(QUÉBEC) Jean Charest renonce à la bataille pour la direction du Parti conservateur du Canada (PCC), mais il en livre une autre contre l’UPAC. Il l’accuse de s’être livrée à une « partie de pêche » à son sujet et discrédite son travail.

Pour la première fois depuis le déclenchement de l’enquête Mâchurer en 2014 et le dépôt du rapport de la commission Charbonneau en 2015, Jean Charest a donné sa version sur le financement du Parti libéral du Québec (PLQ) sous sa gouverne dans une entrevue à Radio-Canada mardi. Il nie que des contrats aient pu être accordés contre des dons politiques et n’a « pas un seul doute » sur l’honnêteté de son ami et ex-grand argentier du PLQ Marc Bibeau.

Comme son avocat Michel Massicotte l’a fait la semaine dernière, l’ancien premier ministre a réclamé la fin de l’enquête Mâchurer. 

Ça fait six ans que tout ça dure. Un moment donné, il y a un élément de bon sens là-dedans. Un moment donné, il faut que ça finisse.

Jean Charest

Notons que les délais s’expliquent en partie par des procédures judiciaires intentées par M. Bibeau.

Jean Charest a critiqué le travail fait par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans cette enquête. « Ils sont allés rencontrer les organisateurs de mon assemblée de mise en candidature à Sherbrooke en 1984 quand j’avais 25 ans. L’UPAC a demandé à un témoin en particulier si mon épouse Michèle était gentille avec le personnel. Ç’a été ça… Qu’est-ce que c’est quand soudainement on part sur une enquête, qu’on interroge 300 personnes sur la vie de quelqu’un, si ce n’est pas ce qu’on appelle une partie de pêche ? Ç’a été ça, ce que l’UPAC a fait. Est-ce que quelqu’un peut nous blâmer aujourd’hui si, après six ans, il n’y a pas d’accusations à apporter ? »

Il dit avoir accepté de rencontrer les policiers, mais que ceux-ci « n’ont pas répondu à l’appel ». « Ça, ce sont les mêmes policiers qui n’ont pas rencontré Nathalie Normandeau, qui est une autre affaire de l’UPAC qui est en train de s’écraser », a-t-il souligné.

À la défense de Bibeau

Pour lui, il n’y a aucun « fait avéré » dans les documents de l’UPAC publiés la semaine dernière en vertu d’une décision de la Cour suprême. Ces documents avaient servi à justifier des perquisitions dans les bureaux de Marc Bibeau et dans la résidence de Violette Trépanier, ancienne responsable du financement du parti.

« J’ai-tu besoin de vous rappeler aujourd’hui que l’UPAC est sous enquête ? Que l’UPAC, dans l’affaire de Guy Ouellette, a écrit des affidavits aussi et sur lesquels ils ont été totalement discrédités ? Et que le directeur de l’UPAC [Robert Lafrenière] a démissionné le jour de l’élection ? Que le directeur de la Sûreté du Québec, que je connais, pour qui j’ai beaucoup de respect, est suspendu ? Alors les allégations d’affidavits, vous n’allez pas me blâmer si je prends ça avec un grain de sel ! » a-t-il lancé.

L’enquête concernant l’UPAC est menée par le Bureau des enquêtes indépendantes et concerne des fuites d’information. 

Toute ma vie privée a été répandue dans le domaine public parce qu’il y a eu un coulage de l’UPAC.

Jean Charest

Il s’est porté à la défense de son ami Marc Bibeau, qui n’a pas fait de financement illégal, selon lui. Il n’y a « aucune preuve à cet effet », a-t-il insisté. « Je n’ai jamais douté de l’honnêteté de M. Bibeau. Et encore aujourd’hui. Jamais. Pas un seul instant. »

L’utilisation de prête-noms par les entreprises pour contribuer à la caisse du PLQ, « on ne savait pas que ça existait », a-t-il ajouté.

Pour étayer ses dires, il a rappelé le rapport de la commission Moisan, qui date de 2006 et qui faisait suite au scandale des commandites. Selon ce rapport, le Parti québécois avait violé la loi en acceptant 96 400 $ de Groupaction tout en sachant fort bien qu’il s’agissait de contributions illégales – il « fermait les yeux », selon Jean Moisan. Le juge était moins dur envers le Parti libéral. Groupaction avait versé des contributions illégales totalisant 8325 $ au PLQ entre 1995 et 2003, mais dans ce cas, « rien ne prouve que le parti connaissait cette situation », précisait-il.

