici, qui auront des diplômes québécois, sans enjeux de reconnaissance des diplômes, qui seront intégrés à notre culture, qui auront des amis, qui seront en région et qui voudront y rester », illustre-t-il, plaidant à son tour pour qu’on ne restreigne pas leur capacité à présenter une demande au PEQ.