Dans les médias, d’habitude, ce sont les journalistes qui appellent les élus pour leur parler. Cette fois, c’est le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec qui m’a contactée.

Ça serait pour parler de tout, m’a expliqué l’attaché politique d’André Lamontagne. « Il vous lit depuis longtemps. »

Étonnée et sur mes gardes, mais néanmoins surtout curieuse, j’ai accepté. Quelques semaines plus tard, on était à l’hôtel Le Germain à Montréal, en entrevue, avec tout le protocole antivirus imaginable.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Selon André Lamontagne, une partie du boulot sur les pesticides n’est pas de sa compétences, mais plutôt celle du ministère de l’Environnement.

Pendant presque deux heures de conversation, toutes sortes de sujets ont été abordés. Il m’a assurée qu’il voulait réellement moderniser l’agriculture québécoise avec son plan durable, qu’il voulait augmenter la production hivernale avec sa politique d’aide pour les serres, que malheureusement une partie du boulot sur les pesticides n’était pas de sa compétence et devait être fait par le ministère de l’Environnement, qu’il aimerait que les Québécois mangent plus d’aliments d’ici, tant des fruits et légumes que des produits de la mer. J’ai appris qu’il lisait effectivement tout ce qui s’écrit sur l’agriculture ici – il m’a parlé d’un de mes reportages sur une coopérative slovène – et qu’il n’était pas fan d’anguille, même pêchée dans le fleuve Saint-Laurent.

Et c’est aussi au cours de cet échange – entre quelques anecdotes sur ses conversations « avec Jean-Martin » (Fortier, star de la petite agriculture bio), « avec Colombe » (St-Pierre, l’inénarrable chef du Bic et apôtre de la consommation locale) ou « avec Fernande » (Ouellet, productrice de volaille de Rusé comme un canard et pilote d’un projet de petit abattoir pour petits producteurs) – que j’ai compris que cet échange en était un parmi des dizaines et des dizaines. Qu’à peu près tout le monde qui s’est exprimé sur l’agriculture québécoise, ses défauts et ses défis, depuis le début du millénaire, a été rencontré par le ministre.

Des journalistes, certes, mais surtout des agronomes, des agriculteurs, des pêcheurs, des transformateurs, des porte-parole de toutes sortes de groupes issus des différents secteurs couverts par cet immense ministère.

S’il y a une chose qu’on ne pourra pas reprocher à André Lamontagne, c’est d’être déconnecté de la réalité sur laquelle il doit veiller.

Évidemment, à l’entendre parler, il a réglé tous les problèmes, ou encore il est sur le point de le faire. Une réforme s’en vient pour mieux encadrer les agronomes et ils en sont eux-mêmes ravis. Les travailleurs agricoles québécois aux champs l’été dernier, ça a bien marché, explique le ministre. Le déplacement de travailleurs étrangers aussi, malgré la COVID-19. Et « au Québec, on est en avance sur tout le monde », me répond-il, quand je parle des conditions de travail des travailleurs temporaires. On les traite bien.

Les pesticides ? Le ministère de l’Environnement s’en occupe. Les barrières à la commercialisation des produits des petites fermes ? « On est en train de changer ce qui constitue un circuit court. » Donc les irritants devraient disparaître. Les problèmes de quotas trop stricts dans la volaille ? « Un programme est prêt pour les poules pondeuses. »

Un jour, dit-il, on lui a affirmé que les « normes environnementales débiles » devaient changer. « J’ai demandé la liste. »

Le ministre veut régler les problèmes. Passer à travers la liste des choses à faire et cocher les éléments.

« Moi, ce que je veux, c’est créer du possible », affirme-t-il.

« Qu’est-ce que je peux faire pour que les élans puissent se déployer ? Que tout le monde puisse déployer son potentiel ? »

En réponse à plusieurs sujets que je soulève, les irritants sur la vente de produits fermiers, le mirage des œufs, les petits abattoirs, etc., il répond : « D’ici pas grand temps, ça ne sera plus un enjeu. »

En fait, explique le ministre, le temps qu’il investit pour libérer, encourager, aider l’agriculture de proximité est disproportionné par rapport à la place occupée par cette agriculture dans le portrait agricole général.

« Mais il faut que ça arrête de faire du bruit. »

Parce que souvent, il y a beaucoup de brouhaha pour des problèmes très faciles à régler. Il faut juste prendre le temps de le faire. Et mettre son pied à terre.

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Mais quand tout ça aura été réglé, de quoi parlera-t-on ?

Ou plutôt, quand les petits pourront enfin vendre leurs œufs naturels, leurs légumes bios, leurs fromages de lait cru dans des marchés de proximité, quand il y aura de l’agriculture bio hivernale un peu partout, où sera la grande agriculture, elle ?

Celle qui fait de la monoculture, qui utilise des OGM, des pesticides, celle qui malmène trop souvent les sols et les cours d’eau…

Voilà. Quand tout cela sera réglé, il faudra reparler de pesticides, d’engrais chimiques, de la santé des agriculteurs, de rentabilité, de commercialisation. Et surtout, faire le pont entre tous ces sujets pour parler de diversification. De moyens pour permettre aux agriculteurs de garder des seuils de rentabilité élevés, mais aussi protégés par la variété.

Un agriculteur qui essaie le bio et perd toute sa récolte de haricots ou de brocolis parce que la technique n’a pas fonctionné prend un immense risque, m’a rappelé le ministre en entrevue, pour justifier la frilosité de certains à prendre ce virage essentiel.

C’est pour ça, lui ai-je répondu, qu’il faut parler de production multiple.

Ce qui est risqué, ce n’est pas d’utiliser une approche bio, de laisser tomber les produits chimiques ou d’avancer naturellement vers l’avenir.

Le risque, en agriculture, c’est encore et toujours de mettre tous ses œufs dans le même panier.