(Montréal) La Cour supérieure du Québec a accordé, encore une fois, plus de temps au gouvernement fédéral pour qu’il fasse adopter son projet de loi sur l’aide médicale à mourir.

Cette fois, Ottawa a demandé — et obtenu — un peu plus de deux mois supplémentaires, soit jusqu’au 26 février 2021.

Ce temps limite a été imposé par le jugement québécois de septembre 2019 sur l’aide médicale à mourir, qui avait invalidé les critères de la législation provinciale et fédérale exigeant que les citoyens soient en fin de vie, ou que leur mort naturelle soit raisonnablement prévisible, afin de pouvoir demander l’assistance d’un médecin pour mettre fin à leurs jours.

Ce faisant, la juge Christine Baudouin avait ouvert l’aide médicale à mourir à un plus grand nombre de personnes, comme Jean Truchon et Nicole Gladu, ces deux Québécois atteints de graves maladies dégénératives incurables — sans être en fin de vie — qui ont mené cette bataille juridique au cours des dernières années.

La juge avait toutefois maintenu les lois et leurs critères pendant un certain temps, afin de donner le temps aux gouvernements de les modifier.

Mais ce temps avait une limite, qu’Ottawa a depuis dépassée.

Dans une série de micromessages, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, s’est dit satisfait de la décision du tribunal.

« Nous sommes conscients que pendant ce temps, des gens souffrent. Nous nous concentrons à faire adopter cette législation primordiale le plus rapidement possible », a-t-il écrit, accusant par ailleurs les conservateurs d’avoir fait de « l’obstruction » à la Chambre des communes.

Jeudi, le fédéral a encore une fois invoqué la pandémie de COVID-19, qui a ralenti les travaux parlementaires, pour justifier sa requête.

Son projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, déposé en février, stagne actuellement au Sénat et n’a pas encore été adopté. Jeudi après-midi, il a toutefois franchi une étape et a été envoyé en comité pour une étude détaillée de ses dispositions.

Il était évidemment impossible que C-7 soit adopté d’ici vendredi. Ottawa a donc fait valoir qu’une suspension additionnelle est nécessaire pour permettre au Parlement d’effectuer son travail.

Il s’agit de la troisième fois qu’Ottawa demande une extension de la date limite, repoussée à chaque fois par un juge.

Cette fois-ci, le gouvernement fédéral a arraché ce temps supplémentaire à la toute dernière minute, par une décision rendue jeudi après-midi par le juge Martin F. Sheehan de la Cour supérieure.

L’avocat de Mme Gladu et de feu M. Truchon s’est opposé à la demande d’Ottawa.

Me Jean-Pierre Ménard estime que la pandémie n’est pas « un changement de circonstances » survenu depuis la dernière extension : elle faisait déjà rage à ce moment. « C’est de la faute du gouvernement, qui a mal planifié et qui n’a pas fait ce qu’il fallait », a-t-il plaidé.

Le juge Sheehan n’est pas d’accord : la pandémie est un évènement « rare et sans précédent dans l’ère moderne », écrit-il.

Elle a entraîné de nombreux défis « qui ont exigé et requièrent toujours des interventions ciblées extraordinaires qui ont retenu l’attention quasi exclusive des gouvernements et des institutions publiques depuis le mois de mars dernier ».

Ainsi, même si la pandémie était connue en juin dernier, le changement de circonstances qu’elle inflige sur les Canadiens est persistant et continuel, écrit le magistrat, qui note aussi que « le processus législatif est dans ses derniers miles ».

Ainsi, il juge opportun d’accorder une courte extension pour lui permettre de se terminer.

Allègement de difficultés

Vu cette « suspension d’invalidité » additionnelle, rien n’a encore changé : la législation fédérale demeure en vigueur.

Bref, les citoyens qui satisfont à tous les critères du Code criminel, sauf à celui qui exige que « leur mort naturelle soit raisonnablement prévisible », ne peuvent toujours pas requérir directement l’aide d’un médecin pour mettre fin à leurs jours.

Par contre, ils peuvent aller devant la Cour pour être autorisés individuellement à obtenir l’aide médicale à mourir, une possibilité donnée par la juge Baudouin dans son jugement en 2019. Ils doivent toutefois payer les frais associés à cette procédure judiciaire, en plus de vivre tous les autres inconvénients.

Jeudi matin, le juge Sheehan a demandé à l’avocat du procureur général, Me David Lucas, si le gouvernement avait quelque chose à proposer pour alléger le fardeau de ces gens et atténuer les contraintes portées à leurs droits, par exemple en remboursant leurs coûts judiciaires. La demande a été relayée au gouvernement.

Interrogé à ce sujet jeudi après-midi par La Presse Canadienne, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a déclaré que le gouvernement allait payer les honoraires d’avocats et les dépenses de cour raisonnables de ceux qui devront y aller afin de demander pareille permission.

Le juge Sheehan a pris soin d’inscrire cet engagement dans son jugement.