(Ottawa) Le Bloc québécois compte utiliser un projet de loi sur le fait français comme baromètre pour mesurer la sincérité du gouvernement en matière de protection de la langue. Sans l’appui des troupes libérales, la mesure est vouée à l’échec – même si les conservateurs y donnent leur feu vert, le NPD n’y adhère pas.

Le débat sur le projet de loi C-223 – qui propose de modifier la Loi sur la citoyenneté afin de faire de la connaissance suffisante de la langue française une condition à l’obtention de la citoyenneté canadienne pour les résidents permanents qui vivent au Québec – se mettra en branle ce jeudi aux Communes.

Il se tiendra avec, en toile de fond, la controverse dans laquelle la députée d’arrière-ban montréalaise Emmanuella Lambropoulos a plongé le gouvernement quand elle a remis en doute le déclin du français au Québec lors d’une réunion du comité permanent des langues officielles, vendredi dernier.

Des propos auxquels sont venus s’ajouter des tweets où la directrice du Parti libéral du Canada au Québec, Chelsea Craig, dénonce le caractère « oppressif » de la loi 101. La principale concernée y est allée d’un rétropédalage sur le même réseau social après que ses gazouillis eurent été mentionnés par QUB Radio.

Les conservateurs et les bloquistes ont fait leurs choux gras de ces révélations et tiré à boulets rouges sur les libéraux pour la troisième journée de suite pendant la période des questions en Chambre, mercredi.

Tant et si bien qu’à l’usure, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a soutiré au premier ministre un message d’appui dont il n’était pas peu fier.

Nous reconnaissons que pour que le Canada soit bilingue, le Québec doit être d’abord et avant tout francophone, et c’est pour ça qu’on appuie la loi 101 dans ce [qu’elle] fait pour le Québec.

Justin Trudeau, premier ministre

« Il va faire les journaux, là ! », s’est frotté des mains le dirigeant bloquiste.

Le premier ministre n’a toutefois pu s’empêcher de railler la convergence actuelle entre le Bloc et le Parti conservateur.

« Je trouve ça un peu drôle et inquiétant que le Bloc s’allie tant avec les conservateurs sur la question du fait français au Québec et au Canada, parce que le Parti conservateur a toujours été le parti qui minait les droits des francophones hors Québec », a-t-il lâché.

Prise deux pour un projet de loi délicat

Il reste que c’est son parti qui est sur la sellette sur l’enjeu linguistique.

Et dans le camp bloquiste, on veut mettre les libéraux à l’épreuve en revenant au front avec un projet de loi qui avait été présenté dans la précédente législature par le député Mario Beaulieu – et qui avait mené à une prise de bec entre le ministre québécois Pablo Rodriguez et lui.

Le ton entre les deux hommes avait monté, le libéral accusant le bloquiste de semer la division en traçant « des barrières basées sur la langue, la culture et la couleur », ce que le député Beaulieu avait dépeint comme une tentative de présenter le Bloc comme une formation « raciste ».

Le projet de loi (le C-421) n’a jamais été soumis au vote, ayant été jugé inconstitutionnel par les cinq députés libéraux majoritaires du comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, malgré un avis plus mitigé d’un légiste.

On ignore si le projet de loi sera mis aux voix dans sa nouvelle incarnation, le C-223, auquel des modifications ont été apportées. Car les projets de loi d’initiative parlementaire mettent normalement plusieurs mois à cheminer, et de plus, on ignore combien de temps le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau demeurera en place.

Mais si on en arrive là, les votes qui seront enregistrés depuis les banquettes libérales seront déterminants.

Car le Parti conservateur votera oui, et le NPD s’y opposera.

Du côté de l’opposition officielle, le principe qui guide cet appui « est la reconnaissance de la nation québécoise par le premier ministre Harper et notre engagement envers la protection de sa langue et de sa culture », plaidera jeudi l’élue Raquel Dancho, selon des notes préparées fournies à La Presse.

Le NPD, de son côté, ne donnera pas son sceau d’approbation.

« Au lieu d’offrir aux nouveaux arrivants les outils et les investissements nécessaires pour apprendre le français, le Bloc opte pour une approche qui divise et qui exclut les nouveaux arrivants », a argué le député Alexandre Boulerice dans une déclaration écrite.

Les libéraux n’ont pas encore fait leur lit, a dit une source gouvernementale à La Presse. « La décision n’est pas prise. On étudie encore le projet de loi. On regrette que le but du Bloc québécois soit chicanier », a indiqué cette personne qui a requis l’anonymat pour s’exprimer plus librement.

L’éjection d’Emmanuella Lambropoulos réclamée

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Emmanuella Lambropoulos

Du côté de la députée Emmanuella Lambropoulos, dont la sortie a en quelque sorte mis le feu aux poudres, c’était toujours silence radio, mercredi. Les nombreuses demandes d’entrevue de La Presse sont restées lettre morte. Aux Communes, le conservateur Alain Rayes a demandé à Justin Trudeau de l’éjecter du comité des langues officielles, forum où elle a formulé ses commentaires. Le premier ministre a refusé de s’engager à poser un tel geste. Le NPD veut aussi que la jeune élue montréalaise soit relevée de ses fonctions. « Je pense qu’elle a fait une grave erreur. J’espère qu’elle va être capable de réagir et de s’exprimer elle-même pour expliquer ses interventions. Mais je pense qu’elle ne devrait plus siéger au comité des langues officielles », a fait valoir Alexandre Boulerice. La sortie de la députée de Saint-Laurent a fait grincer des dents au sein de la députation, en particulier au caucus du Québec. La ministre des Langues officielles Mélanie Joly s’en est dissociée, et des élus québécois ont aussi exprimé, publiquement et sous le couvert de l’anonymat, leur colère.

— Avec Joël-Denis Bellavance, La Presse