Coopérer entre adversaires politiques ? C’est possible ! Grâce à leur collaboration hors norme, Marwah Rizqy (PLQ), Christine Labrie (QS) et Véronique Hivon (PQ) sont devenues le trio le plus efficace – et le plus coriace – à l’Assemblée nationale. Confidences sans tabous des trois porte-parole des partis d’opposition en matière d’éducation.

(Québec) Je vais commencer en vous lançant des fleurs, mais c’est possible que le pot vienne plus tard : vous formez la meilleure équipe d’opposition qu’on a vue depuis longtemps dans un secteur. Depuis le début du mandat, vous vous êtes liguées très souvent contre le gouvernement, on a vu se développer un front commun. Comment est-elle née, cette collaboration plutôt exceptionnelle entre adversaires ?

VH : Je n’ai jamais vécu ça avant. Ce n’est pas comme si c’est archistructuré, qu’on s’appelle et qu’on se fait des plans de match. C’est juste que les trois, on est habitées par un même idéal de bien faire notre travail, de le faire rigoureusement, et de le faire pour l’éducation. C’est rare que trois porte-parole aient la même manière d’approcher les enjeux, d’aller au fond des choses, de travailler beaucoup avec les autres. Je n’ai jamais vu ça parce que souvent, il va y avoir une personne qui va vraiment plus penser à marquer des points partisans et partir toute seule avec le ballon. Tandis que nous, rapidement, on était sur le même modus operandi. Et ce qui nous a amenées à travailler vraiment très étroitement, c’est le fait qu’il y a eu une série de projets de loi dès le début de la législature en éducation : encadrement des frais scolaires, maternelle 4 ans, commissions scolaires.

CL : Ça s’est fait un peu spontanément. On s’est mises à travailler de manière très collégiale. Souvent, en commission parlementaire, on soutient les propositions de l’une et de l’autre parce qu’on sait qu’on a avantage à faire front commun. Marwah développe des arguments puis s’épuise, une de nous deux prend le relais puis s’épuise, la troisième prend le relais. On se relaie comme ça pour défendre le même point. Ça se fait de façon organique. Et des fois, ça devient même confus : on se demande qui a amené en premier telle suggestion ou telle idée !

MR : D’ailleurs, on est à l’aise de donner le crédit à l’autre, de prendre la bonne idée d’une collègue et de ne pas avoir peur de nommer la collègue.

C’est un peu ce que vous avez fait récemment en lançant des fleurs à Véronique Hivon sur les réseaux sociaux…

MR : Je l’ai fait spontanément. La vérité, aussi simple qu’elle soit, c’est que moi, je me cherchais en politique. C’était facile d’être avocate fiscaliste. Je connaissais mon métier. Là, j’apprends, je ne connais pas du tout mon métier. Je ne sais pas quel type de politicienne je veux être. Il y a Lise Thériault et Francine Charbonneau que j’aime beaucoup [deux libérales], mais quand je regarde dans l’ensemble de la députation, mon coup de cœur, c’est Véronique Hivon.

Dans votre famille politique, est-ce que des gens vous ont dit : « Tu devrais peut-être laisser faire ce genre de commentaires… » ? Est-ce qu’on vous fait des remarques sur votre façon de travailler et de collaborer entre adversaires ?

MR : Au début, bien franchement, oui. J’ai eu des commentaires du genre : « Marwah, coudon, est-ce que tu t’es trompée de parti ? » Mais rapidement, ils ont compris que c’était un style naturel de notre côté.

Avec tout ce qui s’est passé entre Québec solidaire et le Parti québécois dans les dernières années, la convergence ratée et le reste…

VH : Tu n’es pas obligé de ramener ça…

[rires]

Ça a laissé des traces et ça ne doit pas être toujours évident entre vous…

CL : C’est vrai qu’un moment donné, il y a eu le changement de statut comme groupe d’opposition [au début du mandat, Catherine Fournier a quitté le PQ pour siéger comme indépendante, ce qui a fait passer le PQ de deuxième à troisième groupe d’opposition, car il s’est retrouvé avec un député de moins que QS]. Avant, j’étais au bout de la table, la dernière à parler. Mais Véronique et moi, on a changé de place. Et j’avoue que c’était bizarre, ce moment-là… Malgré tout, ça n’a pas changé grand-chose à notre dynamique. Mais moi, je ne détestais pas ça parler après Véronique pour être honnête !

