(Ottawa) Le gouvernement Trudeau n’est pas disposé à obliger les partis politiques au même niveau de responsabilité qu’il exige des autres organisations dans sa refonte actuelle du régime fédéral de protection de la vie privée, soutient une éminente spécialiste de la question.

Teresa Scassa, une professeure de droit à l’Université d’Ottawa, dit que le gouvernement fédéral impose de nouvelles obligations importantes à de nombreuses organisations, mais « il n’est tout simplement pas disposé » à contraindre les partis politiques à rendre des comptes.

Le ministère de la Justice a récemment publié un document de travail sur la révision de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui réglemente la collecte, l’utilisation et la divulgation des données personnelles par le secteur public fédéral.

Le lancement d’une consultation publique survient dans la foulée du dépôt d’un projet de loi gouvernemental par le ministre de l’Innovation Navdeep Bains qui donnerait aux gens plus de contrôle sur leurs informations à l’ère numérique. Des amendes potentiellement lourdes pourraient être imposées aux entreprises qui bafouent les règles.

Cependant, aucune de ces mesures ne répond aux demandes du commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, et de militants du droit à la vie privée qui souhaitent que les partis politiques soient aussi assujettis aux lois fédérales régissant les renseignements personnels.

Les informations sur les électeurs potentiels sont utiles aux partis politiques. Plusieurs intervenants s’inquiètent de la manière dont les partis les utilisent pour suivre et cibler des personnes à l’ère des algorithmes et des vastes bases de données.

Selon Mme Scassa, le gouvernement pourrait s’assurer que les partis fédéraux respectent les dispositions qui les obligeraient, par exemple, à obtenir le consentement pour utiliser des informations personnelles, à signaler les violations de données lorsqu’elles se produisent et à effacer les données personnelles à la demande de quelqu’un.

« Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait y mettre qui amélioreraient considérablement la protection de la vie privée des individus, en ce qui concerne les partis politiques, souligne-t-elle. Ils semblent totalement réticents à le faire. C’est un problème très important. »

Mme Scassa concède qu’il pourrait être nécessaire d’inclure des exceptions dans la loi concernant la manière dont les partis communiquent avec les électeurs.

Le type d’informations que les partis politiques commencent maintenant à collecter et à utiliser va bien au-delà de ce qui était le cas auparavant. Certains d’entre eux se livrent à un profilage beaucoup plus sophistiqué des individus, et ainsi de suite.

Teresa Scassa, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Le porte-parole du ministère de la Justice, Ian McLeod, rappelle que la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique aux institutions gouvernementales fédérales et aux organismes publics fédéraux. Les partis politiques ne le sont pas puisqu’ils sont des organisations privées.

De son côté, John Power, un porte-parole du ministre Bains signale que la Loi sur la modernisation des élections adoptée en 2018 avait formulé des exigences aux partis politiques pour qu’ils protègent les renseignements personnels des Canadiens.

Les formations politiques sont désormais tenues d’avoir « une politique accessible au public et facilement compréhensible » au sujet de la protection des renseignements personnels, un document qui doit être soumis à Élections Canada, dit-il.

Mme Scassa ne croit pas que ces dispositions répondent aux inquiétudes. « Exiger une politique de confidentialité sans responsabilité et garanties appropriées n’est tout simplement pas suffisant. »

Selon le document de travail sur la refonte de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le gouvernement fédéral dit être conscient que les attentes des Canadiens ont changé et évolué depuis qu’elle est entrée en vigueur il y a plus de trois décennies.

« Il est temps de l’examiner pour s’assurer qu’elle s’adapte aux effets des changements technologiques et de l’évolution des valeurs canadiennes », peut-on lire.

Le gouvernement propose de donner aux agences fédérales une plus grande flexibilité pour utiliser et divulguer les informations personnelles qui ont fait l’objet d’un processus établi de suppression des identifiants personnels. Il compte énoncer les droits liés à la sensibilisation du public aux interactions avec les systèmes de prise de décision automatisés, comme les outils d’intelligence artificielle.

Il veut aussi donner au commissaire à la protection de la vie privée de plus grands pouvoirs pour traiter plus efficacement les plaintes et élargir l’éventail des questions pour lesquelles les particuliers peuvent demander des recours juridiques.

Le coordinateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, Tim McSorley, dit que la loi devrait mieux définir la notion de renseignements personnels et celle des renseignements accessibles à la population.

M. McSorley aimerait également aussi que le droit à la vie privée soit placé sur un pied d’égalité avec d’autres garanties fondamentales.

Il signale aussi que des éléments du document de travail laissent entendre que la police et les agences de renseignements pourraient être exemptées de certaines exigences, étant donné le caractère secret de leurs enquêtes.

« Nous pourrions avoir les règles les plus strictes possibles dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais si elle est pleine d’exceptions pour la sécurité nationale, alors cela ne va pas vraiment assez loin pour protéger la vie privée des gens et leurs informations. »