(Québec) Alors que le maire de Québec Régis Labeaume invite les Québécois à un « débat de société » sur la santé mentale, le gouvernement Legault reconnaît que l’enjeu a été « trop longtemps et trop souvent oublié ».

Terrassé par le drame qui secoue sa ville, Régis Labeaume martèle qu’il est temps d’avoir « un débat de société sur les maladies mentales », un enjeu qui représente, selon lui, l’un des « plus grands problèmes de sécurité dans les grandes villes canadiennes pour les prochaines décennies ».

« C’est un enjeu majeur qui a peut-être été trop longtemps et trop souvent oublié », a reconnu dimanche la vice-première ministre Geneviève Guilbault, dénonçant les « actes barbares » qui ont été commis dans la nuit de samedi à dimanche dans le Vieux-Québec, où deux personnes sont mortes et cinq autres ont été blessées par un homme qui les aurait attaquées avec un sabre japonais.

« Quand on parle de la santé, souvent, on est porté à avoir le réflexe de penser à la santé physique, alors que la santé mentale est au moins aussi importante », a dit Mme Guilbault.

Il est difficile, quasi impossible, de prévoir les conséquences de la folie découlant visiblement de problèmes de santé mentale. […] Cette horreur chez nous s’ajoute à une charge mentale collective qui était déjà lourde dans cette période pandémique.

Régis Labeaume, maire de Québec

« Ça devient de plus en plus difficile pour nos policiers, qui sont quasiment transformés, qui deviennent des intervenants sociaux [alors que] ce n’est pas leur métier », a-t-il ajouté.

Des gens « imprévisibles » et parfois « dangereux »

La présidente de la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec, Martine Fortier, confirme que les problèmes de santé mentale prennent une place importante dans les interventions policières sur le territoire. Ces personnes, qui vivent parfois des problèmes de toxicomanie, « deviennent excessivement imprévisibles, dangereuses pour elles et pour les autres ».

« Si vous saviez le nombre d’heures qu’on peut passer dans un quart de travail à chercher des gens qui sont suicidaires, qui sont partis en tenant des propos inquiétants, ça prend beaucoup de place », a noté celle qui a longtemps été patrouilleuse au centre-ville de Québec.

« Il y a énormément de cas récurrents en santé mentale, des gens à qui on a affaire à répétition, qu’on veut aider. […] Mais un service de police tout seul ne peut pas en arriver à régler tous les problèmes. Il faut une concertation avec le milieu hospitalier […] pour que tout le monde travaille ensemble », a ajouté Mme Fortier.

En novembre 2019, la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ) estimait qu’entre six et huit appels sur dix concernent désormais des problématiques liées à des troubles de santé mentale. Cette statistique représente aussi la réalité à Québec, a affirmé la Fraternité.

Le président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), Pierre Veilleux, souhaite pour sa part que Québec prévoie de nouvelles mesures qui permettraient aux agents d’imposer à une personne qu’elle interpelle, et qui est visiblement en crise, d’être évaluée par un psychiatre sans pouvoir signer un avis de refus de traitement.

« [Les problèmes de santé mentale], ça représente énormément de travail. Des milliers d’interventions par année. Les gens sont en crise, les policiers les ramassent dans des évènements souvent violents, les ramènent à l’hôpital et, trop souvent, les patients signent un refus de traitement et retournent dans la rue », a-t-il déploré.

« On doit faire mieux »

Les partis de l’opposition ont parlé d’une seule voix, dimanche, d’abord pour offrir leurs condoléances aux victimes et aux proches de la tuerie du Vieux-Québec, mais surtout pour réclamer du gouvernement Legault qu’il accorde d’urgence une attention particulière aux soins psychologiques offerts aux Québécois.

« Collectivement, on doit faire mieux. On ne peut pas permettre qu’un tel angle mort perdure dans le contexte [pandémique] actuel. […] Nous avons chaque jour des indices d’une crise émergente et il faut que la réponse à cette crise soit de taille », a affirmé le libéral David Birnbaum, qui demande la mise en place d’un programme universel d’accès à la psychothérapie.

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a réclamé des investissements majeurs en santé mentale, dénonçant du même souffle les délais d’attente imposés aux gens qui souhaitent obtenir de l’aide dans le réseau public.

Si tu te casses le fémur, pour prendre une expérience [que j’ai vécue], tu n’accepterais jamais qu’on ne te prenne en charge que deux ans plus tard. Au niveau de la santé mentale, c’est [ce qui arrive]. Ce sont des drames qui sont vécus individuellement et qui sont abandonnés par l’État depuis très longtemps.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

« L’angle mort de cette crise sanitaire, c’est la santé mentale. Les derniers investissements consentis et la dernière réforme [du système de santé] ont été beaucoup centrés sur le curatif et sur la santé physique, alors que la santé mentale a été négligée », a pour sa part affirmé le député péquiste Joël Arseneau, qui souhaite qu’une commission parlementaire étudie l’enjeu incessamment.

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, fera un point de presse lundi en lien avec les soins en santé mentale, a-t-on confirmé à son cabinet. Ce dernier a refusé dimanche notre demande d’entrevue.

La semaine dernière, M. Carmant a annoncé que Québec investissait 25 millions « récurrents » dans les ressources consacrées à la santé mentale, ce qui permettrait au réseau d’ajouter l’équivalent de 250 professionnels à temps complet pour aider les personnes touchées entre autres par la pandémie de COVID-19.