[rires]

VH : Ce qui est incroyable, c’est qu’on soit capables de se dire tout ça ! Normalement, entre partis, on ne se dit jamais des choses comme ça. La question est bonne. C’est clair qu’il peut y avoir des tensions entre nos partis à différents moments. Mais je pense que ce qui fait qu’on est capables de continuer de fonctionner, c’est que, de par nos personnalités, on sait que ça ne donne rien de commencer à nous-mêmes s’envoyer des « pins » sur des affaires partisanes. On a bâti une relation de confiance dans le cadre du travail qu’on fait. Bon, on ne va pas souper et au cinéma ensemble ; de toute façon, on ne peut pas en ce moment ! Mais on ne fera pas exprès de créer de la tension entre nous. On le sait qu’entre les leaders et les chefs, il peut y avoir des tensions, et on voit dans les commissions du monde de différents partis d’opposition qui ont le même dossier s’envoyer des flèches entre eux. Mais qu’est-ce que ça donnerait qu’on fasse ça entre nous ? Il y a tellement d’éléments à creuser, à contester et auxquels s’opposer, que ce serait une perte de temps de commencer à se picosser.

On va se le dire franchement : vous vous unissez peut-être aussi parce que vous êtes face à un gouvernement qui caracole en tête dans les sondages et que vous avez intérêt à vous en prendre à lui ensemble. Mais si, un jour, l’un ou l’autre de vos partis se démarque et est en train d’émerger, est-ce que ça ne risque pas de tomber, cette belle collaboration ? L’une de vous aurait intérêt à occuper tout le terrain et à dire que LA porte-parole en éducation, c’est elle…

CL : Ça peut arriver. Mais pour être honnête, je pense que les citoyens, ils apprécient vraiment ça, la collaboration, et de nous voir travailler comme ça.

MR : Il y a quand même un Québécois sur trois qui n’est pas allé voter, et d’après moi, c’est parce que le cynisme a gagné la population. Et si on veut qu’un jour davantage de gens s’intéressent à ce qu’on fait ici, et que tout ce qu’ils voient, c’est de la politique partisane… Je pense que les Québécois s’attendent à ce qu’on travaille bien ensemble et qu’on collabore.

CL : Les groupes [du réseau de l’éducation] aussi d’ailleurs. Ils nous demandent souvent de travailler ensemble.

C’est quand même particulier ça. D’habitude, un critique de l’opposition dans un dossier comme l’éducation, il va chercher à tisser des liens avec les acteurs du réseau et à faire en sorte que ce soit lui, et pas l’autre, qui soit considéré comme leur vrai porte-voix. Ça veut dire qu’il faut jouer du coude…

VH : Moi, c’est la première fois que je vois ça : il y a des groupes qui nous écrivent aux trois ensemble ! Il y a même des groupes qui voulaient qu’on organise un sommet ensemble, les trois. Il y a eu des initiatives mises de l’avant où ils nous impliquaient les trois. Ou bien, ils nous disent : « Tu parleras aux deux autres, on voudrait que tout le monde porte telle idée. » Ah bon, OK, ça ne marche pas exactement comme ça d’habitude en politique partisane, mais on va le faire… Je pense qu’ils ont senti qu’on avait à cœur leur intérêt et qu’on n’était pas tout le temps en train de se tirer la couverte.

Les initiatives transpartisanes, c’est d’ailleurs devenu la mode dans les dernières années…

VH : J’en ai long à dire sur ça… Parce que souvent, des gens se réclament de la première, celle qui a marqué les esprits [la commission transpartisane surnommée « mourir dans la dignité », sur l’aide médicale à mourir]. Honnêtement, celle-là, c’était une vraie commission transpartisane, une idée qui venait de l’opposition. Maintenant, je ne suis pas sûre que c’est la même chose qu’on voit avec cette multiplication. Souvent, ça vient d’une initiative du gouvernement qui trouve que ce serait bon de parler de tel sujet et de faire ça ensemble parce que ça va donner une légitimité et occuper des députés qui ne sont pas devenus ministres… Des fois, le gouvernement veut avoir l’étiquette transpartisane, parce que ça paraît bien ; et après, tu as moins de critiques parce que tout le monde a adhéré à quelque chose. Je ne me suis jamais réclamée de la politique autrement, alors que d’autres disent ça. Moi, je veux juste faire les choses comme je pense qu’elles doivent être faites pour que les gens aient confiance. Je pense que c’est la même chose pour [Marwah Rizqy et Christine Labrie]. On n’a pas besoin de se dire : « Hé, on va faire une affaire non partisane ensemble ! »

Y a-t-il des obstacles dans nos règles qui sont un frein à la collaboration entre adversaires politiques ?

