André Lamontagne a pris la barre du ministère de l’Agriculture en pleine tempête « Louis Robert ». Durant la pandémie, le vent a tourné, alors qu’il a mis le cap sur un projet fédérateur : accroître l’autonomie alimentaire du Québec. Portrait d’un ministre pressé.

« On veut peser sur l’accélérateur »

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Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, s’est donné pour objectif d’accroître l’autonomie alimentaire du Québec de 10 % au cours des prochaines années.

« L’idée, c’est de les pousser dans le derrière. 2021, c’est l’année du poussage dans le derrière ! »

En ce matin gris de la fin novembre, André Lamontagne piaffe devant une mosaïque virtuelle composée des visages de hauts fonctionnaires de la Gaspésie, de la Côte-Nord et des Îles-de-la-Madeleine.

Ceux qu’il « faut pousser dans le derrière », ce sont les pêcheurs québécois, dont plusieurs représentants participent à la visioconférence projetée sur une grande télévision.

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation n’y va pas par quatre chemins : il demande à ses directeurs régionaux d’aider les grands acteurs de l’industrie à désactiver le « pilote automatique » pour augmenter les ventes des produits marins québécois sur le marché local.

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Le ministre Lamontagne participant à une rencontre virtuelle sur la stratégie nationale d’achats québécois. Il est accompagné de son attaché politique Jean-Bernard Marchand (à gauche), de Bernard Verret, sous-ministre adjoint à la transformation et aux politiques bioalimentaires au MAPAQ, et de Daniel Bouchard (au fond), directeur planification, politiques et études économiques.

Le Québec produit environ la moitié de ce qu’il mange. Le ministre Lamontagne est en mission pour faire bouger l’aiguille de 51 % à 56 %. Il veut donc faire croître l’autonomie alimentaire du Québec de 10 % au cours des prochaines années.

Et s’il y a un domaine où le Québec peut faire mieux, c’est bien celui de la pêche. Environ 80 % de toutes les espèces capturées dans nos eaux sont exportées, alors que nos poissonneries regorgent de produits provenant de l’étranger.

Mais il se heurte à une certaine résistance.

« Si tout le monde s’en va sur le marché québécois, on va faire baisser les prix », s’inquiète Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche. « Les pêcheurs veulent gagner de l’argent et les employés d’usine aussi », ajoute-t-il.

Le ministre réplique.

On est habitués à faire les affaires de la même façon depuis des années et des années et des années, et tout le monde est confortable là-dedans parce que ça va bien. Il faut élargir nos horizons, sortir de la boîte un peu et essayer de nouvelles affaires.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

Les planètes alignées

Sur les murs de la salle de conférence d’où le ministre enchaîne les réunions à un rythme intense, une autre mosaïque de visages ; seulement, cet échiquier n’est pas virtuel.

Les portraits en noir et blanc de tous les ministres québécois de l’Agriculture depuis 1897 s’alignent, de François-Gilbert Miville-Dechêne jusqu’à Laurent Lessard.

Souveraineté alimentaire, autonomie alimentaire, achat local : dans l’histoire récente, ils sont plusieurs à avoir pondu des plans, sans vraiment faire bouger les chiffres.

En quoi cette fois sera-t-elle différente ?

C’est sûr que la pandémie, ça a aligné les planètes. Grâce à la sensibilité des consommateurs à l’importance d’acheter québécois, ça amène des possibilités additionnelles. On a un objectif de capitaliser là-dessus et de l’augmenter. On veut peser sur l’accélérateur.

André Lamontagne, en entrevue

Il ajoute que l’argent parle. De 2010 à 2018, les crédits budgétaires qui sont allés au ministère de l’Agriculture des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) ont totalisé 717 millions. En seulement deux ans, se plaît-il à souligner, il est allé chercher 778 millions auprès du Conseil du trésor.

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Le ministre Lamontagne a multiplié les annonces cet automne.

Cet automne, le ministre a enchaîné les annonces. Il compare d’ailleurs cette pluie de millions à un « feu d’artifice » :

> 91 millions pour doubler la superficie des serres d’ici cinq ans et tarif préférentiel hydroélectrique de 5,59 cents le kilowattheure ;

> 16 millions pour une stratégie nationale d’achat d’aliments québécois dans les institutions ;

> 92,5 millions en appui aux transformateurs qui souhaitent investir en robotisation et en automatisation ;

> 15,5 millions versés à la marque de commerce « Aliments du Québec » afin de bonifier ses campagnes publicitaires et d’affichage.

