(Ottawa) Lorsque Donald Trump quittera la Maison-Blanche, un élément particulier des quatre dernières années de la politique canadienne va changer : les conservateurs n’auront plus à se distancer constamment d’un président aussi controversé.

Mais maintenant, ce sera au tour de Justin Trudeau de dire s’il appuie le démocrate Joe Biden dans ses différentes décisions, au lieu des conservateurs qui se feront questionner sur Donald Trump.

Pendant quatre ans, le président Trump a servi d’épouvantail aux adversaires des conservateurs, qui l’accusent de semer la division aux États-Unis et laissent entendre que si un conservateur était élu au Canada, le « trumpisme » serait importé ici.

Au cours de la dernière campagne électorale fédérale, Elizabeth May, chef du Parti vert à l’époque, a fait une comparaison explicite, suggérant que le chef conservateur de l’époque, Andrew Scheer, était carrément une marionnette du président américain.

« J’ai regardé vos politiques publiques sur les affaires étrangères aujourd’hui, Andrew, et j’ai compris que si quelqu’un voulait savoir où vous en êtes, il faut simplement trouver ce que veut Trump », a-t-elle lancé lors du débat des chefs.

Et si les conservateurs forment le gouvernement à la suite des prochaines élections, un président démocrate pourrait être utile, a indiqué Garry Keller, qui a occupé plusieurs postes de conseiller de haut rang dans le dernier gouvernement conservateur.

Le président républicain George W. Bush était en poste entre 2000 et 2008 et les conservateurs sont arrivés au pouvoir en 2006. À l’époque, s’aligner sur lui pouvait être politiquement toxique, a souligné M. Keller, même si certaines politiques du président Bush avaient du sens pour le Canada.

« Lorsque (Barack) Obama est arrivé, les calculs ont complètement changé », a-t-il remarqué.

M. Keller a affirmé que dans l’ère Obama, il est devenu courant pour les ministres de se rapprocher du président américain, en faisant un lien entre leurs politiques et celles de l’administration Obama — plutôt que de dire qu’elles s’alignaient avec celles des États-Unis en général.

Par ailleurs, la décision de courtiser expressément le vote syndical pourrait également être considérée comme une tentative de populisme qui a fonctionné pour Donald Trump, qui s’était adressé aux Américains de la classe ouvrière qui se sentaient laissés pour compte par les politiciens.

« Donc, cela a permis de faire des choses avec les Américains sur certains éléments que vous n’auriez pas pu faire sous l’administration Bush. »

La grande majorité des Canadiens de tous les horizons politiques disent encore et encore aux sondeurs qu’ils n’aiment pas Donald Trump, mais parmi ceux qui l’apprécient, la plupart répondent aussi aux sondeurs qu’ils voteraient pour les conservateurs. Parmi eux : le chef du Sénat conservateur Don Plett, qui a exprimé son soutien à un deuxième mandat de Trump dans un récent discours au Sénat.

Le président Trump occupera toujours une place suffisamment importante dans la mémoire collective pour que les conservateurs puissent être comparés à lui, a estimé Andrea Van Vugt, qui était conseillère en politique étrangère de Stephen Harper.

« Le Parti conservateur et l’équipe d’Erin O’Toole devraient s’attendre à cela », a-t-elle souligné.

« Ils devraient l’anticiper, ils devraient comprendre comment ils vont se défendre. »

Mme Van Vugt a noté, cependant, que si M. Trump avait réellement empoisonné le conservatisme dans l’esprit des électeurs, un grand nombre de premiers ministres conservateurs n’auraient pas été élus au cours des quatre dernières années.

Parmi ceux-ci, on retrouve le premier ministre ontarien Doug Ford, qui, avec son style « d’homme du peuple », est perçu comme étant le plus proche de Donald Trump.

Certains pourraient dire que Erin O’Toole a appris quelques leçons de M. Trump.

Son slogan pour la campagne à la direction du parti, « Reprenons le Canada », a été perçu par certains comme une version nordique du « Make America Great Again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique ») de Donald Trump. M. O’Toole est toutefois beaucoup plus ouvert sur l’immigration et le libre-échange que le président américain.

Mais la position agressive de M. O’Toole sur la Chine, qui ressemble à l’approche de Donald Trump, ralliera probablement les Canadiens, a suggéré Mme Van Vugt.

« Je pense que les Canadiens, s’ils y réfléchissaient une minute, ils diraient : “Eh bien, vous savez, il est peut-être temps pour nous de prendre une position ferme sur la Chine et le seul souvenir récent que nous avons d’un politicien faisant cela est Trump” », a-t-elle précisé.

« Et bien que nous ne soyons d’accord avec rien d’autre de ce qu’il fait, c’est probablement l’un de ces domaines. »

Par ailleurs, la décision de courtiser expressément le vote syndical pourrait également être considérée comme une tentative de populisme qui a fonctionné pour Donald Trump, qui s’était adressé aux Américains de la classe ouvrière qui se sentaient laissés pour compte par les politiciens.

Donald Trump a gagné en 2016 grâce à leur soutien, et la réalité de l’élection présidentielle de 2020 est que dans de nombreux cas, il a encore eu leur appui, a déclaré Mme Van Vugt.

Mais à certains égards, a-t-elle dit, les résultats aux États-Unis reflètent ce qui s’est passé lors des élections fédérales de 2019 au Canada : un gouvernement libéral minoritaire.

Dans les deux pays, les électeurs ont dit au gouvernement sortant qu’il ne méritait pas une autre chance de contrôler totalement le gouvernement, mais ils ne faisaient pas non plus entièrement confiance à l’autre camp, a-t-elle affirmé.

Comprendre ce qui se cache derrière cela et construire un message qui atteint les gens pour gagner leur confiance et un mandat solide pour gouverner est un incontournable pour les politiciens canadiens, a ajouté Mme Van Vugt.

« Pour n’importe quel parti politique — les conservateurs, les libéraux, le NPD — c’est l’astuce de la prochaine élection. »