CL : C’est peut-être plus dans les partis que ça existe. Tes collègues et les équipes de communication en arrière vont dire : il faudrait se démarquer ; que ça, ce soit notre gain. […] Je me souviens, en campagne électorale, ils passaient leur temps à me dire : il faut que tu sois clivante, il faut que tu sois clivante, on veut être clivant ! Mais je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas sûre d’avoir réussi, mais je me suis fait élire pareil !

VH : C’est vrai qu’il y a une pression des partis pour que les bons coups reviennent à ton parti. Mais les trois, je pense qu’on a marqué des points. Ce n’est pas comme si l’une était tout le temps à la remorque de l’autre.

On a parlé de fleurs tantôt, maintenant le pot… Dans chacune de vos familles politiques, vous êtes appréciées, évidemment, mais on dit aussi un peu la même chose de vous trois : vous êtes plutôt indépendantes, avec un certain caractère, pas nécessairement toujours facile à suivre et avec qui ça peut être difficile de travailler. C’est quand même paradoxal que l’on vous décrive de cette façon et que vous vous retrouviez à travailler en équipe avec des adversaires…

VH : On peut entendre plein de choses sur nous, mais nous sommes des personnes indépendantes d’esprit pour qui les convictions sont tellement profondes, qui vont se battre pour faire triompher certaines idées et politiques publiques. Donc, on comprend que c’est ce qui nous anime et on est prêtes à travailler ensemble. Être toujours dans la politique partisane, je ne pense pas que c’est ça qui nous anime. Là-dessus, on est sur la même longueur d’onde.

Et le ministre Jean-François Roberge dans tout ça ? Quelle est son attitude face à votre front commun ?

CL : Ça se peut bien que son attitude nous ait aidées à travailler ensemble !

[rires]

CL : Je n’en revenais pas comment il pouvait rester aussi fermé d’esprit sur autant d’arguments qu’on amenait. C’est lui, le mur d’opposition !

VH : Je dis toujours qu’un ministre qui comprend qu’il a tout à gagner à collaborer avec les oppositions, il se simplifie beaucoup la vie. Je viens de voir un exemple avec Jean Boulet [ministre du Travail] et son projet de loi sur les congés parentaux : peu importe le parti, il s’est montré ouvert aux idées des autres. Jean-François Roberge, il est plutôt dans le spectre assez fermé.

C’est cliché de souligner le fait que ce soit trois femmes qui arrivent à travailler comme ça ensemble ? Il y a un lien ?

VH : On entend encore beaucoup de chroniqueurs dire que ce qu’il faut, c’est qu’il y ait des affrontements et des combats. C’est encore très dominant comme discours. Je dis toujours que la politique, est-ce l’art de donner l’impression que tu fais des combats ou l’art de faire atterrir des combats avec de vrais changements de société ? Je pense qu’en ce moment, les gens sont rendus beaucoup plus loin que ne le pense la classe traditionnelle politico-médiatique. Les gens ont soif de voir des résultats, de voir des choses avancer, plutôt que des effets de toge qui donnent l’impression de combats. « Hé, il a mis le poing sur la table », mais qu’est-ce qu’on a gagné avec ça ? Rien. Mais des fois, c’est fait plus en douceur, mais crime, ça marche. Il y a encore beaucoup de préjugés, comme si la politique avait été forgée par tellement de dizaines et de centaines d’années d’exercice d’une seule manière, et prioritairement par des hommes, très très massivement. Je ne veux pas faire le lien homme-femme, je ne suis pas en train de dire que c’est féminin, mais d’autres modèles prennent beaucoup de temps à s’imposer face au modèle dominant.

NOTE : les propos ont été édités pour en faciliter la lecture

Marwah Rizqy

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Marwah Rizqy, 35 ans, députée de Saint-Laurent (Montréal) depuis 2018, avocate fiscaliste

35 ans

Députée de Saint-Laurent (Montréal) depuis 2018

Avocate fiscaliste

Christine Labrie

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Christine Labrie, 33 ans, députée de Sherbrooke depuis 2018, auparavant chargée de cours en histoire à l’Université de Sherbrooke

33 ans

Députée de Sherbrooke depuis 2018

Auparavant chargée de cours en histoire à l’Université de Sherbrooke

Véronique Hivon

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Véronique Hivon, 50 ans, avocate, ministre déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse sous le gouvernement Marois, députée de Joliette depuis 2008

50 ans

Avocate

Ministre déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse sous le gouvernement Marois

Députée de Joliette depuis 2008