Le ministre Lamontagne l’admet, il est pressé. « Je vois ça comme un marathon qu’on a à faire, mais étant donné qu’on a juste quatre ans, il faut qu’on sprinte. »

Effervescence

Président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) depuis neuf ans, Marcel Groleau constate une effervescence dans le monde agricole.

« Le premier ministre a fait du secteur agroalimentaire une priorité et quand le bureau du premier ministre en fait une priorité, c’est le jour et la nuit », dit-il.

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Marcel Groleau, président de l’UPA

« M. Lamontagne a eu l’énergie de saisir cette opportunité-là. Parce qu’il aurait pu, aussi, simplement être un ministre plutôt effacé et il serait resté ministre de l’Agriculture quand même », ajoute le porte-parole des 42 000 agriculteurs du Québec.

Pour le gouvernement Legault, l’accroissement de l’autonomie alimentaire est devenu l’une des pierres d’assise du plan de relance de l’économie, durement plombée par la pandémie. « Dès le jour 1, j’avais l’oreille de mon premier ministre. Là, j’ai les deux », souligne le ministre

Il y a quelques semaines, le professeur Sylvain Charlebois, l’observateur de la scène agroalimentaire le plus médiatisé, a écrit dans La Presse qu’André Lamontagne était candidat au titre de meilleur ministre de l’Agriculture depuis Jean Garon, le père de la Loi sur la protection du territoire agricole.

Le Québec a présentement le meilleur ministre de l’Agriculture au Canada.

Sylvain Charlebois, professeur en management et en agriculture à l’Université Dalhousie

« J’ai côtoyé beaucoup de ministres de l’Agriculture et ce n’était pas de mauvais ministres, mais l’approche d’André Lamontagne est vraiment une approche ouverte et à l’écoute de tout le monde », explique-t-il.

Fils du cofondateur de Provigo Jean-Louis Lamontagne, André Lamontagne est devenu propriétaire de sa première épicerie à 26 ans.

En deux décennies, Sylvie Cloutier, la PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), a vu passer plus de 10 ministres. Le fait qu’il soit le premier issu du monde du détail change la donne.

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Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec

Des fois, avoir des rencontres avec un ministre, c’est comme essayer de rencontrer le pape. Dans son cas à lui, c’est le contraire. Il est très accessible, il veut parler aux gens. C’est lui-même qui convoque des rencontres, ce qu’on a rarement vu dans le passé.

Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec

Partage-t-elle l’avis du professeur Charlebois ? « C’est assurément le ministre qui a eu le plus de succès à ce jour. On en a eu d’autres de bons, mais ils n’ont jamais réussi à faire ce que lui a fait. »

André Lamontagne s’attire aujourd’hui les éloges des grands acteurs du monde agroalimentaire.

Pourtant, les choses avaient très mal commencé pour lui.

L’après-Louis Robert

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Le ministre André Lamontagne devant l’Assemblée nationale à Québec

30 janvier 2019. André Lamontagne s’avance vers les micros. Ce matin-là, une horde de journalistes fait le pied de grue en marge du premier caucus de la CAQ.

Lors de la mêlée de presse, il déclare avoir « personnellement » autorisé le congédiement d’un obscur fonctionnaire pour manque de loyauté.

C’est ainsi qu’est née l’« affaire Louis Robert », du nom de cet agronome lanceur d’alerte qui s’est fait montrer la porte après avoir révélé l’ingérence des intérêts privés dans la recherche publique sur les pesticides, d’abord à l’interne, puis à un journaliste.

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Louis Robert, agronome et lanceur d’alerte

Pour la première fois, André Lamontagne revient sur la crise qui a secoué le début de son règne.

« C’est comme si j’étais envoyé sur la mer, relate-t-il. La tempête a pogné, j’ai baissé les voiles et je suis rentré dans la petite boîte. J’ai fermé la porte et j’ai attendu que ça passe. Psychologiquement et émotivement, c’est comme cela que j’ai vécu ça. C’est peut-être deux ou trois mois plus tard, à un moment donné, alors que je parlais à mon chef de cabinet que j’ai dit : “Ça m’a frappé, la violence de ce qui est arrivé.’’ »

Ses déclarations de janvier 2019 ont engendré une cascade d’évènements, dont le déclenchement d’une commission parlementaire sur les risques de l’usage des pesticides.

