Richard Martel et Gérard Deltell devront être bons. Dans le sens de : prodigieux.

Le premier vient d’être nommé lieutenant politique du Parti conservateur au Québec. Le second, leader parlementaire, soit le chef d’orchestre des travaux à Ottawa. Leur mission commune : reconquérir les vieux bleus de leur province en quelques mois, malgré la faible notoriété de leur chef.

Au moins, ils sont assez connus. Et on ne risque pas non plus de les confondre…

PHOTO JEANNOT LÉVESQUE, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Richard Martel, accompagné du député de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, lors du dépôt de son bulletin de mise en candidature pour l’élection partielle dans Chicoutimi–Le Fjord, en mai 2018

Avant son élection en 2018, M. Martel a été entraîneur de hockey pendant trois décennies. À la barre des Saguenéens de Chicoutimi, il a battu le record de victoires dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. La suite a toutefois été moins glorieuse. En 2015, alors qu’il dirige l’équipe de Grenoble, il perd 6-2 avec 33 secondes à jouer. Le coach juge alors bon d’envoyer un attaquant assommer le gardien adverse. Dégoûtés, ses propres joueurs l’empêchent ensuite de réintégrer le vestiaire. Ce sera son dernier match. En France, on n’aime pas le stuff de junior.

C’est sur ce côté bouillant et passionné que le parti mise. Dans le respect des normes parlementaires, il va sans dire.

Bien sûr, si M. Martel a reçu cette promotion, c’est d’abord pour récompenser sa loyauté – il a été le seul député québécois à appuyer M. O’Toole lors de la course à la direction. Mais le parti croit que son côté franc et direct plaira aux gens. « Il ne parle pas comme un universitaire, racontait mercredi quelqu’un qui le connaît bien. Il utilise des images sportives, il connecte avec le monde. »

M. Deltell peut lui aussi bouillir lors des débats en chambre. En tant qu’ex-leader parlementaire de la Coalition avenir Québec, il maîtrise les codes et les ruses parlementaires. Il est énergique et pugnace, mais vous ne l’entendrez jamais manquer de respect. C’est « monsieur gentil ». Peu de politiciens sont aussi déférents par rapport aux institutions et à l’histoire. Le jour du Souvenir, si quelqu’un a le motton, ce sera lui.

Les deux se compléteront bien. Mais de là à peinturer le Québec en bleu conservateur…

M. O’Toole doit absolument ravir quelques circonscriptions québécoises aux libéraux et aux bloquistes. Il est vrai qu’en 2011, Stephen Harper avait obtenu un gouvernement majoritaire malgré sa pire récolte à vie au Québec, mais c’était à cause de la vague orange.

Le casse-tête conservateur

Il s’agissait d’une exception, tandis que l’échec d’Andrew Scheer a confirmé la règle en 2019. Il a gagné le vote populaire tout en perdant les élections, parce que ses appuis étaient concentrés dans les Prairies. À l’est du Manitoba, il n’a remporté que 50 sièges sur 234.

Cette fois, en Ontario, les conservateurs feront face à un double défi : le NPD est si faible qu’il ne divise plus le vote libéral et le premier ministre conservateur Doug Ford est devenu copain-copain avec Justin Trudeau.

Ce ne sera pas plus simple au Québec. Pour le comprendre, voici une devinette. À quand remonte la dernière victoire au Québec d’un chef conservateur anglophone contre un chef libéral francophone ? La réponse : ça n’est jamais arrivé. Tout comme un chef libéral du reste du Canada n’y a jamais battu un chef conservateur francophone. L’observation vient de Yan Plante, ex-chef de cabinet dans le gouvernement Harper et aujourd’hui directeur chez Tact.

Reste qu’il y a une première fois à tout et que, de toute façon, M. O’Toole cherche moins une victoire au Québec que quelques gains ciblés chez les nationalistes plutôt à droite. Le règne centralisateur et dépensier de Justin Trudeau, qui pourrait se couronner par un troisième blâme du commissaire à l’éthique, lui offre une belle occasion.

Il a beaucoup été dit que M. O’Toole doit sa récente victoire au Québec, mais cela s’explique plus par le mode de scrutin que par un coup de foudre des francophones. Selon la formule du parti, une circonscription de 100 militants de Montréal valait autant qu’une autre de 1000 militants à Calgary. Il suffisait donc de courtiser chez nous un très petit nombre de militants pour remporter ces précieux points.

Lors de la prochaine campagne électorale, le nouveau chef devra parler aux non convertis, et ce n’est pas le même discours qui risque de les séduire.

Voilà pourquoi M. O’Toole a choisi de mettre de l’avant deux visages plus connus du Québec. On peut aussi s’attendre à ce qu’Alain Rayes, démis malgré son solide boulot comme lieutenant québécois sous M. Scheer, obtienne un rôle important la semaine prochaine dans le cabinet fantôme.

Reste qu’il y a des limites au travail à Ottawa ou sur le terrain. S’il veut attirer des candidats vedettes, M. Martel aura surtout besoin de sondages favorables. Et pour plaire aux Québécois, le parti devra régler un dilemme bien canadien.

Dans l’Ouest, les conservateurs défendent l’industrie pétrolière et promettent une loi pour pouvoir construire des oléoducs malgré le blocage d’une province. Comme le Québec, par exemple…

C’est le genre de casse-tête que le plus énergique des lieutenants ne peut régler à lui seul, avec ou sans rudesse.