(Québec) Pour l’heure, il a l’air d’un corps étranger, d’une météorite tombée sur la scène politique. Humoriste depuis des années, populaire, Guy Nantel, avec son style iconoclaste, a annoncé qu’il tenterait sa chance pour devenir chef du Parti québécois. Et, déboussolés, les militants péquistes pourraient bien être séduits par un retour à une stratégie plus déterminée vers la souveraineté.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’humoriste Guy Nantel a annoncé sa candidature pour la course à la chefferie du Parti Québécois jeudi.

Pourquoi serait-il choisi plutôt que le studieux Sylvain Gaudreault ou les rafraîchissants Paul St-Pierre Plamondon et Frédéric Bastien ? « Je suis connu, je connecte avec le public; bon vulgarisateur, je connecte avec des millions de personnes », a-t-il laissé tomber jeudi, sans ambages, dans une entrevue après avoir annoncé officiellement sa candidature.

Le premier impact ? Un gain collatéral pour le Parti québécois : tout à coup, la course à la direction obtient un regain d’attention et relègue encore davantage aux oubliettes l’étrange duel au Parti libéral où Alexandre Cusson paraît clairement désorganisé.

Déjà, ses écrits refont surface. Dans son ouvrage Je me souviens… de rien, il soulignait que « le concept de parti politique est rempli d’absurdités », conséquence du respect aveugle des lignes de parti. Il préconisait une Assemblée nationale avec 200 députés dont la moitié seraient choisis au hasard, comme les jurés actuellement. Position plus délicate au PQ, il proposait de donner à l’anglais le statut de langue nationale minoritaire et de permettre l’affichage dans une autre langue que le français pour tenir compte du caractère multiculturel de Montréal. Même le drapeau d’un Québec souverain devrait comporter un « symbole anglais » pour tenir compte de la minorité, écrivait-il.

L’humoriste affichait un aplomb surprenant dans sa série d’entrevues à la radio et à la télévision. L’art de la scène nécessite – ou génère, on ne sait pas – un sens de la répartie implacable, ingrédient essentiel pour qui aspire à passer en politique.

Devant Bernard Drainville au 98,5 FM, il a dit être l’un de ceux qui sont les plus à même de convaincre les Québécois de la nécessité de s’affirmer comme peuple – y allant même d’un tableau à larges traits des conséquences de la Conquête sur le parcours politique du Québec. Pour lui, la péréquation est un miroir aux alouettes. De toute façon, le référendum de 1995 a été « volé » par le camp fédéraliste. « Je ne ferai pas de demi-mesures sur l’histoire, sur ma pensée… » On avait compris !

Sur les neuf députés péquistes, seulement trois peuvent encore rejoindre un candidat : Véronique Hivon, Lorraine Richard et Sylvain Roy. Deux autres ont appuyé Sylvain Gaudreault. Les autres occupent des fonctions d’officiers parlementaires qui commandent l’impartialité.

En scrutant sa garde rapprochée, on comprend vite qu’il aura la sympathie des anciens chefs bloquistes Mario Beaulieu et Martine Ouellet. Julien Francoeur, membre du bureau national du Bloc québécois, partisan de la ligne dure sur la laïcité, Guillaume Rousseau, employé du bloquiste Xavier Barsalou-Duval, et un ex-directeur de campagne et ancien employé de Mario Beaulieu, faisaient partie du petit groupe qui, dès le début de janvier, réfléchissait avec M. Nantel à une possible candidature.

Son directeur de campagne, Christian Généreux, a de longs états de service au PQ. Dans ses instances, l’an dernier, il avait réprouvé les « hivonismes » d’une stratégie souverainiste trop timide. Aux élections de 2018, il était le responsable de la campagne de Michelle Blanc dans Mercier. La campagne électorale avait été un chemin de croix pour Mme Blanc, ulcérée qu’on ne parle que de tweets vieux de plusieurs années plutôt que de sa stratégie numérique. Excédé, M. Généreux avait fini par péter les plombs et avait enguirlandé les bénévoles. Ce fut la fin de sa campagne dans Mercier. « Il faut se souvenir du contexte, tout le monde était à fleur de peau », a expliqué M. Généreux à La Presse vendredi.

Manifestement, Guy Nantel mise beaucoup sur la notoriété qu’il a acquise sur la scène comme carburant pour sa campagne. En politique, souvent, notoriété et popularité se confondent. 

Au PLQ comme à la CAQ, Marguerite Blais a toujours été au sommet des tests de popularité chez les politiciens québécois. Ce n’est pas tant pour sa contribution politique que pour sa notoriété, obtenue grâce à ses états de service au petit écran.

À l’interne, au PQ, on observe déjà, par les commentaires sur les réseaux sociaux, que l’humoriste est passablement apprécié par les sympathisants caquistes, plus attirés probablement par le personnage un peu frondeur que par l’embryon de programme qu’il a mis sur la table.

Il part avec un avantage inédit. Le PQ lui a donné une chance inespérée en ouvrant le vote aux « sympathisants » et non aux seuls membres. Sa page Facebook d’humoriste compte 78 000 abonnés. S’il ne parvenait à convaincre que le quart de ces personnes de faire une contribution de 5 $ pour avoir le droit de voter pour le chef du PQ, il aurait la victoire à portée de main. La formation compte entre 30 000 et 40 000 membres et, lors des deux dernières courses, seulement 85 % des inscrits se sont prévalus de leur droit de vote.

En outre, on comprend que les responsables de la campagne tiendront compte de ses engagements d’humoriste quand viendra l’heure de choisir les dates des débats entre les candidats. Son organisation est allée vite en besogne, toutefois, quand elle a affirmé que le Directeur général des élections (DGE) ne voyait pas de problème à ce qu’il continue de monter sur scène. Son avis écrit est plus nuancé : les dépenses électorales couvrent « tout bien et service utilisé pendant la campagne […] pour favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’une personne candidate ».

Si aucune promotion de la candidature de M. Nantel n’est faite lors de ses spectacles ou de ses autres activités professionnelles, ceux-ci ne seront pas comptabilisés comme dépenses électorales. Mais, conclut le DGE, toutes ces dépenses feront l’objet d’une vérification au terme de la campagne. Ici, on peut vite se retrouver en zone grise. Si M. Nantel profite d’une tournée en région pour réunir des militants, son transport, son hébergement, la location des locaux devront-ils être inscrits au rapport financier de sa campagne ?

Sur le plan de la stratégie, Guy Nantel, à l’évidence, vise à séduire les péquistes démotivés par la dernière campagne de Jean-François Lisée, premier chef dans l’histoire du PQ à s’être engagé à ne pas tenir de référendum s’il était élu. 

Un référendum dès la première moitié du mandat, promet M. Nantel. Au surplus, il annonce qu’il ne fera « aucune réforme sociale majeure » avant la tenue de cette consultation. Tous les efforts convergeront vers ce rendez-vous avec les Québécois. Jacques Parizeau avait lui aussi posé ce jalon : un référendum rapide, dans la première année suivant les élections.

De conseil national en congrès, des ténors péquistes se lèvent pour exhorter les militants à parler davantage de souveraineté, à faire preuve de pédagogie. Guy Nantel adopte la même stratégie, mais au moins sa formule est plus inspirée. « Le pape doit parler de religion s’il veut que les églises soient pleines. S’il se dit : “Le jour où les églises seront pleines, je me mettrai à parler de religion”, on n’aura pas les conditions gagnantes ! »