« J’ai ouvert le Téléjournal trois jours d’affilée, se rappelle-t-il. Tout ce qui a été mis là sur la place publique, comment j’ai été présenté : ça n’avait rien à voir du tout avec ce que j’étais comme personne. »

Il raconte que ses deux filles ont même voulu écrire aux journalistes pour le défendre. Il dit aussi avoir reçu des messages haineux et des menaces.

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André Lamontagne

Ce qui m’est arrivé au début, c’est sûr que c’est dommage. C’est dommage au sens que je n’avais pas d’affaire là-dedans. J’ai pris sur moi quelque chose qui ne m’appartenait pas

André Lamontagne

Ce dernier affirme que c’est surtout son « orgueil » qui en a pris un coup. « Je suis quelqu’un dans la vie, j’ai toujours réussi », chuchote celui qui fut à la barre de plusieurs entreprises.

Deux enquêtes de la protectrice du citoyen ont été déclenchées dans la foulée de cette « gaffe ». La première, sur la forme qu’a prise le congédiement, et la deuxième, sur le fond de l’histoire.

Dans le premier cas, elle a publié un rapport dévastateur. Elle a jugé que la dénonciation de Louis Robert avait été gérée de manière si déficiente par le MAPAQ que son cas risquait de décourager d’autres lanceurs d’alerte.

La deuxième enquête est toujours en cours.

Rappel de la controverse

Durant un an et demi, André Lamontagne ne s’est pas prononcé sur l’enjeu des pesticides, en répétant ad nauseam attendre la publication du rapport de la commission parlementaire.

Le 22 octobre, il a finalement présenté sa réplique sous la forme d’un plan d’agriculture durable, doté d’un budget de 125 millions sur cinq ans. Une enveloppe de 70 millions sera consacrée à la rétribution financière des producteurs qui adoptent des pratiques qui vont au-delà des exigences réglementaires en place.

André Lamontagne a présenté ce plan accompagné de la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe. Un appui de taille.

Mais revenons à Louis Robert : de quoi l’agronome voulait-il parler au public ? De néonicotinoïdes, ces fameux pesticides « tueurs d’abeilles ».

Mais surtout, du fait que des membres du conseil d’administration du Centre de recherche sur les grains (CEROM), financé majoritairement par le MAPAQ, mais dirigé par des gens issus de l’industrie agricole, ont voulu empêcher la publication de résultats scientifiques. Et que disaient ceux-ci ? Que l’usage des néonicotinoïdes était inutile dans 95 % des cultures de maïs et de soya, alors qu’ils étaient utilisés dans la presque totalité des champs au Québec.

Que pense le ministre Lamontagne du fond de cette histoire ?

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André Lamontagne

Les centres de recherche, il faut que ce soit sur la coche. Je ne peux pas changer ce qui s’est fait et je ne sais pas dans le détail ce qui s’est vraiment passé. Moi, je n’ai pas vraiment beaucoup d’intérêt pour ça. Par contre, on peut apprendre du passé, et ce qui sort de ça, c’est l’importance de la conduite responsable en recherche.

André Lamontagne

La réalité, dit-il, c’est que les pesticides existent. « S’il n’y avait pas de pesticides depuis hier, ce serait parfait », dit-il.

De penser qu’il n’y aura plus de pesticides demain matin est un scénario digne « d’Alice au pays des merveilles » : « Ce qui est important, c’est de mettre en place un environnement qui va faire en sorte que les comportements vont changer », dit-il.

Il souligne par ailleurs que dans les grandes cultures, un agriculteur ne connaîtra qu’environ 30 récoltes au cours de sa carrière.

« Tu te ramasses que jour après jour, tu fais ton best, et là, ce qui t’est renvoyé dans la face, c’est que tu es un pourri, que tu es un pollueur. Quand tu parles de détresse psychologique, ça, c’est des sources de détresse psychologique », en référence à la couverture médiatique sur l’enjeu des pesticides.

« Je ne lui en veux pas »

Louis Robert a été réintégré dans ses fonctions après la publication du premier rapport de la protectrice du citoyen. André Lamontagne s’est excusé en personne en octobre 2019 aux bureaux du MAPAQ de Saint-Hyacinthe.

Dans le cadre de ce portrait, le cabinet du ministre a autorisé Louis Robert à nous accorder une entrevue.

Quand il a visionné le fameux point de presse du ministre, il raconte s’être senti comme un emballeur d’épicerie « soupçonné d’avoir caché des rouleaux de trente sous dans ses poches ».

