Brian Mulroney décrit Joe Biden comme un « gentleman de la politique »

(Ottawa ) L’arrivée à la Maison-Blanche du démocrate Joe Biden, un « gentleman de la politique américaine », permettra de rétablir des relations harmonieuses et fructueuses entre le Canada et les États-Unis, estime l’ancien premier ministre Brian Mulroney.

M. Mulroney, qui a connu trois présidents américains durant ses neuf années de pouvoir de 1984 à 1993 – les républicains Ronald Reagan et George H. W. Bush et le démocrate Bill Clinton –, connaît toute l’importance d’établir des relations cordiales entre un premier ministre et le locataire de la Maison-Blanche pour soutenir les intérêts du Canada non seulement sur le continent nord-américain, mais aussi ailleurs dans le monde.

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Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

Dans une entrevue accordée à La Presse, samedi, M. Mulroney a dit croire que le premier ministre Justin Trudeau et le président désigné Joe Biden sauraient nouer des relations tout aussi fécondes que celles qu’il avait lui-même tissées avec le président Ronald Reagan.

Dans les années 1980, ce sont ces relations étroites qui ont permis à son gouvernement de conclure un traité de libre-échange avec les États-Unis et de signer un accord sur les pluies acides avec l’administration Reagan, entre autres grandes réalisations, a souligné samedi l’ancien premier ministre.

« Je connais bien Joe Biden depuis 35 ans, et c’est un gentleman de la politique. C’est un homme qui connaît bien le Canada. Son arrivée va transformer les relations canado-américaines », a avancé M. Mulroney.

Le facteur Harris

« C’est absolument un ami du Canada. Il ne faut pas oublier non plus que la vice-présidente désignée Kamala Harris a passé plusieurs années à Montréal. Elle connaît très bien le Canada aussi. Alors quand il y aura des questions sur le Canada qui seront posées à la table des décisions, il n’y a personne qui va poser la question suivante : Where is Canada on the map ? », a imagé l’ancien premier ministre.

Le premier ministre Justin Trudeau n’a pas hésité à solliciter les conseils de M. Mulroney durant les quatre années de pouvoir de Donald Trump. Selon nos informations, M. Trudeau continue de le faire aujourd’hui, alors que la transition du pouvoir s’annonce mouvementée, Donald Trump ayant refusé de reconnaître la victoire de Joe Biden.

Sur le bureau du premier ministre du Canada, il y a deux dossiers absolument indispensables pour le bien-être du pays. Le premier, c’est l’unité nationale. Et le deuxième, c’est la relation féconde et importante avec le président des États-Unis. »

Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

Non seulement ces liens étroits favorisent les relations bilatérales entre les deux pays, mais ils permettent aussi d’accroître l’influence du Canada dans le monde.

« Ronald Reagan a déjà dit aux membres de son administration : I want this done for Brian. George Bush [père] a dit la même chose. […] Quand le chancelier de l’Allemagne sait que le meilleur ami du président des États-Unis, c’est le premier ministre du Canada, l’Allemagne aussi nous traite aux petits oignons. Ça a un effet domino. On peut se servir de cette réalité pour conclure d’autres ententes au niveau international. Cela donne au Canada plus d’influence, vis-à-vis des membres du G7 ou du G20 », a illustré M. Mulroney.

La victoire de Joe Biden ne signifie toutefois pas que les tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis disparaîtront du jour au lendemain, a souligné M. Mulroney. D’autant que la nouvelle administration Biden a aussi des velléités protectionnistes. Et le différend sur le bois d’œuvre a toujours été une source de tension, que les démocrates ou les républicains soient aux commandes à Washington.

« Le problème de Biden ne sera pas avec le Canada. Ça sera avec sa formation politique parce qu’elle est hautement protectionniste. Dans le domaine international, sur les grandes questions de sécurité, il n’y aura pas de problème, mais dans le commerce international, il y aura une poursuite de la politique de M. Trump. La formulation sera différente, mais il va y avoir énormément de protectionnisme », a analysé M. Mulroney.

« Cela va mettre de la pression sur M. Biden. Ça va être difficile pour lui de naviguer parmi tous ces problèmes, mais quand même on sait qu’à la fin du match, oui, il aime bien le Canada, il respecte le Canada. Il admire le Canada. »

La faute au « style »

Cela dit, M. Mulroney a affirmé que si Donald Trump « a frappé un mur » à l’élection présidentielle, ce n’est pas à cause de ses politiques, mais bien à cause de son style. Selon lui, M. Trump a quand même à son actif des réalisations indéniables au chapitre de l’économie et dans le dossier de la paix au Proche-Orient.

« Le leadership, pour moi, est constitué de deux éléments : la substance et le style. Là où M. Trump a réussi, c’était sur la substance. Il a quand même réussi des réalisations importantes. Mais c’est la question du style et son comportement comme personnage public et la façon [dont il négociait] avec les gens, c’est ça qui lui a nui énormément à travers le pays. M. Biden a une personnalité aux antipodes de celle de M. Trump. Je pense que c’est en grande partie la raison pour laquelle la nation voulait se soulager en votant pour un style complètement différent », a dit M. Mulroney.

Selon l’ancien premier ministre, il est évident que les relations étaient loin d’être cordiales entre M. Trump et les alliés historiques des États-Unis, au premier rang le Canada.

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Donald Trump, président des États-Unis, et Justin Trudeau, premier ministre du Canada, le 8 juin 2018 à La Malbaie, dans Charlevoix

« La relation n’était pas particulièrement cordiale entre le Canada et les États-Unis depuis son élection. Mais c’était la même chose avec le président Emmanuel Macron, avec Theresa May [du Royaume-Uni], avec Angela Merkel de l’Allemagne. Et puis, il a entretenu beaucoup d’affection avec nos adversaires comme la Corée du Nord, la Chine, la Russie. Ils se sont fait traiter aux petits oignons par Trump et il a attaqué des alliés historiques. Le Canada, c’est le plus grand allié et le plus grand ami des États-Unis depuis 250 ans. Alors ça, c’est inacceptable et je pense qu’il a payé la note aujourd’hui même. »

Selon M. Mulroney, Donald Trump devra se rendre à l’évidence qu’il a perdu l’élection. « Il va se rendre à l’évidence, pas nécessairement d’une façon gracieuse. Mais on est tous pris par les réalités de la vie. Lui, sa réalité est devant lui. Il va être obligé de réagir avec un certain respect et j’oserais dire une certaine élégance au bout du compte, parce que tu ne veux pas commencer ta vie après la politique sans le respect de tes concitoyens. »