(Ottawa) Libéraux, néo-démocrates et bloquistes étaient prêts à adopter à toute vapeur le projet de loi visant à obliger les candidats à la magistrature à suivre une formation en matière d’agressions sexuelles, mardi après-midi. Ils ont cependant été freinés dans leur élan par les conservateurs.

La mesure législative C-5 déposée mardi matin est pourtant pratiquement identique à celle qu’avait déposée en 2017 l’ex-cheffe intérimaire conservatrice, Rona Ambrose.

Celle-ci avait même fait le déplacement à Ottawa pour exhorter les parlementaires à ajouter à l’arsenal juridique cette « pièce du casse-tête » susceptible de rebâtir la confiance des victimes envers le système.

Elle l’a fait en point de presse aux côtés du ministre libéral de la Justice, David Lametti, et de la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Maryam Monsef, en insistant sur l’importance de faire passer cette « promesse aux victimes » avant les intrigues partisanes.

« Ce projet de loi n’aurait jamais vu le jour sans Thomas Mulcair, Justin Trudeau, puis Andrew Scheer, puis Jagmeet Singh », et « dès le jour un, il a obtenu l’appui de tous les des partis », a plaidé l’ex-politicienne.

« Alors il faudra que tout le monde recommence à travailler en collaboration pour y arriver. Et j’ai confiance », a-t-elle soutenu.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

L’ex-cheffe intérimaire conservatrice, Rona Ambrose

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a abondé dans le même sens.

« La cause transcende les partis politiques », a-t-il plaidé. Et en se dotant de ces nouveaux outils, les magistrats auront « une compréhension complète et holistique de la nature complexe des agressions sexuelles et des mythes qui les entourent trop souvent », a-t-il avancé.

« Il est essentiel que les juges qui traitent ces affaires soient équipés pour prendre des décisions équitables et appropriées […] En 2020, les Canadiens s’attendent à ce que nous dépassions ces mythes et que nous fassions ce qui est nécessaire », a insisté le ministre dans le foyer de la Chambre.

Avant C-5, il y avait eu C-337, qu’avait marrainé Rona Ambrose.

Entre les deux, le texte a subi des modifications inspirées de recommandations émanant des comités qui l’ont étudié. Dans la nouvelle mouture, par exemple, les candidats à la magistrature doivent s’engager à suivre les cours seulement une fois nommés – un rempart pour « préserver l’indépendance du banc », a argué le ministre Lametti.

Le projet de loi C-337 était mort au feuilleton après avoir fait les frais d’un bras de fer partisan au Sénat. Il avait en revanche été adopté à l’unanimité en Chambre. Ce n’était donc pas un blocage des élus que l’on redoutait – Mme Ambrose disait d’ailleurs mardi matin qu’elle serait « étonnée » que les troupes d’Andrew Scheer ralentissent C-5.

Les conservateurs disent non

Or, c’est précisément ce qui s’est produit : lorsque le chef néo-démocrate Jagmeet Singh s’est levé après la période des questions en demandant le consentement unanime de la Chambre à une motion qui aurait envoyé directement la mesure législative au Sénat, il a essuyé un refus en provenance des banquettes conservatrices.

Pourquoi ? L’affaire Marylène Lévesque a changé la donne, a-t-on fait valoir.

« Ce n’est pas seulement la magistrature canadienne qui laisse régulièrement tomber les Canadiens innocents […] À la lumière du cas horrible au Québec, les conservateurs ont l’intention d’élargir le projet de loi afin que les agents de libération conditionnelle et les membres des commissions de libération conditionnelle soient couverts par cette loi », a déclaré le directeur des communications du Parti conservateur, Simon Jefferies.

L’ensemble des partis ont témoigné de leur déception face au non conservateur.

« Les libéraux, le Bloc québécois et le NPD étaient tous d’accord pour collaborer et faire adopter immédiatement ce projet de loi. Tous les partis auraient dû voter en faveur », a déclaré Simon Ross, l’attaché de presse du leader du gouvernement en Chambre, Pablo Rodriguez.

Le député bloquiste Rhéal Fortin avait en outre affirmé dans les minutes après le dépôt de C-5 qu’il était prêt à l’adopter « dès (mardi) après-midi ». La mesure législative en étant une gouvernementale, elle devrait toutefois cheminer avec davantage de célérité que sa première incarnation.

Québec « analyse »

Pendant l’étude de C-337, des critiques avaient été émises sur sa constitutionnalité. Le Barreau du Québec avait notamment souligné que l’administration de la justice était un champ de compétence provincial.

Cet enjeu « fera partie de l’analyse » du projet de loi qui a vient d’être déposé, a signalé mardi Nicky Cayer, l’attachée de presse de la ministre québécoise de la Justice, Sonia LeBel, dans un courriel envoyé à La Presse.

« Nous partageons certainement l’objectif commun d’améliorer le sentiment de confiance des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale envers le système de justice », a-t-elle déclaré.

Le Barreau du Québec a pour sa part décliné la demande d’entrevue de La Presse.