« Je trouve qu’il a commis une erreur quand il a endossé mon congédiement, ça, c’est sûr, mais je ne lui en veux pas, dit-il. Je ne le dénigrerai pas sur la base de ses qualités et de sa valeur humaine. »

Je comprends qu’il a pu faire ça, en grande partie parce qu’il s’est fait tromper par son sous-ministre à l’époque.

Louis Robert, agronome

Le sous-ministre en question, Marc Dion, a remis sa démission le jour de la publication du rapport, à un mois de sa retraite.

Louis Robert estime que le ménage n’a pas réellement été fait pour libérer le monde agricole de l’influence disproportionnée de ses puissants lobbys : l’UPA et son syndicat des Producteurs de grains, la Coop fédérée (aujourd’hui Sollio agriculture) et les sociétés fabriquant des pesticides. Bref, ceux dont les représentants siégeaient au C.A. du CEROM.

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Louis Robert, agronome et lanceur d’alerte

À mon avis, il n’y a pas grand-chose de changé, pas de grosse amélioration.

Louis Robert, agronome et lanceur d’alerte

« Ce qui a changé, ajoute-t-il, c’est l’intérêt croissant de la population pour les questions agricoles, et ça, c’est très positif. Avec la progression du bio et la réglementation, c’est ce qui fait qu’on utilise déjà moins de pesticides, et ça va se poursuivre », dit-il.

Expert de la santé des sols, Louis Robert a été embauché en 1989. Il croit que si le Ministère veut faire preuve de leadership, il doit utiliser les compétences de ses experts, plutôt que les enterrer avec davantage de programmes d’aide financière et autres paperasses.

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Christian Overbeek, réélu en mars 2019 à la présidence des Producteurs de grains du Québec, a été au cœur de la controverse qui a secoué le CEROM. Il nie s’être opposé à la publication de résultats de recherche sur les néonicotinoïdes.

« André Lamontagne ne voudra pas déplaire à l’UPA et aux Christian Overbeek [le président des Producteurs de grains] de ce monde. Tout est soumis à la bonne volonté des partenaires et aux mêmes recettes que dans le passé faites de promesses et de subventions. Malheureusement, je pense le contraire. Je pense que si l’on veut vraiment en arriver à une agriculture qui rejoint les besoins et les aspirations de la population, le MAPAQ devra parfois rompre des liens. Notamment lorsque les intérêts des lobbys sont incompatibles avec l’intérêt public. »

La fibre entrepreneuriale

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André Lamontagne lors d’un point de presse à Québec en compagnie du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien

André Lamontagne est en 3secondaire. Élève au Collège des Jésuites à Québec, il doit faire un travail scolaire sur un métier qu’il aimerait exercer plus tard. Il fera un choix qui l’étonne aujourd’hui : politicien.

« Il fallait qu’on interviewe quelqu’un qui faisait ça, et moi, j’avais écrit au premier ministre Robert Bourassa. Mon professeur m’a dit : “Écoute, si j’étais toi, je me trouverais un plan B.’’ »

Quelques semaines plus tard, la secrétaire de l’école débarque dans sa classe. « Elle est venue m’apporter un papier pour me dire de rappeler Micheline, la secrétaire de M. Bourassa. Deux semaines plus tard, j’étais sur la colline Parlementaire dans le bureau du premier ministre avec mon enregistreuse et mon petit micro de plastique. »

Malgré cette rencontre marquante, ce rêve restera en dormance, jusqu’au jour où il fait la lecture du livre de François Legault, 40 ans plus tard.

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André Lamontagne dans son bureau au MAPAQ

Après sa deuxième lecture du bouquin, il décide de contacter M. Legault pour lui offrir son aide.

Des pages de notes sous les bras, il arrive à la permanence de la CAQ le 1er mars 2014, alors que les élections sont sur le point d’être déclenchées. « Si tu veux vraiment m’aider, je voudrais que tu sois candidat », lui dira M. Legault après une discussion de plusieurs heures.

Le soir même, il décide de faire le saut.

André Lamontagne se remémore ces anecdotes assis dans son minuscule bureau de l’hôtel du Parlement, alors qu’il patiente avant d’entrer au Salon bleu où, dans quelques minutes, il déposera son deuxième projet de loi en carrière.

La cloche qui appelle les députés sonne. Du haut de ses 6 pieds 2, l’homme de 60 ans s’élance dans les couloirs du parlement et s’arrête devant une photo de son oncle, Robert Lamontagne, député libéral de Saint-Félicien, qui fut vice-président de l’Assemblée nationale de 1973 à 1976 et whip de l’opposition officielle de 1976 à 1981.

