(Ottawa) Insatisfait de la réponse qu’il a obtenue de Justin Trudeau mercredi, le chef bloquiste Yves-François Blanchet est revenu à la charge, jeudi, réclamant que le premier ministre se porte clairement à la défense de Verushka Lieutenant-Duval.

Sa tentative a été vaine.

La professeure de l’Université d’Ottawa est au cœur d’une controverse depuis qu’on lui a reproché d’avoir utilisé le mot qui commence par la lettre « n », dans le cadre d’un cours.

À Québec, le gouvernement et les partis d’opposition ont crié au dérapage et à la censure.

À Ottawa, néo-démocrates et libéraux se sont plutôt rangés dans le camp des détracteurs de l’enseignante.

Jeudi matin, le chef conservateur Erin O’Toole a été invité à participer au débat.

« J’appuie la liberté d’expression. C’est un principe important, particulièrement dans nos universités […] mais en même temps, c’est important d’avoir une approche de respect », a répondu M. O’Toole à la question d’une journaliste.

M. Blanchet, lui, a réclamé beaucoup plus du premier ministre.

« Si le premier ministre veut prendre une position raisonnable, il peut mettre fin à la crise qui émerge et est en train d’embarquer dans une spirale », a-t-il dit.

Et quelle est cette position raisonnable, d’après lui ? « Un apaisement et […] la défense nécessaire du rôle de l’enseignante. »

« Il n’y a aucune autre position possible à mon avis que la protection de la liberté académique et pédagogique », a martelé M. Blanchet.

Aux Communes, mercredi après-midi, interpellé une première fois par le chef bloquiste sur cette question, M. Trudeau avait plutôt lu une déclaration où il rappelait que la priorité de son gouvernement est de « combattre le racisme sous toutes ses formes ».

« Cette crise-là […] est en train de prendre une proportion qui met en péril quelque chose de beaucoup plus grave que nos orientations politiques. La qualité de l’enseignement qui sera offert aux jeunes du Canada et du Québec dans le futur est en jeu », selon M. Blanchet.

Jeudi après-midi, en l’absence du premier ministre aux Communes, c’est la vice-première ministre Chrystia Freeland qui a repris le discours du gouvernement libéral sur cet enjeu. Et elle y a répété la position qu’elle avait déjà exprimée une première fois mardi.

« Notre gouvernement reste sans équivoque. Le racisme anti-Noir est à la fois odieux et illégal. Face à l’injustice, nous ne pouvons jamais rester silencieux », a-t-elle répondu à M. Blanchet qui lui demandait si le geste de la professeure était « raciste ».

« Le premier ministre va-t-il défendre la liberté académique à l’Université d’Ottawa ? », a réclamé alors la bloquiste Kristina Michaud.

« Évidemment, notre gouvernement — et je pense que chaque député dans cette Chambre — va défendre la liberté académique. […] En même temps, […] et c’est une chose difficile, nous devons être conscients de la réalité ; et c’est que nous avons le racisme (systémique) dans notre pays et nous devons (réagir) aussi à ça », a répliqué Mme Freeland.

La nouvelle leader du Parti vert a décidé, elle aussi, de se lancer dans la mêlée, jeudi. Sur Twitter, Annamie Paul s’en est prise au chef bloquiste.

« A-t-on déjà appelé @Yfblanchet par le mot N ? Moi oui, et ça blesse à chaque fois. Avant de faire des déclarations sur un problème qu’il ne comprend pas, j’invite M. Blanchet à me contacter afin de lui expliquer pourquoi le mot N est douloureux pour beaucoup d’entre-nous », a écrit Mme Paul.

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh, lui, a réitéré que « n… » est un mot à bannir. Point.

Amalgamer liberté académique et l’utilisation de ce mot est, a-t-il dit à sa sortie des Communes, « problématique ».

« C’est clairement un mot qui blesse une communauté. Il est accompagné de douleur. Il crée un sentiment légitime de peur », a-t-il insisté. C’est donc, selon lui, « l’impact sur les étudiants » de l’utilisation de ce mot, quel qu’en soit le contexte, qui doit être la seule considération.

Dans un autre Parlement, une motion a été adoptée, à l’unanimité et sans débat, sur cet enjeu, jeudi.

« Que l’Assemblée nationale réaffirme son appui indéfectible à la liberté académique, qu’elle souligne qu’il est essentiel que les établissements d’enseignement soient des lieux d’échange et d’analyse sur les phénomènes sociaux qui ont forgé l’époque contemporaine, même s’ils sont inconfortables », a proposé la députée libérale Christine St-Pierre à l’Assemblée nationale.

Mercredi soir, le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, a lancé un appel au calme alors que les attaques sur les réseaux sociaux devenaient de plus en plus violentes.

« L’heure est au calme et j’invite toutes celles et ceux qui souhaitent s’exprimer de le faire avec retenue pour éviter d’envenimer davantage le débat. On conviendra que le mépris, la diffamation et les mots irrespectueux ne sont pas de mise et ne contribuent en rien à enrichir les échanges », a soumis M. Frémont dans une déclaration écrite.

Dans cette nouvelle déclaration, le recteur a également repris les reproches déjà faits à la professeure Lieutenant-Duval.

« Je n’ai peut-être pas suffisamment souligné l’impact sur nos étudiants d’un mot dont l’énorme charge sémantique, historique et connotative (en) fait tout simplement l’un des vocables les plus grossiers et les moins acceptables de la langue anglaise », a-t-il écrit.