(Ottawa) Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau aura non seulement à composer avec un Parlement divisé dans la nouvelle année, mais aussi avec les demandes des provinces qui pèsent lourd dans la balance.

Selon des experts consultés par La Presse canadienne, le travail de M. Trudeau en 2020 s’apparentera ni plus ni moins à des acrobaties pour tenter de satisfaire tout le monde.

Entre les conservateurs qui ont raflé les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, le Bloc québécois qui brandit les besoins du Québec et le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui tire à gauche, il faut maintenant ajouter les provinces qui forment un bloc uni sur certains enjeux.

« Ça va être une année d’équilibriste pour M. Trudeau entre à la fois les volontés autonomistes et plus conservatrices de certaines provinces et son programme interventionniste et plus onéreux, appuyé par le NPD, qui a un programme encore plus interventionniste. Alors ce ne sera pas simple », décrit Éric Montigny, professeur au département de science politique de l’Université Laval.

Bien conscient de cette problématique, le premier ministre Trudeau a nommé Chrystia Freeland comme vice-première ministre, mais l’a aussi chargée de négocier avec les provinces à titre de ministre des Affaires intergouvernementales.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Affaires intergouvernementales Chrystia Freeland

Si, jusqu’ici, le courant semble passer entre les premiers ministres des provinces et Mme Freeland, le véritable test surviendra au moment de mettre en œuvre certaines des promesses du gouvernement Trudeau.

D’après Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, il risque d’y avoir des affrontements notamment sur l’assurance médicaments. « Oui, il risque d’avoir le soutien du NPD sur ce programme-là […], mais une fois qu’on a l’appui au fédéral, on fait quoi avec les provinces ? » se demande Mme Tellier.

Le Bloc québécois, qui dit porter les revendications de Québec, pourrait s’opposer à davantage d’ingérence dans les champs de compétences des provinces. Les conservateurs, de leur côté, pourraient y voir une mesure trop coûteuse qui empêcherait le retour éventuel à l’équilibre budgétaire.

Les ministres des Finances des provinces et des territoires ont signalé dans une récente rencontre avec leur homologue fédéral, Bill Morneau, que l’assurance médicaments n’est pas une priorité. Ils souhaitent plutôt une augmentation du financement du Transfert canadien en matière de santé à 5,2 % par année.

Un autre enjeu qui tiendra le gouvernement Trudeau en haleine en 2020 sera sans contredit la tentative de trouver un équilibre sur les questions environnementales.

« D’après moi, la gestion de cette division-là sera le plus gros enjeu pour M. Trudeau, mais surtout pour Mme Freeland. [L'année] 2020 promet d’être une année assez musclée », prédit Stéphanie Chouinard, professeure adjointe au département de science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston.

Depuis sa réélection, le gouvernement Trudeau a réussi à obtenir, de la part de certaines provinces récalcitrantes, des régimes de tarification du carbone qui respectent les normes fédérales. Du même coup, il s’est engagé à terminer l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain dans les meilleurs délais.

Ottawa pourrait également offrir certains assouplissements à la mise en œuvre de la loi C-69 — qui resserre l’évaluation environnementale des grands projets — à la demande des politiciens conservateurs de l’Ouest canadien. Mais la façon de faire sera scrutée de près par les groupes écologistes qui craignent de voir un recul en la matière.

« Comment le gouvernement va réussir à trouver un équilibre et peut-être un compromis entre soutenir l’économie de l’Ouest sans trop déplaire aux provinces de l’Est ainsi qu’à la Colombie-Britannique ? Ce sera un enjeu exceptionnellement difficile et très, très complexe qui devra mettre plusieurs des membres du cabinet sur le qui-vive », analyse Mme Chouinard.

Depuis la réélection du gouvernement Trudeau, les premiers ministres des provinces ont défilé les uns après les autres dans le bureau du premier ministre.

François Legault a fait exception, préférant tenir son tête-à-tête à Montréal. John Horgan, de la Colombie-Britannique, lui aussi aux prises avec un gouvernement minoritaire, a préféré s’en tenir à une conversation téléphonique depuis la côte Ouest.

À l’issue d’une rencontre du Conseil de la fédération où tous les premiers ministres provinciaux se sont entendus comme larrons en foire, le 2 décembre, une lettre de convocation a été envoyée à M. Trudeau pour une rencontre de groupe en début d’année.