« Moi, j’ai agi »

Jean Charest a fait valoir qu’après le dépôt de ce rapport, son parti avait décidé de demander à tout contributeur du PLQ de confirmer que son don « vient de ses poches et pas d’ailleurs ». Il a ajouté que son parti a modifié la Loi électorale pour resserrer les règles en matière de financement politique. « Moi, j’ai agi », a-t-il martelé. C’est à ses yeux une « légende urbaine » que le PLQ récoltait de l’argent comme jamais auparavant sous sa direction. Le parti en amassait davantage à l’époque de Robert Bourassa, selon lui.

De la commission Charbonneau, Jean Charest retient surtout les commentaires du commissaire Renaud Lachance qui « écrit dans le rapport que tous les témoins étaient unanimes pour dire qu’il n’y avait pas de lien entre le financement et l’attribution de contrats ». Plus précisément, M. Lachance a écrit que « les témoignages entendus à la Commission ne permettent pas de conclure à l’existence d’un lien direct ou indirect entre le versement d’une contribution et l’octroi d’un contrat au niveau provincial ». Jean Charest ne croit donc « pas un mot » des allégations selon lesquelles des contrats ont été accordés en échange de dons.

Rappelons toutefois que, de son côté, France Charbonneau écrivait dans le même rapport que, « comme en témoigne la preuve recueillie, il est possible de conclure que, durant les années visées par le mandat de la Commission, un lien unissait le versement de contributions à des partis politiques provinciaux et le processus d’octroi de contrats publics ». Ainsi, « des partis politiques ont sollicité des contributions à des personnes liées à des entreprises ayant obtenu ou souhaitant obtenir des contrats publics ». 

Un pacte implicite unissait les acteurs politiques et les acteurs privés au niveau provincial : en échange des contributions versées aux partis, les acteurs privés étaient susceptibles de recevoir des avantages liés à l’octroi de contrats publics ou de subventions.

France Charbonneau dans le rapport de la Commission

Jean Charest a plaidé que le contexte de l’enquête Mâchurer « n’a pas joué » dans sa décision de renoncer à se porter candidat à la direction du Parti conservateur. D’autres raisons sont en cause, a-t-il dit.

« Les règles de la course n’ont pas été écrites pour un candidat qui est de l’extérieur. Les échéanciers sont très serrés, ça ne donne pas beaucoup de temps pour recruter de nouveaux membres et de mettre sur pied une organisation nationale. »

Et pour lui, « force est de constater que le Parti conservateur du Canada s’est profondément transformé depuis [son] départ en 1998 ». Il a précisé que ses « positions sur plusieurs enjeux de société reposent sur des convictions profondes ». Une façon de dire que certaines de ses positions ne correspondent pas à la doctrine actuelle du PCC. Il a évoqué entre autres l’environnement et le contrôle des armes à feu.

Pour le reste, Jean Charest dit avoir une « vie familiale heureuse » et une « vie professionnelle active », au cabinet McCarthy Tétrault.

Des appuis mitigés

Dans les rangs conservateurs du Québec, on dit respecter la décision de Jean Charest de ne pas faire le saut, mais on admet que sa candidature potentielle polarisait déjà énormément les militants.

« M. Charest ne laissait personne indifférent. […] Il n’y avait pas de demi-mesure », assure le député conservateur de Portneuf–Jacques-Cartier, Joël Godin.

L’ancien premier ministre avait par ailleurs été très actif pour mesurer ses appuis au Québec, depuis décembre. « Je lui ai parlé personnellement et j’ai même rencontré des membres de son équipe. Il était très sérieux », ajoute M. Godin, qui affirme néanmoins qu’il n’était « pas prêt à l’appuyer à ce stade-ci ».

« C’est un homme de qualité. J’aurais bien aimé qu’il fasse partie de la course. Ça ne veut pas dire que je l’aurais nécessairement appuyé, mais plus la course est relevée, mieux c’est », a indiqué pour sa part le sénateur Claude Carignan.

Quant au sénateur québécois Jean-Guy Dagenais, qui appuyait ouvertement M. Charest, il se dit déçu de la décision de l’ancien premier ministre.

— Avec Fanny Lévesque, La Presse