  • André Lamontagne s’arrête dans le couloir du parlement pour regarder une photo de son oncle, ancien député libéral qui a siégé dans les années 1970.

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    André Lamontagne s’arrête dans le couloir du parlement pour regarder une photo de son oncle, ancien député libéral qui a siégé dans les années 1970.

  • Photo affichée de Robert Lamontagne, oncle du ministre

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    Photo affichée de Robert Lamontagne, oncle du ministre

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C’est le premier à qui il a téléphoné après avoir dit oui à François Legault.

Il se souvient, en riant, du silence qui régnait au bout du fil. « Après un moment, il a dit : “Oui, mais là, ça ne s’en va pas en montant cette affaire-là !’’ »

À l’époque, la CAQ était à 14 % dans les sondages.

Plusieurs vies

Pour celui qui fut indépendantiste et grand admirateur de René Lévesque, c’est l’ADN entrepreneurial de la CAQ qui l’a séduit.

« Le centre de ma vie professionnelle pendant des années, c’était les affaires », dit-il.

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Au cours de sa carrière d’entrepreneur, André Lamontagne a notamment géré trois épiceries de 1986 à 1998.

Titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires de l’Université Laval, il gère trois épiceries de 1986 à 1998.

Après, je les ai vendues l’une après l’autre. Je suis [comme ça] : à un moment donné, quand j’ai fini d’apprendre, il n’y a pas d’argent que tu peux me donner pour que je reste là.

André Lamontagne

Avec son frère et son père, il sera aussi propriétaire d’un réseau d’une vingtaine d’agences de voyages. Il sera par la suite un « ange investisseur », en plus de travailler comme coach auprès de dirigeants issus du milieu des affaires.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ LAMONTAGNE

André Lamontagne avec son père Jean-Louis, cofondateur de Provigo, et sa fille Sabrina, en 2000

Avant d’être élu député, il était propriétaire d’une entreprise spécialisée dans l’achat, la remise à neuf, la revente et la location d’hélicoptères.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ LAMONTAGNE

André Lamontagne est titulaire d’une licence professionnelle de pilote d’hélicoptère depuis 2008.

Aujourd’hui, il est indépendant de fortune. Veuf depuis février 2017, il est père de deux jeunes femmes, Sabrina et Amélia, âgées de 21 et 23 ans. Il fut l’aidant naturel de sa femme Kristine, emportée par le cancer.

Son directeur de cabinet, Sébastien Benedict, souligne que son patron est un homme profondément humain. Il raconte qu’à la suite du décès tragique d’une employée du MAPAQ de Trois-Rivières lors d’un tournage sur une ferme, il s’est présenté au party de Noël du bureau régional pour les soutenir dans leur deuil.

« L’année passée a été terrible pour les agriculteurs. Ils ont vécu les sécheresses, après les vents qui ont tout mis par terre dans les champs, la grêle, la pénurie de propane causée par la grève du CN, les barrages ferroviaires et après : la COVID-19. Tu mets tout cela ensemble et à un moment donné, c’est juste de la gestion de crise pour les agriculteurs. M. Lamontagne a été très présent tout au long et très salué pour ça. Je pense que là, les gens ont vraiment commencé à voir qui il est, pour de vrai. »

L’agriculture « avec un grand A »

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Le ministre Lamontagne discute avec Jean-Martin Fortier, écrivain et vedette du mouvement de l’agriculture biologique diversifiée à petite échelle.

Il neige sur la colline Parlementaire. Deux jours après sa réunion avec les pêcheurs, André Lamontagne est sur le point de faire sa plus importante annonce en matière d’autonomie alimentaire : celle de doubler la superficie des serres au Québec d’ici cinq ans, l’une des promesses électorales phares de la CAQ.

Pour sa conférence de presse, il a réussi à rallier le maraîcher-vedette Jean-Martin Fortier, défenseur d’une agriculture biologique à petite échelle. Avant l’annonce, il remercie le ministre d’avoir inclus dans le programme de subvention les petits producteurs. « À la même table que les gros, c’est quand même incroyable », soulignera-t-il.

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Jean-Martin Fortier à Québec en marge de la conférence de presse annonçant le plan gouvernemental destiné à doubler la superficie des serres au Québec d’ici cinq ans.

Je suis très impressionné par le ministre, j’apprécie énormément sa façon d’opérer. Je l’ai entendu quand j’étais dans différents colloques, et les agriculteurs, il y en a qui pleurent. Ils se sentent entendus et il y a en beaucoup que ça fait longtemps qu’ils ont envie de l’être.

