(Québec) François Legault fait table rase au Secrétariat aux affaires autochtones et promet de « repartir à neuf » avec les Premières Nations en nommant l’ex-policier Ian Lafrenière aux commandes. Si l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador y voit une « opportunité de renouveler » les relations, des organismes de femmes autochtones sont complètement abasourdies.

« C’était nécessaire de donner un nouvel élan à nos relations » avec les autochtones, a lancé le premier ministre, qui a convoqué la presse vendredi matin. La veille, il avait refusé de réitérer sa confiance envers sa ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours. Sa rétrogradation était une question de temps.

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Sylvie D’Amours, ex-ministre responsable des affaires autochtones

La sous-ministre Marie-José Thomas a aussi été éjectée de son poste. C’est Patrick Lahaie, qui était sous-ministre adjoint au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité, qui lui succède. « On pense qu’une nouvelle équipe pourrait aider à relancer les discussions », a ajouté M. Legault.

Le premier ministre espère ainsi mettre derrière lui la crise provoquée par la mort tragique de Joyce Echaquan, qui a coïncidé avec l’anniversaire du rapport de la commission Viens. Des voix s’élevaient presque tous les jours depuis pour dénoncer l’inaction du gouvernement quant à la mise en œuvre des recommandations.

Bientôt des « résultats concrets »

François Legault l’admet : il doit « rebâtir la confiance » des Premières Nations envers son gouvernement. Il estime que Ian Lafrenière est l’homme de la situation. Il s’attend à des « résultats concrets » très rapidement et affirme qu’il continuera de s’impliquer.

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Ian Lafrenière et François Legault

Le nouveau ministre a indiqué que son premier geste serait d’appeler « chacun des chefs » autochtones pour « avoir une discussion ouverte » avec eux. Il a dit aussi vouloir participer à la réunion d’urgence convoquée par Ottawa sur le racisme à l’égard des autochtones dans les systèmes de soins de santé au pays.

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, lui tend la main, tout comme les chefs atikamekw affligés par la mort de Mme Echaquan.

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Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador

« Nous espérons que cette nomination accompagne une réelle volonté politique de faire avancer les choses ainsi que le pouvoir et les moyens d’y arriver », a déclaré le grand chef de la nation atikamekw, Constant Awashish.

Le son de cloche était similaire du côté du chef Ghislain Picard : « Je pense que son arrivée est bien accueillie dans la mesure où les paroles sont sincères. »

Un ex-policier aux Affaires autochtones

La nomination d’un ex-policier du Service de police de la Ville de Montréal à la tête du Secrétariat aux affaires autochtones a fait sursauter la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel. « Ça fesse », a-t-elle lâché au bout du fil.

Elle rappelle qu’une meilleure protection des femmes autochtones aux mains des services policiers est au cœur des revendications de son organisation. « Je suis de celles qui veulent du changement. Je ne lâcherai pas, peu importe qui sera devant moi », a-t-elle poursuivi.

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Maintenant, il est de l’autre côté. Il doit travailler avant tout pour les Premières Nations et pour la protection des femmes autochtones.

Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec

La directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Nakuset, n’arrivait pour sa part tout simplement pas à y croire. « Vous avez cette relation qui est complètement brisée […] vous n’avez appliqué aucune recommandation du rapport Viens ni de l’Enquête nationale et vous nommez un ex-policier responsable des Affaires autochtones ? C’est totalement insensé », a-t-elle déploré en entrevue avec La Presse.

Pour le premier ministre, le passé policier de son nouveau ministre est plutôt une force. « Je pense qu’un des défis, c’est de rebâtir la confiance entre les nations autochtones et les policiers. Qui de mieux qu’un policier qui comprend ce problème-là pour le régler ? », a dit M. Legault. « Il veut absolument le régler », a-t-il ajouté.

Le chef Ghislain Picard n’a pas l’intention de « passer beaucoup de temps sur le passé » de M. Lafrenière. « Il est un député élu de l’Assemblée nationale et maintenant ministre responsable des Affaires autochtones. À partir de maintenant, ce qui est important, c’est le chapeau qu’il porte. Ce n’est pas rien », a-t-il précisé.

Pas de racisme systémique, dit Legault

Même s’il dit vouloir marquer un nouveau départ avec la nomination de M. Lafrenière, le premier ministre refuse toujours de reconnaître l’existence de racisme ou de discrimination systémique au Québec. « C’est un débat que je n’aime pas », a réitéré le premier ministre, affirmant vouloir plutôt « agir contre le racisme ».

Le nouveau ministre Ian Lafrenière a pour sa part admis qu’il existe du racisme, de la discrimination et du profilage racial envers les autochtones, sans pour autant utiliser le mot « systémique ». « Je reconnais aussi que présentement, le terme de “racisme systémique” ne fait pas l’unanimité. Et honnêtement, tant qu’à mettre beaucoup d’énergie là-dessus, à se convaincre mutuellement que c’est le bon terme, moi, je pense que ce que les gens veulent sur le terrain, c’est des actions », a-t-il dit.

Réactions des partis de l'opposition

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Ce remaniement est un aveu de l’échec de ce gouvernement dans ses relations avec les Premières Nations. Il doit se mettre à la tâche afin de rebâtir les ponts et pour rétablir des relations de nation à nation. Un premier pas serait de reconnaître le concept de racisme systémique.

Gregory Kelley, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière d’affaires autochtones

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Avec son bilan désastreux en matière de relations avec les autochtones, la CAQ ne peut plus se permettre de faux pas. Le nouveau ministre devra rapidement reconstruire des ponts et faire ses preuves. On lui réitère l’importance de déposer un projet de loi sur la sécurisation culturelle, tel que notre motion unanime l’a proposé.

Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois

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Ce changement illustre l’échec du premier ministre dans sa gestion des dossiers avec les autochtones. L’arrivée de M. Lafrenière ne doit pas être un prétexte pour que M. Legault puisse se défiler. M. Lafrenière devra reconnaître qu’il existe du racisme systémique au sein des corps policiers et que le SPVM faisait du profilage racial lorsqu’il en était le porte-parole.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire