Qui l’avait vue venir ? Pas moi. Ce n’était pas écrit dans ma boule de cristal, même en petits caractères.

En pleine pandémie, la protection de français revient à l’avant-scène des débats, autant à Québec qu’à Ottawa.

Pour le gouvernement caquiste, la nouvelle est inespérée. La fenêtre s’ouvre toute grande pour présenter son plan de protection du français.

Pour le fédéral, c’est plus compliqué. Les libéraux de Justin Trudeau veulent courtiser l’électorat québécois, mais le message ne s’est pas rendu à toute la famille…

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

La députée libérale Emmanuella Lambropoulos a remis en question le déclin du français au Québec.

La semaine dernière, la députée Emmanuella Lambropoulos a remis en question le déclin du français au Québec. La députée de Saint-Laurent a fait sa déclaration en anglais.

Mercredi, c’est un récent gazouillis de la présidente du parti au Québec, Chelsea Craig, qui a refait surface. Elle y jugeait la loi 101 « oppressive » et « ruineuse » pour l’éducation des anglophones. Dans son cas aussi, le message était en anglais.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

La libérale Chelsea Craig

L’ironie semble leur avoir échappé…

C’est embêtant pour les libéraux, car cela survient alors qu’ils essaient de se repositionner sur le français.

Dans le discours du Trône en septembre, M. Trudeau se donnait la « responsabilité » de « protéger et promouvoir » le français au Québec.

Historiquement, le fédéral s’est préoccupé des langues minoritaires – l’anglais au Québec et le français dans le reste du pays. M. Trudeau s’engage maintenant à reconnaître le statut particulier du français au Québec.

Comment ? La ministre responsable du dossier, Mélanie Joly, y travaille. Cela pourrait passer par une modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui n’a pas été modifiée significativement depuis au moins 30 ans – par exemple, la loi ne dit rien sur les télécommunications. Ce travail n’est toutefois pas simple, et la prochaine campagne électorale risque d’arriver d’ici quelques mois.

L’application de la loi 101 aux organisations de compétence fédérale n’est pas écartée par Ottawa, mais l’appétit semble faible. Le Parti libéral du Québec s’est par contre rallié à l’idée cet automne.

Une autre preuve que le débat sur le français revient de façon étonnante.

***

Bien sûr, la conversion des libéraux ne vient pas de nulle part. Elle survient alors que le Bloc se maintient à égalité en tête des intentions de vote, que les néo-démocrates se marginalisent et que les conservateurs courtisent les nationalistes.

Reste qu’en parlant mercredi à de nombreux libéraux fédéraux, j’entendais le même constat : le français recule à Montréal et les dernières statistiques sont inquiétantes.

Je sais, cela étonne…

Les libéraux savent que beaucoup demeurent sceptiques. C’est justement pour cela que les déclarations de Mmes Craig et Lambropoulos font mal. Elles minent la fragile crédibilité qu’ils s’efforcent de construire.

Le Bloc prétend qu’elles représentent la vraie pensée libérale. Cela me semble un peu gros. D’autres courants existent, comme le démontre cette lettre d’une ancienne conseillère.

Lisez le texte de Chloé Luciani-Girouard https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-11-17/recul-du-francais/une-erreur-de-mauvaise-foi. php

Mais la déclaration de Mme Lambropoulos n’est pas anecdotique non plus. Elle résume bien un nouveau risque pour le français.

Différentes mesures existent pour en évaluer la santé. Il y a la langue d’affichage, de service et de travail. Aussi le taux de gens maîtrisant une langue. Et au-delà de la capacité de la parler, il y a la volonté de le faire et l’intensité de son usage.

C’est en cela que le cas Lambropoulos est révélateur. Trilingue, cette jeune femme parle bien français – elle enseignait dans cette langue dans une école secondaire anglophone avant de se présenter en politique.

Lors de sa victoire à l’assemblée d’investiture en 2017, elle avait toutefois commencé son discours en anglais. « C’est la langue que je préfère », justifiait-elle à un journaliste. C’est aussi en anglais qu’elle s’est adressée au comité parlementaire sur les langues officielles.

La députée est représentative de sa génération, pour qui la langue est une question de préférence personnelle. Un outil de communication déchargé de sa valeur identitaire.

La semaine dernière, un sondage Léger rapportait que la majorité des 18-34 ans (58 %) se fiche d’être accueilli en anglais dans les commerces du centre-ville de Montréal. Cela explique pourquoi le français comme langue d’accueil unique y a baissé depuis 10 ans (de 84 % à 75 %). C’est simple, la question les laisse indifférents.

***

Mercredi, le Bloc a promis de présenter à nouveau son projet de loi sur la citoyenneté. Il s’agirait d’un « test » pour vérifier si les libéraux veulent vraiment protéger le français. En fait, cela ressemble surtout à un échec programmé – les libéraux avaient rejeté l’idée l’année dernière.

Pour devenir citoyen canadien, il faut actuellement une « connaissance suffisante » de l’anglais ou du français. Le Bloc voudrait que le français devienne obligatoire au Québec. C’est aussi ce que les caquistes proposaient lors de la dernière campagne électorale.

Cette mesure a entre autres été défendue par l’urbaniste Mario Polèse, connu pour ses analyses nuancées sur la langue.

Lisez la lettre de Mario Polèse https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-10-28/promotion-du-francais-au-quebec/si-ottawa-veut-vraiment-donner-un-coup-de-pouce. php

Une volte-face libérale paraît improbable. Mais tant que le gouvernement Trudeau n’aura pas de proposition concrète, le Bloc pourra prétendre que sa défense du français n’est qu’une posture.

À Québec, même si les caquistes n’ont pas la même pression, les attentes commencent à monter. Cela ne déplaira pas au ministre Simon Jolin-Barrette, qui doit convaincre les ministres économiques de son gouvernement.

Pour l’instant, le retour du français se voit surtout dans les paroles. Cela a déjà un mérite – les libéraux rappellent à tous que la défense du français est encore pertinente et légitime.

Mais cette approche finira toutefois par atteindre ses limites. C’est bien beau de s’inquiéter, mais à quoi ça sert si cela ne débouche sur rien de concret, à part le soulagement d’avouer sa mauvaise conscience ?