Jean-Martin Fortier, agriculteur

Le critique péquiste en matière d’agriculture, Sylvain Roy, décrit le ministre comme un homme « authentique » et « honnête ». Sa vision de l’agriculture est toutefois indissociable de son parcours.

« C’est un entrepreneur qui contamine sa vie politique avec son passé, ce qui est une bonne chose, de proposer d’être audacieux dans le domaine de l’agriculture, mais il n’en demeure pas moins qu’il est quand même soumis à des lobbys extrêmement puissants qui font valoir leur point de vue et qui ont une écoute du cabinet du ministre », croit-il.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU PARTI QUÉBÉCOIS

Sylvain Roy, député péquiste de Bonaventure et critique en matière d’agriculture

Proposer des stratégies de développement, de mise en marché, d’amélioration de la productivité : je pense que ça, il est plus à l’aise avec ça que de sanctionner, de réguler ou d’imposer des choses qui vont à contre-courant des grands lobbys.

Sylvain Roy, critique péquiste en matière d’agriculture

Son homologue à Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien, estime pour sa part « qu’il a pris position très rapidement dans l’affaire Louis Robert en faveur de l’industrie ».

« Pour moi, M. Lamontagne, reste que ce n’est pas tout noir, tout blanc. Il a des bons coups », dit-elle en citant le projet des serres.

« J’ai quand même quelques déceptions parce que les deux grands chantiers [pesticides et autonomie alimentaire], on peut les traiter à travers un œil plus global de la lutte contre les changements climatiques. L’agriculture a un rôle à jouer dans ce combat-là et je pense que le ministre ne met pas assez à contribution, si on veut, l’industrie agricole. »

L’éléphant dans la pièce

Pour Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec, l’éléphant dans la pièce de l’autonomie alimentaire, c’est la pénurie de main-d’œuvre. « Oui, il y a une effervescence pour l’achat de produits québécois, mais on n’a pas plus de gens qui cognent à nos portes pour venir travailler en agroalimentaire », souligne-t-elle.

N’y a-t-il pas, par ailleurs, une profonde contradiction entre le souhait de rendre le Québec plus autonome dans sa production alimentaire et le fait que notre agriculture dépend de l’apport de 16 000 ouvriers agricoles d’Amérique latine chaque année ? « C’est la réalité et ce n’est pas juste propre au Québec », répond le ministre.

Lorsque les frontières se sont fermées au début de la pandémie, le monde agricole a tremblé, de peur de ne pas pouvoir compter sur cette main-d’œuvre.

S’il y a une personne avec qui il a dû collaborer dans le dossier, c’est bien la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

Marie-Claude Bibeau, ministre fédérale de l’Agriculture

« On se texte, on s’appelle à toute heure pour partager des infos. Cette collaboration-là est devenue particulièrement importante pendant la pandémie, alors qu’on devait régler des dossiers rapidement », nous a-t-elle écrit. « Quand on y pense, d’avoir deux Québécois à la tête du ministère de l’Agriculture, tant au fédéral qu’au Québec, c’est un fait rarissime dans l’histoire du Canada. »

S’il ne se définit pas comme « un chien de garde », Jean-Martin Fortier émet toutefois un bémol : il aimerait entendre le ministre parler davantage de saisonnalité et d’écologie.

« Je pense qu’à la CAQ, ce sont des entrepreneurs et leur ADN, ce n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser et ce qu’ils doivent faire. C’est de dire : on va vous donner les outils pour que les choses se développent et on ne va pas aller réglementer tout. On va laisser les citoyens choisir les modèles qu’ils veulent, mais on va encourager tout le monde. Et après, ça va être un petit peu la compétition, si tu veux, de qui va gagner », analyse-t-il.

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André Lamontagne présente, lors d’une rencontre en ligne, son projet de loi visant à rendre indépendant l’Institut de technologie agroalimentaire, la toute dernière école d’État.

Et quelle est la vision du ministre Lamontagne pour l’agriculture au Québec ?

Il se voit davantage comme un « véhicule » que comme un idéologue.

« J’ai identifié vraiment ce qu’il fallait faire et ce qu’il faut faire, ça touche l’agriculture avec un grand A, répond-il. Et l’agriculture avec un grand A, ça commence avec l’idée que n’importe qui sur le territoire qui veut mettre son talent au service de l’agriculture et de l’occupation du territoire, il faut qu’il ait un environnement pour le faire et il faut qu’il gagne sa vie honorablement. »