Québec devra aller plus loin dans sa réforme du mode de scrutin pour arriver à corriger en profondeur les « distorsions » du système actuel et éviter de favoriser le gouvernement sortant, croient l’ensemble des intervenants consultés par La Presse à l’aube du début des consultations sur le projet de loi 39. Revoir les calculs, abaisser les seuils d’admissibilité et en faire plus pour la parité sont au nombre des propositions. Survol.

« Menace de statu quo »

« C’est un moment à ne pas rater », tranche le président du Mouvement Démocratie Nouvelle, Jean-Pierre Charbonneau, dont l’organisation sera la première entendue, mercredi à Québec, devant les parlementaires.

Le projet de loi 39 propose la mise en place d’un mode de scrutin mixte avec compensation régionale. Les 125 sièges de l’Assemblée nationale seraient ainsi divisés en 80 sièges de circonscription et 45 sièges de région. Ce sont ces derniers sièges qui seraient répartis par région et attribués en fonction de la performance des partis.

La formule de compensation (pour ces 45 sièges) que le gouvernement Legault a choisie en fait tiquer plusieurs. « Le gouvernement propose un calcul qui n’existe nulle part dans le monde, remarque M. Charbonneau. On trouve que la proposition ne corrige pas suffisamment les distorsions. […] Il faut que la correction soit suffisamment grande et significative pour se retrouver avec un mode de scrutin plus juste. » 

« On craint une espèce de prime au vainqueur », soutient pour sa part le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Philippe Clément. Selon la FECQ, le calcul proposé ferait en sorte que les partis qui gagneraient le plus de votes récupéreraient aussi les sièges de compensation.

« C’est presque une menace de rester avec le statu quo », dit-il.

Plus grande proportionnalité

La FTQ et la CSN plaideront notamment pour que l’on diminue le nombre de régions où le mode proportionnel sera exercé. Il faut comprendre que les 45 sièges de région seraient répartis dans 17 régions électorales, délimitées selon les régions administratives. Or, plus le nombre de régions servant de base à la compensation est élevé, moins les résultats seront proportionnels. C’est du moins ce qu’avait fait valoir le Directeur général des élections lors d’un avis publié en 2007.

Les syndicats réclameront que l’on passe de 17 à 14 régions pour favoriser une meilleure représentativité des formations politiques. « Si tu réduis le nombre de régions, tu élargis le territoire et le bassin de candidats, et donc tu aurais plus que ce qui est prévu actuellement. Ça vient permettre un rééquilibrage par rapport aux grands centres », explique le président de la CSN, Jacques Létourneau.

L’Union des producteurs agricoles (UPA), qui s’est historiquement opposée aux projets de réforme du mode de scrutin parce qu’ils nuisaient au poids politique des régions, n’a pas l’intention de se prononcer en défaveur de celui-ci. L’UPA proposera cependant des bonifications pour assurer une répartition des sièges qui protège les régions rurales, notamment, où la population est en décroissance, a confirmé à La Presse le président Marcel Groleau.

Abaisser le seuil

Chez les groupes consultés, la proposition d’abaisser le seuil d’admissibilité aux sièges de région de 10 % à 5 % fait l’unanimité. Dans le projet de loi 39, une formation politique doit avoir obtenu au moins 10 % des votes à l’échelle du Québec pour participer à l’attribution des 45 sièges. « Il ne faut pas juste favoriser les grands partis », déplore M. Létourneau. Le syndicat dit adhérer au principe du seuil minimal de compensation, mais estime qu’il serait trop difficile à atteindre pour une formation plus marginale. Rappelons que Québec solidaire a obtenu 16,1 % des suffrages lors du scrutin de 2018.

Le Mouvement Démocratie Nouvelle, la FECQ et la FTQ, notamment, sont du même avis. Le premier ministre François Legault a déjà expliqué que ce seuil était une stratégie pour préserver une forme de « stabilité » du gouvernement et éviter l’arrivée de partis extrémistes.

Plus pour la parité

Le Groupe Femmes, Politique et Démocratie estime que l’adoption prochaine du projet de loi est « une porte ouverte » pour « enfin » « adopter des mesures législatives » afin d’assurer une plus grande parité hommes-femmes. « Il faut qu’on en profite maintenant », assure la directrice générale de l’organisme, Esther Lapointe. Tout comme la CSN et la FTQ, le regroupement réclame qu’on oblige les formations à présenter entre 45 et 55 % de candidatures féminines pour les sièges de circonscription et que les listes pour les sièges de région soient paritaires.

Le projet de loi 39 prévoit pour l’heure que chaque formation fournisse au Directeur général des élections ses objectifs en matière de parité, sans toutefois la contraindre à une cible. « Il ne faut pas que les objectifs soient laissés au hasard, prévient Mme Lapointe. Les partis ont été capables de le faire, alors pourquoi il y aurait de la résistance ? En 2018, la moyenne chez les partis, c’était 47 % de candidates. »

Scrutin général et référendum

Si les intervenants ne sont pas très chauds à l’idée de tenir un référendum sur la réforme du mode de scrutin, ils sont prêts à composer avec la volonté du gouvernement, à condition que l’exercice n’ait pas lieu en même temps que le scrutin général de 2022, tel qu’il est proposé de le faire actuellement. « Si on fait ça en même temps que les élections, il y a un chevauchement qui va occasionner des problèmes, estime M. Charbonneau. Il faut faire en sorte que lorsque les gens vont en débattre, ça ne sera pas mêlé avec le débat électoral. »

On plaide également pour que le référendum se déroule plus tôt que tard. Certains croient qu’il est encore possible de moderniser le mode de scrutin avant 2022. « J’ai l’impression que [chez la CAQ], on a fléchi un peu des genoux. On se demande si un référendum, ce n’est pas un moyen de torpiller la réforme », soulève pour sa part le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc, affirmant que le gouvernement de François Legault a toute la légitimité pour aller de l’avant.